Ce que les progressistes doivent savoir sur la diffusion des nouvelles idées
Mon dernier texte sur les différents types de nature en politique m’a ramené en tête un modèle qui m’a aidé à mieux comprendre l’évolution de la société. Je dois vous confier qu’en tant qu’agent de changement, ce modèle m’a beaucoup aidé à soulager mes frustrations progressistes et mieux cibler mes efforts en politique.
En effet, dans son livre Believing Cassandra – How to be an Optimist in a Pessimist’s World, Alan AtKisson nous fait imaginer la société comme une amibe en déplacement. Pour se mouvoir dans le temps, cette dernière s’allonge dans un petit bourgeon avant que l’organisme au complet finisse par entièrement suivre dans cette direction. Je vous offre donc aujourd’hui une traduction de son concept: L’amibe du changement culturel.
Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes concernées et réfléchies puissent changer le monde exprime d’entrée AtKisson. D’ailleurs, c’est toujours de cette façon que ca ce passe. Si on examine les réorientations majeures de la société, on peut en faire remonter l’origine à un petit groupe de gens, souvent rassemblés autour d’un penseur ou d’un concept innovateurs. Comment quelques personnes peuvent-elles donner naissance à des changements sociaux?
Comment de nouvelles idées (ou technologies ou valeurs) font-elles leur chemin dans une culture donnée? Indépendamment de la nature de l’innovation, qu’elle soit appareil domestique, expression idiomatique ou nouvelle compréhension de ce qu’est l’être humain, on appelle «diffusion de l’innovation» le processus par lequel elle se répand.
Les chercheurs ont démontré que l’adoption d’une innovation, dans n’importe quelle population donnée, se déroule de façon relativement prévisible. Au commencement, il y a un innovateur, généralement un seul individu avec une idée nouvelle, («nouvelle», selon Atkisson, veut dire ici inconnue de la culture environnante, même si l’idée en elle-même est très vieille). Après avoir été conçue, une idée se répand d’abord lentement (habituellement grâce à des agents de changement qui en font activement la promotion) puis gagne du terrain au fur et à mesure que des gens l’adoptent. Elle atteint enfin un niveau de saturation quand tous les intéressés potentiels l’ont déjà adoptée.
Au début du processus il y a une étape clé qu’on appelle «décollage» : après avoir adopté l’innovation, les agents de changement s’efforcent de la communiquer aux autres membres de la société par les moyens qu’ils jugent appropriés. Quand le nombre des convaincus atteint une masse critique (quelque part entre 5% et 15%), le processus est généralement irréversible. L’innovation acquiert une existence propre, et de plus en plus de gens en parlent ou se font mutuellement la démonstration de son bien-fondé.
Pour ceux que l’idée de changer le monde inspire, voici la morale de cette courte histoire: ne vous croyez pas obligés de changer le monde tout d’un coup. Si l’innovation présente une réelle valeur, vous n’aurez à travailler que le temps de l’amener au point de décollage; d’autres feront le reste.
Imaginez la culture humaine – ou une de ses sous-cultures – sous la forme d’une amibe géante. Les individus sont comme les molécules qui composent cette amibe. Ils se déplacent, jouant différents rôles à différents moments dans différentes parties de l’organisme.
Une amibe se meut en projetant vers ravant un petit pseudopode («faux pied»). Le pseudopode tire sur le reste de l’organisme qui résiste de son poids puis finit par céder. À cause de ces mouvements par à-coups, le centre ou nucléus de l’amibe avance avec un peu de retard sur la majorité des molécules
Cette petite leçon de biologie, aussi élémentaire soit-elle, illustre la façon dont les cultures changent. Le retard du nucléus est comparable au phénomène du centre retardataire, c’est-à-dire la tendance qu’a la majorité de la population (le mainstream) de toujours se trouver loin de l’avant-garde socio-culturelle.
Le pseudopode est le domaine de l’innovateur et de l’agent de changement. Tous les pseudopodes ne font pas la pluie et le beau temps; il se peut que dans une société donnée des forces antagonistes soient en train de projeter un autre pseudopode dans la direction opposée. Morale numéro deux pour l’aspirant «évolutionnaire»: le truc, c’est d’avoir un pseudopode gagnant.
Les acteurs
À partir des principales caractéristiques de «l’amibe culturelle», on peut, selon Atkinsson, dégager neuf types d’acteurs dans tout changement culturel. Il y a d’abord l’innovateur, l’agent de changement, le transformateur, le majoritaire, le retardataire, le réactionnaire et l’iconoclaste, mais également deux acteurs clés qui agissent de l’extérieur de la structure, le sage et le bougon asocial.
Il faut garder à l’esprit que, dans la vraie vie, tout individu peut jouer alternativement l’un ou l’autre de ces rôles, selon le contexte. Il est possible, par exemple, que vous soyez innovateur en ce qui concerne la cuisine, majoritaire dans votre façon de vous habiller et réactionnaire en matière de technologie.
«Si l’innovation présente une réelle valeur, vous n’aurez à travailler que le temps de l’amener au point de décollage; d’autres feront le reste. »
Évidemment, la culture est un phénomène beaucoup plus complexe que ce que ne le laisse paraître cette analogie. N’empêche, elle est utile pour comprendre le processus de la diffusion de l’innovation.
Les innovations qui marchent
Qu’est-ce qui fait qu’une innovation marche? Les théoriciens ont relevé cinq facteurs déterminants. Remarquez que ces qualités ne sont pas indispensables au succès d’une innovation, mais leur présence ou leur absence joue certainement un rôle dans la vitesse d’adoption de l’innovation.
L’avantage relatif: Est-ce que l’innovation est meilleure que le statu quo? Est-ce que les gens la perçoivent comme meilleure? Si non, l’innovation se répandra lentement, ou pas du tout.
La compatibilité: Comment est-ce que l’innovation trouve sa place entre les expériences passées des gens et leurs besoins actuels? Si elle n’est pas compatible avec ces deux aspects, sa diffusion sera difficile. Est-ce que l’innovation exige une modification des valeurs? Si les membres d’une culture donnée ont l’impression qu’il leur faudrait devenir très différents pour adopter une innovation, il y aura de la résistance.
La simplicité: L’innovation est-elle difficile à comprendre et à mettre en œuvre? Plus c’est difficile, plus le processus d’adoption est lent.
L’expérimentabilité: Est-ce que les gens peuvent expérimenter l’innovation, s’y mettre graduellement, ou s’il leur faut l’adopter d’un bloc? Dans ce dernier cas, les gens seront prudents.
La perceptibilité: Si les gens adoptent l’innovation, est-ce que les autres vont s’en rendre compte? Les résultats de son utilisation sont-ils visibles? Si non, l’innovation se répandra lentement.
Des pistes pour l’action
En réfléchissant à la façon de répandre une innovation ou de changer un trait culturel, il est bon de considérer les pistes que voici. Pour instaurer une nouvelle façon de faire dans un système quelconque, il faut s’engager dans les trois pistes en même temps. Évidemment, chaque personne possède des forces particulières pour l’une ou l’autre des avenues, et le processus de diffusion de l’innovation peut être mis en marche par n’importe laquelle. De toute façon, chaque innovation suit un cheminement qui lui est propre.
L’avenue personnelle: Tout ce que quelqu’un peut faire dans sa propre vie. Ça peut vouloir dire recycler, jardiner, inventer une nouvelle technologie, méditer, réduire sa consommation, faire de la bicyclette, marcher, prendre soin de sa santé, étudier, etc.
«Si les membres d’une culture donnée ont l’impression qu’il leur faudrait changer beaucoup pour adopter une innovation, il y aura de la résistance. »
L’avenue médiatique: Toute action susceptible de rejoindre d’autres personnes: des conversations, des lettres, des appels aux tribunes téléphoniques, des t-shirts avec messages, des communiqués de presse, des publicités à la radio ou à la télé, des affiches, des chansons, etc.
L’avenue politique: Tout ce que quelqu’un peut faire pour influencer une organisation sociale. Ça peut vouloir dire créer un système de récupération au bureau, instaurer de nouveaux rituels familiaux, se présenter en politique, participer à des manifestations, proposer des nouvelles politiques, mettre sur pied un comité, lancer un projet de citoyens, etc.
Il arrive souvent qu’on ne situe pas clairement les démarches et qu’on chevauche ces trois avenues. Il est bon quand même que la personne d’action les garde en mémoire, surtout quand elle se demande: «Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire d’autre?»
Pour progresser, il ne suffit pas de vouloir agir, il faut d’abord savoir dans quel sens agir – Gustave Le Bon
8Dans le contexte du modèle rationnel, la diffusion de la stratégie est une des phases du processus d’implantation et est conçue essentiellement comme un processus de transmission d’information à tendance unidirectionnelle. Cette conception se rapproche du modèle de communication traditionnel et de la perspective véhiculée par les études sur la diffusion des innovations (Rogers & Shoemaker, 1971). Dans le cas des organisations, celles-ci traitent de la propagation d’innovations, tel un nouveau produit, une nouvelle technique, et ont été faites principalement par des chercheurs qui s’intéressent au marketing et à l’innovation technologique ou managériale. Ces auteurs adoptent une perspective qui met l’accent sur l’aspect transmission d’information, c’est-à-dire le mouvement de l’innovation dans l’espace organisationnel. Les aspects structurels et temporels de la diffusion sont mis en évidence.