L’Anus Horribilis. Le surprenant nouveau film de Bruno Dubuc
J’ai rencontré Bruno en automne 2005 pendant ma dernière campagne comme candidat pour Projet Montréal. En effet, j’ai beau tenter d’agir à l’opposé du kid Kodac et tenter dans mon rôle de politicien de faire abstraction des caméras, on fini toujours quand même par se demander la nature des médias qui nous prêtent attention. Or, Bruno, justement, est toujours en train de tout filmer; c’est à se demander d’ailleurs ce qu’il filme exactement. Peu importe ce que Bruno sortira sur Projet Montréal, c’est un retour en 2003 que nous propose le réalisateur Dubuc par L’Anus Horribilis. Et franchement, j’ai été totalement surpris par l’originalité du film en question.
Il est vrai, en lisant le résumé de L’Anus Horribilis, je dois avouer avoir trouvé ça abstrait. En effet, il n’est pas évident de trouver un fil conducteur scénaristique quand les principaux éléments pour composer l’histoire viennent d’une myriade d’événements politiques, tous filmés live, caméra à l’épaule. Mais chapeau à Bruno ! Non seulement, l’histoire de L’Anus Horribilis se suit en toute aisance, mais en plus c’est drôlement enrichissant; beaucoup, beaucoup de substance dans ce petit film.
Mise en contexte :
Prenant donc en toile de fond divers événements politiques de cette année mouvementée, Bruno nous raconte (ou plutôt à Maxime, un enfant de son groupe), les raisons qui l’ont amené à fuir le Québec pour la Corse. En effet, il s’avère que Bruno, en tant que protagoniste principal de l’histoire, se voit tranquillement emporté par le mouvement qu’il filme de façon dispersée (d’ailleurs, le film en soit donne une forme à ce mouvement altermondialiste). Or, dans son cas, la température du sujet devient tellement élevée, que Bruno s’oblige d’agir lui aussi, et tente de faire revivre un journal indépendant (L’Anus Horribilis) dans lequel collaboraient plusieurs de ses amis.
Voilà donc Bruno faire le tour de ses ex-camarades pour réactiver leurs côtés militants. Toutefois, une succession systématique de refus contraint Bruno à l’amère vérité… de ses amis, il est le seul à être demeuré actif comme militant, le seul à ne pas s’être fait avalé par le quotidien. Refroidi et désillusionné, sentant sa cause abandonnée par ses anciens amis, politiquement impuissant, Bruno fuit la situation en Corse…. Mais ce n’est que pour mieux se retrouver en faisant le point.
Le climax de ce périple sera ici l’ascension du rocher vers le passage initiatique dans l’arche du Trou de la Bombe; réelle métaphore d’un parcours militant… quelque part aussi, la réussite individuelle pour compenser l’échec collectif. Littéralement comme pour l’ascension d’une montagne, le film redescend tranquillement, et c’est un Bruno bien serein qui retrouve ses amis à Montréal. Le journal Anus Horribilisne revivra pas… mais Bruno a remis en contexte son ancien groupe. Le film se termine donc sur un hommage à l’amitié, valeur sous-entendue supérieure à tout les stress que notre impuissance politique peut faire vivre aux citoyens éveillés. Finalement, n’est-il pas là l’unique formule de survivance pour nous, minorité consciente, enchaînée démocratiquement par les masses aliénées. En effet, faute de pouvoir changer complètement notre système politique, ont peut se changer nous-même, voire toujours se retrouver en petit sous-groupe
Oh mon Dieu!
Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses qu je ne peux changer,
le courage de changer les choses que je peux…
et la sagesse d’en connaître la différence
– Devise des A.A.
C’est bizarre d’ailleurs, nous n’étions peut-être que 200 à la première présentation à l’ONF, mais je me sentais drôlement bien entouré; et un réel sentiment de bien-être m’habitait (il est sécurisant de ne pas se sentir seul dans notre vision du monde). Ce qui fut un prélude au party crissement bien réussi après chez Éric et Simon.
Bruno a investi trois ans pour nous présenter ce film… un littéral concentré de vie durant à peu près 1h30. Sans équipe de tournage, Bruno a pratiquement assuré à lui seul toutes les étapes de la production. Évidemment, il n’a pas été payé… Bruno était plutôt motivé à nous communiquer un ensemble, un ensemble qui inscrit en définitive sa réalisation dans le cadre propre du Cinéma. Et pourtant… ce film vaut en intéret des centaines de fois les navets hollywoodiens qui produisent des millions… et disparaissent dans l’oubli. Croyez-moi, à chaque fois que vous visionnerez L’Anus Horribilis, vous revivrez 2003.
Mon père disait que le salaire du militant était la reconnaissance… Hé bien, hommage au militant Bruno! Hommage au camarade qui nous a donné en son film une nouvelle référence culturelle; le portrait du mode de vie militant de l’homme début quarantaine évoluant dans le Plateau.
La question est maintenant :
Mais où sont les médias ?
Réponse :
Nous sommes les médias !
Le talent ne prend pas feu des applaudissements
– Ovide
Affiche du film : L’Anus Horribilis
Merci pour tes bons mots sur le film, Carl. C’est toujours très intéressant d’entendre ce qui a touché les gens dans dans un objet aussi polysémantique qu’un film. L’un des commentaires les plus fréquents que j’ai reçu suite aux deux projections qui ont eu lieu à date était que c’était un film « très personnel ». C’est fou parce que je sais que c’est éminemment vrai, mais en même temps car tout au long du montage du film c’est bien les péripéties du « militant à la caméra » qu’on a essayé d’organiser, et non les miennes, celles de Bruno Dubuc. Ah bien sûr qu’il y a des « p’tites ressemblances », mais à partir du moment où l’on décide de raconter une histoire, le moindre quidam comme moi devient « un personnage » dont il faut doser les joies, les peines et les emportements pour produire un effet espéré dans le cerveau du spectateur. Pas facile…
Mais tes commentaires, comme d’autres qui m’ont dit que le film leur étaient resté dans la tête un petit bout de temps ou avait été à l’origine de discussions (voir même d’une enguelade, m’a-t-on rapporté !), me font chaud au coeur et me font croire que je ne suis pas complètement passé à côté des objectifs que je m’étais fixés.
Pour ce qui est du Trou de la Bombe, la photo que tu as mise est superbe, mais ce n’est pas le « rocher percé corse » du film. Le trou de la bombe est dans le sud de la Corse dans le massif des Aiguilles de Bavella, alors que le trou « anal » du film est celui du Tafunatu (voir image au http://perso.orange.fr/imagescorse/site10_07.html ) situé tout à côté du Paglia Orba et du mont Cinto, plus haut sommet de la Corse, qui est plus au nord de l’île.
En terminant, je dirai que tu as particulièrement vu juste en disant que la fin du film est un hommage à l’amitié, dans le sens où si les luttes sont pressantes et innombrables, il ne faut pas perdre de vue ce pourquoi l’on se bat et trouver le moyen de vivre dès maintenant, par îlot ou par archipel, cet autre monde que l’on sait possible.
p.s.: pour le DVD et les dates des prochaines projections voir au http://www.legambitdufou.org/anushorribilis.html