La Coupe du monde et moi
Comme pour la grande majorité des Québécois d’origine, le football (désigné soccer en Amérique du Nord) et sa consécration ultime, la coupe du monde, nous est au départ relativement peu familier. Mon premier contact avec le phénomène remonte à 1982… et je me souviens exactement du moment.
J’avais 7 ans, l’âge où les rêves s’envolent encore à la moindre brise. Mon père m’avait emmené, par un de ces étés écrasants où l’asphalte semble vouloir engloutir la ville entière, découvrir le sud de l’Ontario en voiture. Le jour de notre retour, alors que nous roulions sur l’autoroute transcanadienne, le Québec pointant à l’horizon, une étrange caravane fit irruption dans notre périple : des cortèges d’automobiles bariolées, les fenêtres grandes ouvertes, les klaxons enragés, et surtout, ces drapeaux tricolores qui flottaient comme autant de promesses de liberté. Je me souviens encore du visage illuminé de cet Italien qui m’a fixé du regard, ses yeux brûlants d’une joie si pure qu’elle en paraissait presque inquiétante. Penché hors de la fenêtre côté passager, il hurlait à pleins poumons : « Italiaaaaa!!! » Sa voix, déchirant l’air lourd et immobile, m’a poursuivi bien après que notre voiture eut laissé ce cortège derrière nous.
« C’est probablement leur fête nationale », marmonna mon père, plus pour lui-même que pour moi. Mais il y avait dans cette jubilation une intensité qui excédait de loin la simple ferveur patriotique. Ce n’est que quatre ans plus tard, en 1986, que la réponse m’apparut, aussi claire que l’éclat d’un ballon frappant le filet.
À ce moment-là, j’étais en cinquième année à l’école Saint-Enfant-Jésus, plantée en plein cœur du Mile-End, quartier cosmopolite, bouillonnant de vie et de couleurs. Ce lieu, véritable arche de Noé, accueillait des enfants venus de tous les coins du monde. Mais surtout, c’était le bastion des Portugais de Montréal, et c’est à travers mes camarades que j’ai reçu le virus du soccer, ce virus doux-amer qui fait battre le cœur plus fort et brille dans les yeux comme une fièvre. Nos récréations se passaient à courir après un ballon usé, dribblant à travers l’asphalte chaud et rêche comme si notre vie en dépendait. Le soccer était plus qu’un jeu, il était le tribunal suprême où tous nos conflits se réglaient, dans l’éclat d’un tir bien placé.
Dans cette école où la diversité était le pain quotidien, chaque élève portait fièrement ses origines comme un blason. Nos enseignants, sages et bienveillants, tenaient à ce que nous comprenions les coutumes des autres. Chacune de ces petites histoires nationales venait enrichir notre compréhension du monde, créant une mosaïque où chaque couleur avait sa place. Pourtant, il subsistait une sorte de malaise, une hésitation dès qu’il s’agissait de parler de nous, les Québécois. Notre identité nationale restait flottante, sans ancrage. Être Québécois, c’était se débattre dans une mer sans rivage, le cœur lourd de ne pouvoir assumer entièrement ce que nous étions vraiment.
Pour ma part, je n’hésitais pas à afficher mon identité québécoise. Je portais mon chandail des Nordiques de Québec comme une seconde peau, même si cela me valait des regards obliques dans une cour d’école acquise à la cause du Canadien de Montréal. J’appuyais fanatiquement l’équipe qui osait porter les armoiries québécoises, une manière de revendiquer haut et fort notre fierté nationale face à l’équipe en rouge des Canadiens. D’ailleurs, d’une perspective sociologique, cette rivalité, surnommée la « Bataille du Québec », incarnait les tensions culturelles entre Montréal et Québec, et chaque match débordait d’intensité, tant sur la glace que dans les gradins.
Fred, l’expatrié de la capitale nationale, est devenu mon compagnon d’armes, mon allié dans cette quête de défiance et de fierté. Nous décortiquions chaque match avec une minutie de stratèges, échangions des cartes de hockey comme d’autres échangent des promesses, y engloutissant nos maigres économies, et refaisions le monde sous les réverbères tremblotants des ruelles de nos quartiers. Dans la cour d’école, Fred était le seul, tout comme moi, à soutenir les Nordiques face aux Canadiens de Montréal. Nous étions des dissidents dans un océan de partisans rouges, et cette résistance partagée renforçait notre amitié. Captivés par le hockey au point que la pratique devenait inévitable, Fred et moi avions justement rejoint l’équipe de la paroisse Saint-Enfant-Jésus au début de notre quatrième année. Fred était notre gardien de but, celui qui se dressait comme un rempart, et il excellait tant qu’il remporta la médaille du joueur le plus utile, tandis que moi, j’obtins celle du meilleur esprit sportif.
Par la suite, Fred m’accompagna dans mon périple aux études secondaires à Outremont, et il est resté le plus ancien de mes amis, celui qui est toujours là, comme une ancre, même dans les eaux troubles de l’âge adulte.
Pourtant, il arriva un moment où le hockey ne suffit plus. Je n’étais pas très bon, sans doute écrasé par le poids des attentes, ce fardeau invisible que mon père, entraîneur de notre équipe Atome de la paroisse Saint-Enfant-Jésus, déposait sur mes frêles épaules. Ses cris résonnaient sur la glace, exposant sans ménagement mes moindres faiblesses, et chaque échec devenait une mise en accusation publique. Avec le recul, je comprends sa frustration : entre mon oncle Michel et lui, il y avait une compétition silencieuse, presque narcissique, pour savoir lequel de leurs fils atteindrait la Ligue nationale de hockey. Vous devinez bien que je n’ai jamais été dans la course… tandis que mon cousin Patrick, lui, y est parvenu.
Peu à peu, je me lassais de cette oppression muette, de ces instants où le jeu n’était plus qu’un supplice. Alors, quand l’année 1986 arriva, avec ses promesses d’évasion et de nouveaux horizons, je tournai la page et me réfugiai dans le soccer. Dans la cour d’école, il n’y avait alors qu’un nom sur toutes les lèvres : Diego Maradona.
Je me souviens de l’avoir vu pour la première fois à la télévision, ce demi-dieu au regard incandescent, lors du quart de finale contre l’Angleterre. C’était le 22 juin 1986. Quelques minutes avant le chef-d’œuvre, Maradona avait inscrit le fameux « but de la main de Dieu », un geste à la fois illicite et audacieux, marqué d’une ruse presque enfantine, mais validé par l’arbitre dans un moment de grâce aveugle. Puis vint le « But du siècle » : Maradona, partant de son propre camp, dribblant avec une aisance surnaturelle, virevoltait, laissant derrière lui cinq défenseurs anglais, comme des fétus de paille balayés par le vent. Ce but marquait non seulement la domination technique de l’Argentine, mais surtout le triomphe d’une fierté nationale blessée. Ce jour-là, l’Argentine ne se contentait pas de battre l’Angleterre : c’était une revanche symbolique, une riposte à la guerre des Malouines, quatre ans seulement après la défaite. C’était la réponse d’un peuple humilié qui, par les pieds de Maradona, retrouvait sa fierté. Diego Maradona, cet enfant des rues de Buenos Aires, avait vengé les siens avec la grâce d’un ange et la ruse d’un diable, redonnant à son peuple la dignité que l’histoire récente leur avait arrachée.
Inspiré par ce prodige, je voulais devenir le Maradona du Québec, un rêve né d’une identification presque instinctive. Diego Maradona, tout comme moi, était issu d’un milieu modeste, tout comme moi, il était physiquement petit, mais animé par une rage de vivre et de vaincre. J’ai voulu moi aussi, à ma façon, combattre les Anglais, porter haut les couleurs d’un peuple qu’on croyait incapable de triompher. Avec l’argent reçu pour mon anniversaire, je me suis offert un vieux maillot argentin trouvé dans une friperie de la rue Mont-Royal. Il n’avait ni numéro ni nom, juste ces bandes bleu pâle et blanches qui faisaient écho à mes rêves. Mais quand je le portai fièrement à l’école, je me heurtai à l’incompréhension.
Pour mes camarades, je trahissais mes origines en soutenant une équipe étrangère. Ils ne pouvaient comprendre que ce maillot représentait pour moi bien plus qu’une équipe : c’était l’expression d’un rêve d’appartenance, d’une quête d’identité, et une volonté de soutenir le camp des défavorisés face à l’empire colonial anglais, dans un monde où je sentais que mon identité nationale était réprimée, voire menacée d’effacement, par l’héritage de l’empire britannique. À cet effet, ce maillot exprimait ouvertement la preuve qu’il était possible de battre l’Angleterre.
Mon père, lui, acheva la brève histoire de ce maillot d’un seul mot, un mot qui me gifla avec la violence d’une condamnation : « fif ». Ce « bleu poudre », comme il l’appelait, était selon lui la couleur des faibles, des efféminés, une insulte à son idéal de virilité québécoise. Il ne voyait pas dans ce maillot le symbole d’une Argentine triomphante, il ne voyait qu’une menace, un affront silencieux. Je ne suis même pas certain qu’il ait compris que ce maillot représentait l’Argentine, un pays qui venait de se dresser contre l’Angleterre, contre l’humiliation. Non, pour lui, ce n’était que du « bleu fif », et cela suffisait à dénigrer mon rêve, à m’humilier une fois de plus.
Encore aujourd’hui, je reste marqué par le nombre de fois où il m’a traité de « fif », pour tout et pour rien. Pourquoi une telle peur à mon égard ? Pourquoi cette obsession ? Cela reste un mystère que je n’ai jamais résolu. Mon orientation sexuelle, je n’en ai pourtant jamais douté; mais la peur de mon père, elle, était là, tapie dans l’ombre, omniprésente, comme un spectre qui me suivait partout, hantant chacun de mes choix. Même le soccer, pour lui, était suspect. Un sport d’immigrants, disait-il. Pour un garçon québécois, il fallait manier le bâton de hockey, frapper une balle de baseball, faire honneur aux sports des « vrais Québécois ». Mais moi, avec mon maillot bleu poudre et ma fascination pour Maradona, je prenais un chemin différent, celui qui menait loin de ses espoirs et de ses attentes.
Au fond, j’aurais aimé pouvoir porter un maillot québécois, mais ce maillot-là n’existe toujours pas, et il m’était déjà impensable d’arborer les couleurs de mon colonisateur canadien. Il fallut attendre plusieurs années avant que je puisse, enfin, endosser avec fierté le maillot d’une autre équipe, celle de la France — mais cela, c’est une autre histoire.
Aujourd’hui, je repense à ces jours lointains où le soccer était bien plus qu’un sport. La Coupe du monde reste, pour moi, un hommage à la diversité, à cette humanité partagée qui dépasse les frontières. Et il n’y a nul besoin d’avoir un pays en compétition pour en saisir la beauté. Parce qu’au final, ce ne sont pas les trophées qui comptent, mais le fracas des rêves d’enfants, ce fracas qui, même brisé, continue de résonner au-delà des générations. Voilà la véritable victoire.
Le football est inscrit dans les gênes des hommes et chacun de ses spermatozoïdes est un footballeur en puissance qui rêve d’être un jour sélectionné pour aller en finale !
– Vincent Roca (Extrait de la chronique, De quelques mécanismes névrotiques dans le football)
Salut Carl !
Dans ton article tu mentionnes que l’argentine était un sous estimé par les anglais.-Je comprends en un sens ce que tu as voulus dire.
Mais ce n’est pas tout a fait vrai car à cette époque quantre années avant le mundial 82, l’équipe d’Argentine était déjà un gros morceau avec une autre coupe du monde au compteur gagnée en 1978 avec le grand Mario Alberto Kempes.
Malgré la guerre des malouines les rosbeefs britanique savaient et redoutaient un peu Maradona, pour l’avoir vu évoluer quatre ans plus tôt lors de la coupe du monde 1982 en Espagne (C’est là que j’ai eu la chance de le voir jouer pour la première fois).
Ce que les buveurs de thé lipton n’avaient pas prévus c’est la belle main de Dieu qui selon moi est le plus bel acte sportif suivis du coup de boule de Zidane.
Maradona a eu d’autres grands exploits lors du mundial 86 comme la victoire sur l’équipe de Belgique.
On a dis ce jour là que Maradona a joué à un contre onze car il a effacé à lui tout seul les diables rouges d’une manière magique.
Zak| lire ici le dernier article de son blogue: Swedish duo leave CFR Cluj
Une équipe Québec!
Une équipe Québec est tout à fait réaliste dans un Québec indépendant bien sûr.
L’autre jour a eu lieu à Montréal un match entre le Canada et Saint-Vincent pour la qualification au mondial de 2010. Oui une île dont la population est celle du Plateau. 500 personnes ont crié à la suite du but de Saint-Vincent. Oui la fierté de ce pays séparé de la Grande-Bretagne en 1979 y était.
Toutefois, ce qui est plus important à retenir pour les Québécois, c’est qu’un Ali Ngon Gerba né à Montréal en 1982 a marqué 2 des buts du Canada. Plusieurs joueurs du Québec jouent à Montréal (dans une ligue équivalente à une troisième division pro je le concède) mais quand même. Il y a même quelques joueurs comme Bernier et Gerba en Europe.
L’intérêt d’une équipe du Québec est d’autant plus grand qu’un nombre de matchs au Québec contre des équipes tel que le Mexique, le Costa-Rica et éventuellement des matchs amicaux contre la France ou l’Argentine. Le match du Canada contre Saint-Vincent était une exception. Par le passé le Canada a préféré jouer à Vancouver, Edmonton et parfois Toronto.
Bref un Québec indépendant ne peut être que bénéfique pour la popularité du foot ici!