Pages Menu
Menu catégories

Posté par le 11 décembre 2024 dans

« 37°2 le matin » : L’esthétique d’une passion destructrice

Sorti en 1986, « 37°2 le matin » de Jean-Jacques Beineix est une œuvre emblématique du cinéma français des années 80. « 37°2 le matin » a rencontré un succès notable à sa sortie, attirant plus de 3,6 millions de spectateurs en France. Le film a également été nommé à neuf reprises aux Césars et a représenté la France aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Adapté du roman éponyme de Philippe Djian, le film narre la relation passionnelle et destructrice entre Zorg, un écrivain raté, et Betty, une jeune femme imprévisible et fougueuse.

Avec du recul, je me trouve chanceux d’avoir eu l’ouverture, la curiosité et la patience de découvrir ce film seul, à la télévision, durant le début de mon adolescence. Revoir cette œuvre aujourd’hui, avec l’écart de temps sociologique et personnel qui s’est écoulé, m’a permis d’apprécier différemment ses qualités et ses faiblesses. Ce décalage m’a également permis de remarquer à quel point le rythme des personnages, et donc des scènes, est alimenté par les drogues omniprésentes dans le film : café systématique chaque matin, cigarettes qui envahissent chaque plan (typique des années 60 à 80) et alcool régulièrement consommé. Ce mode de vie exacerbe l’intensité des interactions et souligne la frénésie qui traverse le récit. Ce décalage est fascinant, car si « 37°2 le matin » reste une référence incontournable pour sa thématique originale, il révèle aussi les limites de son époque.

Une exploration de la santé mentale de Betty

La mise en scène de Beineix est remarquable, alliant esthétisme et narration fluide. Les décors, notamment les bungalows colorés de Gruissan, apportent une touche visuelle distinctive au film. La photographie, aux couleurs flamboyantes, sublime chaque scène, renforçant l’impact émotionnel de l’histoire. La force émotionnelle du film réside également en grande partie dans le personnage de Betty, magistralement interprétée par Béatrice Dalle. Avec le recul et un regard contemporain, on peut voir dans Betty des indices de trouble de la personnalité limite (TPL), un aspect qui renforce l’impact tragique et fascinant de son personnage. Ses sautes d’humeur imprévisibles, son impulsivité marquée et son incapacité à réguler ses émotions rappellent les caractéristiques de ce trouble. Betty vit dans l’excès, oscillant entre des moments d’amour fusionnel avec Zorg et des explosions de colère ou de désespoir. Le film ne nomme jamais explicitement cette condition, mais la manière dont Beineix la met en scène donne à penser qu’il s’agit d’un portrait brut d’une femme en lutte avec elle-même. Son besoin constant de sécurité émotionnelle ainsi que son besoin quasi vital de sensations fortes, traduisent une souffrance profonde. Par moments, la caméra semble capturer non seulement ses actions, mais aussi son chaos intérieur, créant une immersion qui nous place au plus près de sa réalité.

La dynamique entre Zorg et Betty est également révélatrice des enjeux de la santé mentale dans une relation. Zorg, incarné avec subtilité par Jean-Hugues Anglade, devient le pilier de Betty, souvent au détriment de lui-même. Leur relation oscille entre une passion enivrante et une tension insoutenable, où Betty semble tirer sa force de la stabilité apparente de Zorg. Cependant, cette co-dépendance ne fait qu’exacerber les fragilités de chacun, créant un cycle d’autodestruction.

La musique : un miroir des émotions de Betty

La bande originale de Gabriel Yared amplifie la profondeur psychologique du film, en particulier le caractère tourmenté de Betty. Parmi les pièces maîtresses, « Des orages pour la nuit«  se distingue par son caractère hypnotique et introspectif, reflétant les montagnes russes émotionnelles du personnage. Cette composition m’avait conduit à acheter le CD du film à L’Échange, un commerce réputé sur l’Avenue du Mont-Royal, durant les années 90. J’étais captivé par la pochette, qui me fascinait par son esthétique évocatrice, et je l’écoutais souvent pour plonger dans cette ambiance introspective. Elle capture avec une rare intensité la mélancolie et la tension latente qui imprègnent chaque instant de l’histoire.

L’intégration de la musique dans la réalité du film est un autre exemple de génie. La scène où un saxophoniste joue au coucher du soleil ou encore celle où Zorg et Betty improvisent un morceau au piano sont des moments où la musique devient une extension de l’état émotionnel des personnages. Pour Betty, ces instants offrent une rare accalmie, un bref moment d’harmonie dans un univers autrement chaotique.

Une œuvre marquée par les limites de son époque

Si « 37°2 le matin » est une œuvre majeure pour son exploration brute et sensorielle de l’amour fou, il est aussi révélateur des représentations de son temps. Betty, bien que fascinante, est souvent réduite à son rôle de muse incontrôlable, une figure archétypale de la femme qui n’existe qu’à travers le prisme du regard masculin. Ce prisme dénote une vision parfois datée, où les femmes sont davantage des objets narratifs que des sujets pleinement autonomes. À cet égard, le film porte le poids des stéréotypes de son époque, ce qui peut expliquer pourquoi certains aspects semblent avoir mal vieilli. Cette vision, typique des années 80, reflète une époque où les personnages féminins peinaient encore à s’émanciper pleinement des archétypes traditionnels dans le cinéma populaire.

Conclusion

Regarder ce film est une expérience à la fois esthétique et sociologique, un voyage dans les méandres de la passion humaine et les héritages culturels de son époque. En conclusion, « 37°2 le matin » demeure une œuvre poignante et complexe, offrant une exploration unique de la passion et de la santé mentale. Revoir ce film aujourd’hui, en considérant le possible trouble de la personnalité limite de Betty, apporte une nouvelle profondeur à cette histoire intemporelle. Betty n’est pas seulement une figure chaotique, elle incarne également les luttes intérieures que Beineix a su capturer avec une intensité rare. Leur quête effrénée de liberté et d’authenticité, en marge des normes établies, reflète une aspiration à s’affranchir des contraintes sociales. Cependant, cette recherche de liberté se heurte aux structures rigides de la société, mettant en lumière les tensions entre individualité et conformisme. Ce film invite à contempler, avec empathie et réflexion, les nuances de l’amour, de la folie et de l’humanité, tout en offrant une critique subtile des entraves sociétales à l’épanouissement personnel.

Affiche du film "37°2 le matin"

37°2 le matin (1986)

16 177 min - Drame, Romance - 9 avril 1986
Votre note :

Zorg, 35 ans, commence à avoir une certaine expérience de la vie, il est revenu de beaucoup de choses et s'apprête à souffler un peu. C'est ce moment que choisit Betty pour débarquer avec ses valises, son cœur en "skaï mauve" et même pas un ticket de train...

Réalisateur :  Jean-Jacques Beineix
Acteurs :  Jean-Hugues Anglade, Béatrice Dalle, Gérard Darmon, Consuelo De Haviland, Clémentine Célarié, Jacques Mathou, Vincent Lindon, Catherine D'At, Claude Aufaure, Louis Bellanti, Dominique Besnehard, Raoul Billerey, Nathalie Dalyan, Nicolas Jalowyj, André Julien, Daniel Millot, Marthe Moudiki-Moreau, Robin Bernard, Claude Confortès, Philippe Laudenbach, Léonie Berthuit, Frédéric Caratini, Raymond Julien, Jacky Galibert, Simon de La Brosse, Dominique Pinon

Photos

Aucune image importée pour ce film.

Histoire

Zorg, 35 ans, commence à avoir une certaine expérience de la vie, il est revenu de beaucoup de choses et s'apprête à souffler un peu. C'est ce moment que choisit Betty pour débarquer avec ses valises, son cœur en "skaï mauve" et même pas un ticket de train...



Genres : Drame, Romance

Détails

Site officiel : 
Pays :   France
Langue :  Français
Date de sortie :  9 avril 1986

Box Office

Recettes :  $2 003 822

Compagnies

Compagnies de production :  Cargo Films, Constellation Productions, CNC

Détails techniques

Durée :  2 h 57 min
24 visionnements
Article précédent

Article suivant

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *