Le Voyage prévisible du compte Dracula
Dans « The Last Voyage of the Demeter », l’idée de revisiter l’un des chapitres les plus mystérieux du roman de Bram Stoker avait de quoi susciter l’enthousiasme. Le simple fait de s’attarder au périple maudit du bateau marchand, évoqué dans « Dracula » à travers les notes du capitaine, ouvrait la porte à une relecture maritime du mythe, un peu comme l’avaient fait « Triangle » ou, dans un registre plus atmosphérique, « The Terror ». Pourtant, malgré ce potentiel riche, le film peine à s’extraire d’une structure rigide et s’enlise rapidement dans une prévisibilité désarmante.
Un des principaux écueils repose sur une volonté trop visible d’actualiser les enjeux du récit. Le médecin noir, présenté comme un intellectuel formé en astrophysique au XIXe siècle, se retrouve soudainement à devoir quêter du travail dans l’Europe de l’Est rurale. Cette construction, déjà difficile à avaler dans le cadre historique, sert ensuite de prétexte à une longue capsule sur le racisme systémique qui coupe l’élan du film. De la même manière, la jeune villageoise roumaine, miraculeusement anglophone et prompte à manier les armes, correspond davantage à un archétype contemporain qu’à un personnage ancré dans son époque. Ces deux figures finissent par détenir un véritable bouclier scénaristique, ce qui les place d’emblée dans la catégorie des survivants annoncés et affaiblit la tension dramatique. L’intention progressiste ne pose aucun problème en soi, mais sa mise en œuvre demeure artificielle et nuit à la crédibilité générale, un peu comme on l’a senti dans certains segments maladroits de « The Witcher » ou de « The Rings of Power » lorsque l’intégration idéologique prenait le pas sur la cohérence narrative.
Quant à Dracula, il est réduit à l’état de monstre unidimensionnel, sans la profondeur ni la dualité qui avaient rendu l’interprétation de Gary Oldman si fascinante dans « Bram Stoker’s Dracula ». Cette simplification prive le récit d’une part essentielle de son mystère, là où même « Nosferatu » parvenait à insuffler une aura inquiète et hypnotique à sa créature.
Fort heureusement, certains éléments visuels rattrapent partiellement l’ensemble. La photographie nocturne, enveloppée de brume et de clairs obscurs, évoque parfois la beauté inquiétante de « Sleepy Hollow » ou les nappes glauques de « The Fog ». Ces fulgurances esthétiques démontrent qu’un film peut échouer sur le plan narratif tout en atteignant de réels sommets visuels.
Au final, « The Last Voyage of the Demeter » demeure un exercice de style inégal qui ne parvient jamais à transcender les faiblesses de son scénario. Malgré un décor prometteur et une atmosphère soignée, les choix narratifs trop prévisibles, associés à un vernis idéologique distribué sans subtilité, nuisent à l’immersion et affaiblissent la tension que l’on attend d’un film de genre. L’œuvre s’efface rapidement dans les brumes du mythe, et même la puissance évocatrice de son sujet ne suffit pas à l’ancrer durablement dans la mémoire des spectateurs. Une expérience visuellement séduisante mais dramatiquement atone, ce qui m’amène à lui accorder deux étoiles sur cinq.
The Last Voyage of the Demeter
- -L'équipage du navire marchand Demeter tente de survivre à la traversée océanique de la Carpathie à Londres alors qu'ils sont traqués chaque nuit par une présence impitoyable à bord du navire.
