Montebello: Le sommet d’une sombre manipulation policière
Le sommet du PSP à Montebello au Québec vient à peine de se terminer… et nous ne connaissons toujours pas, société civile, la nature de cette rencontre entre Harper–Bush–Calderon. Évidemment, dans un contexte où même les chefs de l’opposition (Dion, Duceppe, Layton) sont autant exclus que les journalistes, nous sommes en droit de nous inquiéter sur le manque de transparence de l’événement… et donc des réels objectifs politiques de cette rencontre.
C’est pourquoi, faute de pouvoir commenter les enjeux politiques de la rencontre, les journalistes ne couvrent donc que le côté superficiel de l’événement. Si bien que toute l’attention de ces derniers se canalise sur le décorum : c’est-à-dire les forces policières et les manifestants (comme l’explique le journaliste Lagacé, c’est presque devenu folklorique). D’un côté donc, il y a les policiers anonymement affublés en sympathique tenue de soldat, de l’autre, un amas bariolé de manifestants hétéroclites… et entre les deux, surtout, le sujet médiatique donc.
Normalement, pendant que Bush et compagnie décide de l’avenir de nos « sociétés démocratiques » dans les salons clos du château Montebello, la police n’aurait du s’en tenir qu’à son fondamental rôle d’assurer la sécurité. Toutefois, dans un contexte de spectacle où c’est l’image qui fera la manchette, la police en arrive malheureusement à devenir aussi une sorte d’acteur. En effet, puisque devant l’opinion publique, il est important de justifier l’utilisation de la bonne police, il faut démontrer que les gros méchants manifestants sont agressifs et incontrôlables. Puis, pour projeter l’identification de l’opinion publique vers le « bon côté », quoi de mieux que de caricaturer les manifestants afin de discréditer leur message politique. Or, quand les manifestants s’avèrent trop pacifiquement disciplinés (ce qui politiquement est donc menaçant), il semble que des forces policières orchestrent l’activation d’agents provocateurs; et franchement, ce scénario est de très mauvais goût dans un système démocratique.
Qui est pris, qui croyait prendre
Pour la plupart, vous aurez déjà tous vu cette vidéo sur YouTube : ce clip de 5 minutes démontre une scène remarquable près de la zone verte policière. En effet, un groupe de trois «provocateurs», vêtus comme des manifestants et armés de pierres, sont confrontés par un syndicaliste et de jeunes manifestants. Ces derniers suspectaient ce trio de bozo agressifs d’être des agents policiers (puisque du côté des manifestants, le mot d’ordre était de ne rien lancer). Puis, un dirigeant syndical tente de démasquer l’un des agitateurs (et on peut apercevoir son visage, soit celui d’un homme dans la quarantaine qui contraste avec l’âge moyen des membres du Black Bloc). Ensuite, le syndicaliste exigera que l’un des agitateurs dépose la pierre qu’il a dans la main, ce dernier réagira d’une éloquente série de « Fuck you » jusqu’à ce qu’il se réfugie derrière la ligne policière. On peut alors constater l’attitude conciliante de l’escouade antiémeute à l’égard des trois « manifestants ».
Le dirigeant syndical : « drop the rock, now ! »
Réponse du faux manifestant de la police : « Fuck You ! »
De mensonge en mensonge
Bien sur, après la diffusion initiale du vidéo, bien que surprise les culottes baissée, la SQ aura nié catégoriquement toute implication. Mais puisqu’il y a des limites à tout mensonge, et surtout, parce que les grands esprits derrière cette opération n’ont pas pensé à modifier les bottes de leurs agents, la SQ admettra finalement son implication par un communiqué officiel.
À la suite de la diffusion d’un extrait vidéo sur le site Internet Youtube.com, impliquant possiblement des membres de la Sûreté du Québec lors du Sommet de Montebello, cette dernière aimerait apporter certaines précisions. Après avoir analysé son contenu, en plus de prendre connaissance des vidéos enregistrées par les corps policiers, elle est maintenant en mesure de confirmer que ces individus sont des policiers de la Sûreté du Québec. Ces derniers avaient le mandat de repérer et d’identifier les manifestants non pacifiques pour ainsi éviter les débordements. Les policiers ont été repérés par les manifestants au moment où ils ont refusé de lancer des projectiles.
En aucun temps, les policiers de la Sûreté du Québec ont agi comme agents provocateurs ou commis des actes criminels. De plus, ce n’est pas dans les politiques du service de police ni dans ses stratégies d’agir de cette manière. À tout moment, ils ont répondu à leur mandat de maintenir l’ordre et la sécurité -SQ
Cependant, si la SQ admet finalement que les trois provocateurs du vidéo sont bel et bien des policiers, elle persévère toutefois à se moquer de l’opinion publique. En effet, dans la version de la SQ, il est remarquable de constater une inversion notable de ce que nous pouvons visionner de nous-mêmes dans la vidéo, soit que les agents concernés auraient été repérés en refusant de lancer des projectiles (mais de toute façon, que faisaient donc dans la foule ces policiers avec des projectiles dans les mains). Donc, relisez une deuxième fois le dernier paragraphe du communiqué… et inversez le propos pour bien discerner la vérité.
La police paye donc des policiers pour lancer des pierres sur des policiers?!? Trouvez l’erreur!!!
Si je suis toujours dégoûté par ce genre d’opération machiavéliquement malhonnête, franchement, en tant que société, à quoi devons-nous nous attendre lorsque l’utilisation des forces policières est détournée contre les intérêts de son propre gouvernement. Parce que formellement durant ce sommet, nos policiers québécois auront servi (dans notre propre pays) à repousser l’accès de notre regard démocratique d’une zone de décision politique. De la sorte, « notre » police se rend-elle compte que ces sommets des forces néolibérales servent à fondamentalement planifier l’exploitation de nos ressources naturelles (essentiellement pour le profit de capitaux étrangers).
Pour la défense des forces policière, vous me direz qu’ils ne font qu’obéir (aveuglément) aux ordres, que leur métier est intrinsèquement d’appliquer la loi sans réfléchir. Cependant, il y a quelque part des responsables à la SQ qui ont autorisé cette immorale opération. Ainsi, en tant que société payant le salaire de notre police, pouvons-nous connaître les noms de ces « cerveaux » derrière cette décision, et surtout, pouvons-nous les interroger sur les réels objectifs de cette mascarade (ici, le Parti Québécois devrait se réveiller en exigeant une enquête). En définitive, bien que la SQ spécifie dans son communiqué que « ce n’est pas dans les politiques du service de police ni dans ses stratégies d’agir de cette manière », nous ne pouvons toutefois plus croire sur parole les communiqués de la SQ; car bris de confiance il y a maintenant. Conséquemment, non seulement nous pouvons nous demander si l’usage d’agent provocateur par la police est une coutume courante dans les manifestations altermondialistes, mais, nous sommes en droit maintenant de nous demander si « notre » police élabore d’autres scénarios ainsi pour manipuler l’opinion publique.
De la sorte, si la morale ne balise plus nos forces policières, il faudra donc, malheureusement, trouver une façon de l’imposer. Or, justement, il s’avère que nous avons, citoyens, une nouvelle arme de justice… et cette arme démocratique s’appelle YouTube. Dorénavant, tenez-vous-le tous pour dit : adoptez un comportement impeccable, car tout peut se savoir, tout peut se voir, tout peut être révélé… nous vous avons amené au XXIe siècle cher policier.
En conclusion, force est de constater dans cette histoire que la vérité ne s’est pas dévoilée par la presse conventionnelle, mais bien par YouTube. Ainsi, face à la volonté d’obscurantisme du système néolibéral, l’ascension du web 2.0 peut agir comme des éclaircies de lumière dans notre sombre paysage politique… et qui sait, peut-être protégera t-il ainsi notre société de glisser vers un état policier.
La police n’a guère de pouvoir; c’est le pouvoir qui a la police – Jean-Michel Wyl (Extrait de Québec Banana State)
Agents de la SQ pris en «flagrant délit»
Brian Myles
Édition du samedi 14 et du dimanche 15 mars 2009
«Qu’est-ce qu’un policier fait avec une roche dans les mains et un foulard sur le visage si ce n’est pas de la provocation?»
Trente-cinq policiers ont participé à l’opération «Flagrant délit» en août 2007 à Montebello.
Photo: Jacques Nadeau
Des document internes de la Sûreté du Québec (SQ) obtenus en vertu de la Loi d’accès à l’information lèvent le voile sur l’étendue de l’opération de surveillance des manifestants lors du Sommet de Montebello, en 2007: 26 agents civils étaient sur place, jour et nuit, dans le cadre de cette opération baptisée «Flagrant délit».
Ces renseignements ont été obtenus par Francis Dupuis-Déri, un professeur en science politique à l’UQAM dont l’un des objets de recherche est la répression des mouvements sociaux par les forces policières. M. Dupuis-Déri a été surpris par l’ampleur de l’opération menée lors du Sommet de Montebello, les 20 et 21 août 2007.
L’organigramme de «Flagrant délit» comprend une équipe de jour, pour encadrer les manifestations, et une équipe de nuit, pour surveiller les militants qui avaient érigé des campements de fortune sur le site du Sommet. Il comprend les noms de 35 policiers de la SQ imbriqués dans la hiérarchie: deux responsables, deux chefs de groupe, cinq chefs de section et 26 agents, parmi lesquels figurent au moins trois agents qualifiés de «provocateurs», et qui avaient été démasqués lors des manifestations en marge du Sommet.
En effet, la SQ avait été plongée dans l’embarras et forcée de reconnaître l’utilisation d’agents d’infiltration au lendemain des manifestations. Des militants avaient pris en grippe trois hommes assez costauds, vêtus de noir et le visage recouvert d’un foulard. L’un d’entre eux portait un t-shirt d’appui à la station CHOI-FM, un accoutrement plutôt rare dans les milieux d’extrême gauche. Un autre tenait une pierre dans ses mains. «Les déguisements n’étaient pas super « tight », ils étaient vaguement habillés en noir», dit Francis Dupuis-Déri.
Une vidéo diffusée sur YouTube (et vue plus de 437 000 fois) illustre à merveille cette situation rocambolesque. Pris à partie par des jeunes vêtus de noir et masqués également, les trois agents d’infiltration semblent déroutés. «Policiers! Policiers!», crient les jeunes militants. Un des agents d’infiltration, excédé, pousse même le président du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP-FTQ), Dave Coles, qui essaie de lui arracher son foulard. Coles demande à plusieurs reprises à l’agent de «lâcher sa roche» en anglais, mais il se fait envoyer paître en termes typiquement québécois. Invectivés de toutes parts, les trois agents finissent par se ranger derrière l’escouade anti-émeute, qui «procède» à leur arrestation. «On va les voir se faire tabasser! Vive la police!», crie un manifestant.
Dans les jours suivant l’incident, la SQ avait fait savoir que les agents en civil avaient le mandat «de repérer et d’identifier les manifestants non pacifiques pour ainsi éviter les débordements». La SQ niait par le fait même que les trois policiers aient pu faire des gestes de provocation ou commettre des actes criminels. Aucune sanction disciplinaire n’a été prise contre eux.
«Mais qu’est-ce qu’un policier fait avec une roche dans les mains et un foulard sur le visage, si ce n’est pas de la provocation?, s’interroge Francis Dupuis-Déri. Il y a quelque chose là-dedans qui me met mal à l’aise. Quand tu te promènes avec un caillou dans la main, c’est sûr que t’as la possibilité d’encourager d’autres à le faire.»
Le chercheur et militant pacifiste mesure trop bien l’utilité des agents provocateurs dans les manifestations. «Il y a des situations où les policiers vont tirer avantage à ce qu’une manifestation dégénère. Ça peut détourner l’attention des arguments critiques du mouvement de contestation, puisqu’on va juste parler des gestes de turbulence dans les médias. Ça peut également faciliter les arrestations, et c’est certain que tant que la manifestation n’a pas dégénéré, les policiers ne peuvent pas faire ces arrestations», explique Francis Dupuis-Déri.
La SQ a tiré des leçons de l’incident, selon les documents internes obtenus par M. Dupuis-Déri. Un compte rendu de réunion suggère de «modifier le profil des personnes sélectionnées afin qu’elles puissent fonctionner de façon efficiente». Il y est question de la «grosseur» des agents et de l’absence de femmes dans les équipes d’infiltration. «Une bonification de la formation et des renseignements concernant les us et coutumes des manifestants serait appropriée. [Il est] plus ardu de se fondre dans la foule avec peu de connaissances», ajoute le document.
Le Sommet du partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP) s’est soldé par quatre arrestations, cinq blessés mineurs parmi les policiers et des dizaines de blessés mineurs parmi les manifestants incommodés par les balles de plastique et les gaz lacrymogènes. Environ 1200 personnes étaient descendues dans les rues du petit village de Montebello (996 habitants) pour protester contre le voile de secret entourant la rencontre entre les trois dirigeants nord-américains, le président mexicain Felipe Calderón, le président américain George W. Bush et le premier ministre canadien Stephen Harper.
Les partis d’opposition à Ottawa, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et des groupes de militants avaient exigé une enquête publique sur l’utilisation d’agents d’infiltration. Le ministre provincial de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, et son homologue fédéral à l’époque, Stockwell Day, sont demeurés sourds à ces doléances.