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Posté par le 29 septembre 2025 dans

Sinners, quand la musique exorcise l’histoire américaine

Image du film "Sinners"

Sinners (2025) est une œuvre audacieuse, hybride, qui brouille les frontières entre l’horreur, le musical et le drame historique. Réalisé, écrit et produit par Ryan Coogler, le film met en scène Michael B. Jordan dans un double rôle, celui des jumeaux Smoke et Stack Moore, dans le Mississippi de 1932.

L’intrigue suit le retour des deux frères dans leur ville natale. Ils veulent se reconstruire en ouvrant un juke joint pour la communauté noire locale, financé par de l’argent volé à la pègre de Chicago. Mais leur rêve attire une menace surnaturelle : un clan de vampires mené par un certain Remmick (Jack O’Connell). La figure du vampire fonctionne ici comme métaphore de l’appropriation culturelle et de l’assimilation forcée. Le film mêle violence, mysticisme (hoodoo), blues et tensions raciales. On oscille entre l’ancrage historique, marqué par la ségrégation et l’exploitation, et une dimension fantastique où le vampire incarne l’oubli culturel, une force imposée qui s’insinue dans la mémoire et les compromis. J’ai particulièrement apprécié la manière dont Coogler les dépeint : moins des monstres isolés que l’incarnation d’une conscience collective qui hante l’humanité depuis la nuit des temps. Leur pouvoir ne devient réel qu’une fois invités à entrer, ce qui s’intègre parfaitement au scénario et renforce leur portée universelle.

L’ambiance est indéniablement réussie, le décor soigné, et le clin d’œil appuyé au film culte From Dusk till Dawn de Tarantino et Rodriguez saute aux yeux. Pourtant, le changement de registre met du temps à s’affirmer. L’arrivée du premier vampire donne enfin l’impression que le film démarre véritablement, mais il faut patienter une bonne partie du métrage avant d’y parvenir. Cette mise en place, trop longue et trop dialoguée, finit par ralentir le récit et affaiblir sa tension. Coogler privilégie clairement une approche grave et ancrée dans le social et l’historique : racisme, mémoire de la guerre, musique noire américaine. Une démarche noble et ambitieuse, mais qui dilue par moments l’énergie et prive le film de ce mordant, de cette démesure propre au genre horrifique.

C’est précisément dans ce décalage que se révèle sa singularité. Car s’il peine à convaincre en tant qu’œuvre d’épouvante classique, Sinners s’affirme progressivement comme tout autre chose : une fresque symbolique où la musique prend le pas sur la peur, et où le blues devient le véritable moteur du récit.

Au cœur de cette fresque, la Dobro, guitare aux accents métalliques et ancestraux, devient plus qu’un simple instrument : une voix spectrale, un pont entre les vivants et les forces obscures. Elle donne au récit un ancrage sonore unique et souligne le rôle central de la musique comme mémoire collective. Le jeune Sammie, prodige musical, illustre le paradoxe du génie maudit, dont le talent attire autant qu’il détruit. Cette poésie souterraine est le vrai cœur du film : pressenti comme le grand film d’horreur vampirique de ce début d’année, Sinners cache en réalité une dimension incroyablement artistique, truffée de symboles, structurée autour d’un thème central, la musique, et plus précisément, le blues.

Car, oui, ce film est avant tout une ode au blues. La musique est omniprésente, et pourtant, on est à des années-lumière d’une comédie musicale. Elle agit comme un souffle, comme une mémoire vibrante. Les apparences horrifiques ne sont qu’une façade, presque un prétexte, qui dissimule un message poétique et mystique, ressuscitant des mythes et légendes du passé. Et c’est précisément ce paradoxe qui envoûte : Sinners ne fait pas peur, mais captive et hypnotise.

Visuellement, l’ensemble est incroyablement maîtrisé. La photographie, le travail sonore, la compositions des plans…tout respire la précision chirurgicale et une inventivité rare. La direction de la photographie d’Autumn Durald Arkapaw, alliée à l’usage du film grand format (Kodak 65 mm / 70 mm / IMAX), accentue le sentiment d’opulence et d’étouffement moral dans le Sud des années 30. Coogler crée un univers cohérent, riche en textures, où chaque détail compte. Mention spéciale à l’extraordinaire scène de la fête, filmée en un plan-séquence vertigineux qui traverse les fibres mêmes de l’espace-temps, reliant passé, présent et futur par la force magique et universelle de la musique. Une séquence majestueuse qui s’impose déjà comme l’une des plus marquantes de la décennie, tant elle condense la puissance visuelle et sonore du film.

Sur le plan politique et social, Sinners assume pleinement sa charge militante. Coogler choisit de représenter un Sud américain où aucun personnage blanc n’apparaît véritablement sympathique. Tous, d’une manière ou d’une autre, participent au système d’oppression ou incarnent une menace, qu’elle soit sociale, économique ou vampirique. Cette absence de figures conciliantes peut se lire de deux façons : limite dramatique frôlant le manichéisme, ou geste politique délibéré, revanchard et assumé, qui fait de l’horreur vampirique la métaphore directe de l’exploitation raciale et de l’effacement culturel. Dans les deux cas, le film reste frontal et sans compromis. On est néanmoins porté à penser qu’un tel positionnement conduit à lisser certains aspects de l’histoire. La prémisse elle-même, qui présente les protagonistes comme de nouveaux riches ayant bâti leur ascension dans les marges du crime organisé au temps de la prohibition, relève probablement davantage de la fiction que d’une vraisemblance historique. Imaginer que des Afro-Américains, soumis à la ségrégation omniprésente des années 30, aient pu prospérer en s’intégrant véritablement aux réseaux d’Al Capone suppose un écart assumé avec la réalité sociale de l’époque. Mais ce décalage n’est pas une faiblesse : il traduit le choix de privilégier la force de l’allégorie sur l’exactitude du contexte, en inscrivant les personnages dans une mythologie plus large que la simple restitution historique.

Car Sinners agit aussi comme un fantasme contemporain, où un héros noir remonte le cours du temps pour affronter, et symboliquement vaincre, le Ku Klux Klan à l’endroit même où ce mal a pris racine dans l’histoire des États-Unis. Par ce geste, le film dépasse les frontières du récit horrifique ou du drame social pour se muer en réécriture mythologique : une tentative de réinventer l’histoire afin de la réparer là où elle a infligé ses blessures les plus profondes au coeur de la psyché des États-Unis. Coogler ne cherche pas une vérité historique stricte, mais érige une figure héroïque capable de porter la mémoire et les luttes d’un peuple. Il convoque l’horreur vampirique et le souffle du blues comme armes symboliques, transformant l’écran en lieu d’émancipation narrative, où l’art transcende la pesanteur du passé pour dégager une vérité universelle.

Certaines limites demeurent. Si la première partie séduit par sa dimension dramatique et sociale, la seconde, plus horrifique, perd parfois en cohérence et peine à maintenir l’intensité attendue. Pourtant, contrairement à From Dusk till Dawn (1996), qui basculait brutalement de la comédie criminelle à l’horreur pure, Sinners opte pour une transition plus subtile et troublante. Le film glisse imperceptiblement du naturalisme au fantastique, et l’horreur n’explose pas : elle s’infiltre, comme une mélodie qui se déforme en dissonance. Ce choix peut désarçonner, mais confirme la singularité du projet.

Au final, Sinners est pour moi l’une des belles surprises de l’année. Œuvre ambitieuse, à la fois spectacle et manifeste, mythe et réflexion sociale, il surprend par son audace et sa capacité à transcender les genres. Coogler y propose un récit riche en symboles et en émotions, une ode au blues autant qu’un hommage vibrant à la mémoire afro-américaine. S’il lui arrive de manquer de tension, il compense largement par une puissance visuelle et sonore exceptionnelle, offrant une expérience moins tournée vers la peur que vers l’envoûtement, moins vers le frisson que vers la résonance profonde. C’est un film original et marquant, que je recommande vivement et que je reverrai avec plaisir. Et surtout, prolongez le visionnement après le générique : une scène post-générique étonnamment longue vient donner la véritable conclusion, refermant l’expérience avec une force singulière.

Sinners (2025)

R 138 min - Horreur, Action, Thriller - 16 avril 2025
Votre note :

Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience.

Réalisateur :  Ryan Coogler
Écrivains :  Ryan Coogler
Acteurs :  Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Miles Caton, Jack O'Connell, Wunmi Mosaku, Jayme Lawson, Omar Benson Miller, Delroy Lindo, Li Jun Li, Yao, Lola Kirke, Peter Dreimanis, Buddy Guy, Saul Williams, Andrene Ward-Hammond, Tenaj L. Jackson, David Maldonado, Aadyn Encalarde, Helena Hu, Sam Malone, Ja'Quan Monroe-Henderson, Percy Bell, Emonie Ellison, Kai Thompson, Nathaniel Arcand, Mark L. Patrick, Gralen Bryant Banks, Nicoye Banks, Christian Robinson, Justin William Davis, Deneen Tyler, Michael A. Newcomer, Theodus Crane, Kendalyn Dene Breakfield, Airelle Brooks, Gabriel Cavallini, Jeremy Denzel, Le'Andre Douglas, Akeem J. Edwards, Arouna Guindo, Jarrell Hamilton, Leroy Harris Jr., Jeoffrey Harris Jr., Alex Huynh, Ritho Johnson, Donald Jones Jr., Breonna Jordan, Trinity Jaden Mitchell, Ian Monroe, Cuso Mora, Winnie Mu, Jahaira Myers, Andrea Peoples, Phyouture, Faith Rockward, Ahmari Vaughn, Tyler Wilson, MD. Shinha Sarder

Photos

Histoire

Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience.



Slogan : Une nuit pour survivre.

Genres : Horreur, Action, Thriller

Détails

Pays :   États-Unis
Langue :  , Anglais
Date de sortie :  16 avril 2025

Box Office

Budget :  $90 000 000
Recettes :  $365 878 513

Compagnies

Détails techniques

Durée :  2 h 18 min
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