Witchboard, un pont fragile entre deux époques

Witchboard, dans cette réinvention de 2024, reprend l’ambition du film culte de 1986, comme si l’on tentait de souffler sur les braises d’un passé encore tiède pour en raviver l’éclat. La planche occulte retrouvée, la sorcière française dont l’influence traverse les siècles, les forces anciennes qui se mettent à vibrer autour des vivants, tout cela laisse croire à un retour vers l’esprit des films d’épouvante où l’atmosphère primait sur la surenchère. Sur le papier, on aurait pu espérer un frisson nostalgique, quelque chose de l’ordre d’un Hellraiser premier du nom ou d’un The Others, où le mystère respire dans les silences.
Le film montre effectivement qu’il sait installer cette obscurité. L’introduction, située en France au XVIIᵉ siècle, s’ouvre dans un décor gothique où les rituels macabres sculptent un imaginaire occultiste presque baroque, dans une veine qui évoque parfois The Witch de Robert Eggers, sans toutefois en retrouver la rigueur. Cette scène intiguante crée un pont entre l’Europe d’autrefois et la Nouvelle-Orléans contemporaine, où les protagonistes tiennent un restaurant français. La culture française, qui circule entre les murs, les croyances et les paroles, devient un fil narratif discret mais persistant. Pour y être allé à plusieurs reprises, j’ai aussi apprécié reconnaître certains lieux du French Quarter, notamment un plan subtil sur le clocher de la cathédrale Saint-Louis, emblème de la ville, aperçu à travers la fenêtre du logement de la protagoniste Emilie. C’est sans doute l’aspect le plus singulier du film, celui qui m’a réellement retenu.
Dans ce même souffle, on sera surpris de reconnaître David La Haye, qui incarne Bishop Grogan et qui s’exprime uniquement en français. Voir un comédien québécois occuper ainsi un espace linguistique intact avec notre propre accent dans une production américaine donne au récit une texture inattendue. Cela rappelle, à sa manière, la présence de langues minoritaires dans certains films d’horreur récents, comme le gaélique dans The Hallow, qui venait enrichir la mythologie plutôt que de servir d’accessoire.
Certains passages parviennent à relier les visions anciennes aux événements contemporains en ravivant une inquiétante étrangeté, et l’on sent alors une volonté sincère de renouer avec une tradition de lente montée en tension, celle qui faisait le charme de films comme The Ring ou The Exorcist III, où la peur se construit par couches successives. Mais malgré ces élans, Witchboard peine à se rassembler. Le scénario se déroule de manière trop prévisible, les rebondissements arrivent là où on les attend et l’on devine rapidement les ressorts de l’intrigue.
L’accumulation des registres n’aide pas. Entre la sorcière française, les actions maléfiques de son chat revenant (?!?), les pactes occultes, les drames personnels et la trop grande quantité de personnages secondaires, le récit se disperse. Cette dispersion évoque certaines tentatives de remakes mal calibrés, comme Poltergeist 2015, où le désir de moderniser écrasait l’essence de l’original.
Et puis il y a la fin. Une fin qui s’emballe franchement dans le n’importe quoi, particulièrement dès l’arrivée de la scène au restaurant. Les personnages deviennent incohérents, difficiles à suivre, comme si leurs motivations se dissolvaient d’un plan à l’autre. Le montage se précipite, les réactions ne tiennent plus debout et l’ensemble donne l’impression d’une production pressée de plier bagage. On dirait presque que les derniers jours de tournage s’imposaient comme une échéance brutale et que l’on cherchait à clore l’histoire à tout prix, sans savoir comment y arriver. Ce sentiment d’urgence rappelle, dans une autre tonalité, certaines fins expédiées de productions Blumhouse où les contraintes de calendrier semblent dicter la dramaturgie plus que la logique interne.
Le contexte de production n’aide pas à dissiper cette impression. Le tournage, mené entre avril et juin 2023 entre Montréal et La Nouvelle-Orléans, avec quelques scènes tournées à Sainte-Anne-de-Bellevue dans l’Arboretum Morgan, s’est fait en pleine grève de la SAG-AFTRA, la production bénéficiant d’une dérogation spéciale. Cette atmosphère tendue affleure parfois à l’écran, surtout dans l’acte final.
Malgré certains comédiens investis, les personnages demeurent trop minces pour susciter un véritable attachement. L’horreur perd alors de sa force, un peu comme ces films où le surnaturel flotte sans jamais s’incarner, à l’opposé d’œuvres plus maîtrisées comme Hereditary.
En fin de compte, Witchboard 2024 se regarde sans amertume, mais s’oublie rapidement. Ses strates françaises, dans toutes leurs déclinaisons, demeurent sa trouvaille la plus intéressante, sans toutefois réussir à devenir la colonne vertébrale que le film promettait en début de parcours. On ressort avec l’impression d’un projet qui avait matière à vibrer et qui préfère s’effriter. Pour toutes ces raisons, je donne quatre étoiles sur dix.


























