Plongée dans l’abysse de “Under the Skin”

« Under the Skin », réalisé par Jonathan Glazer et porté par Scarlett Johansson, est souvent présenté comme un film injustement incompris, une œuvre passée sous le radar lors de sa sortie et réévaluée depuis comme une expérience sensorielle majeure du cinéma contemporain. Cette réputation flatteuse suscite forcément la curiosité. Pourtant, une fois plongé dans cet objet filmique singulier, le sentiment qui domine n’est pas tant celui de la révélation que celui d’un décalage persistant entre l’intention artistique et l’expérience spectatorielle réelle.
Le film adopte une posture résolument expérimentale, refusant presque toute narration classique pour privilégier une approche fragmentaire, souvent elliptique. Glazer s’inscrit ici dans une tradition de cinéma contemplatif et conceptuel qui évoque autant les errances métaphysiques de Stalker que le minimalisme glacial de 2001: A Space Odyssey. Toutefois, là où ces œuvres parvenaient à faire émerger un vertige philosophique durable, Under the Skin semble parfois se contenter de répéter ses motifs visuels sans véritable progression dramatique. L’expérience devient hypnotique sur le plan formel, mais peine à se transformer en parcours intellectuel ou émotionnel réellement engageant.
Visuellement, le film impressionne par son esthétique austère et dérangeante. Les séquences abstraites, ces espaces noirs liquides où les corps se dissolvent lentement, comptent parmi les images les plus marquantes du cinéma des années 2010. Cette imagerie évoque autant certaines installations d’art contemporain que les cauchemars organiques de The Cell ou les expérimentations sensorielles de Enter the Void. Néanmoins, cette puissance visuelle finit par tourner en boucle. Le film privilégie l’atmosphère au détriment du rythme, ce qui engendre une lenteur qui ne relève plus de la contemplation, mais d’un étirement excessif du temps cinématographique.
Scarlett Johansson livre une performance intrigante, fondée sur la retenue et l’opacité. Son personnage, volontairement réduit à une fonction plus qu’à une psychologie, incarne une altérité radicale. Cette approche rappelle certains personnages mutiques du cinéma de Claire Denis, notamment dans Trouble Every Day. Or, ici, ce choix finit par limiter l’implication émotionnelle. Le minimalisme des dialogues et l’absence de repères narratifs clairs empêchent toute réelle empathie, laissant le spectateur à distance, comme observateur froid d’un dispositif conceptuel.
Sur le plan thématique, Under the Skin aborde des questions fondamentales liées à l’humanité, à l’aliénation et au regard porté sur l’autre. Pourtant, ces thèmes restent souvent suggérés plutôt que véritablement explorés. À force de se replier sur son propre langage esthétique, le film donne l’impression de confondre profondeur et abstraction, là où un film comme Ex Machina parvenait à conjuguer réflexion philosophique et tension dramatique avec bien plus de rigueur.
Au final, Under the Skin apparaît comme une œuvre ambitieuse mais déséquilibrée, fascinante par moments, frustrante dans sa durée et son refus quasi dogmatique de toute accessibilité. Il s’adresse avant tout à un public déjà conquis par le cinéma d’auteur le plus radical. Pour les autres, il risque de laisser l’impression d’un exercice de style séduisant mais creux, une occasion manquée de transformer une proposition visuelle forte en expérience cinématographique pleinement habitée. Ma note finale, intégrée sans hésitation à ce constat mitigé, s’établit à 4 étoiles sur 10.

Under the Skin
- -Une extraterrestre prend des hommes en autostop, puis les envoûte, de ses yeux, de sa bouche et de son corps de rêve. Attirés dans un couloir noir, ces derniers poursuivent cette beauté fatale alors que telle une araignée tissant sa toile, elle les tue les uns après les autres pour le compte de son espèce…


























