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Novembre interne

La vie est parfois amère et bizarre. Quand j’ai appris ton départ Dédé, je venais tout juste d’arrêter d’écouter ton dernier album, «Dehors Novembre», que j’avais finalement arrivé à louer à la Phonothèque la veille. La nouvelle me fit un véritable choc, un coup de poing en pleine figure qui m’envoya au tapis. J’ai beau dire que je ne suis pas croyant, des fois on pourrait se laisser dire qu’il y a des signes équivoques. Moi qui venais pour la première fois de palper l’état d’esprit de ton dernier disque, je devais conceptualiser avec résistance ta disparition. Je remis consterné le son de ta conscience dans le lecteur CD, et j’y ai bu en larmes chaque parole avec réflexion. De cette deuxième écoute je discernai un autre son de cloche: tu regardais directement dans le fond de l’abysse… mais l’abysse aussi regardait au fond de toi. Quand on regarde la mort dans les yeux, la vie peut y perdre son sens.

J’ai encore souvenance de mon premier contact avec ton esprit. C’était en 95 dans le studio d’une émission culturelle animée par René Homier-Roy à radio-canada. Tu avais été invité en tant que représentant de la génération X à t’exprimer sur le sujet. Ainsi par ton franc parlé, ta lucidité, ton courage, ta sensibilité, ton authenticité et ton dévouement, tu fus pour moi une heureuse révélation. Je fut séduis de voir en toi la même énergie qui m’anime, cette rage de vivre de l’homme en quête d’absolu, ce désir de prendre sa place au monde avec ses valeurs… nos valeurs. Tu mérita de la sorte ma compréhension, mon plus grand des respects et mon approbation totale. Je pense que tu le perçus par le regard profond que nous nous échangeâmes pendant une pause publicitaire. Par ta présence, je pouvais enfin me sentir représenté sur la scène sociale québécoise, et jamais tu me déçut.

Je n’oublierai jamais que tu as eu la force de relancer notre moral en démarrant le party au Medley lors de la défaite référendaire, je n’oublierai jamais d’avoir dansé comme le feu pendant tes prestations, je n’oublierai jamais tes nombreuses implications sociales pour répandre un peu de bon sens en ce bas monde, je n’oublierai jamais tes adieux à l’ADISQ ou tu nous confiais que le fait de t’écouter t’empêchait de devenir fou.

Mais maintenant nous sommes orphelins dans ta folie Dédé. Non tu n’étais pas tout seul, y fait frette actuellement dans nos p’tit cœurs. Ton départ a transformé notre mois de mai en novembre.

Pourtant je respecte ta décision. Tu as fais plus que ta part, davantage que n’importe quel de nos carriéristes de politiciens. Dans un contexte culturel aliénant ou nous sommes voués à n’être que des récepteurs relégués à une image autre que la nôtre, tu as su diffuser ton énergie et faire ta place dans ce monde ou tout ce qui compte n’est que pouvoir et profit. Tu étais l’un des rares à considérer ton public comme une opinion plutôt qu’un marché. En refusant de te complaire dans le confort et l’indifférence, de jouer le jeu des exploiteurs endimanchés aveuglant la population d’artifice et de bonheurs préfabriqués, tu as pris fait et cause pour ton peuple mésadapté et rêveur. Ce peuple, si souvent traité à tort de raciste par ses détracteurs, que tu démontra finalement chaleureux et ouvert d’esprit par tes alliances et ta musique multiculturelles. Comme tu me rendais fier d’être québécois Dédé. Bref, tu t’en étais mis beaucoup sur les épaules, le poids de nos espoirs, de notre combat. Tu t’es offert corps et âme. La vie, tu t’y ai donné à fonds.

Ton combat de vie doit continuer. Après ton passage, ton essence est toujours encore en nous, nous ton public. Et ta mort c’est un peu la nôtre. Je ne peux donc pas accepter ta disparition sans rien faire… ce serait hisser le drapeau blanc, d’accepter ta mort spirituelle; notre reddition. Si t‘étais pas fait pour vivre dans ce monde, ben moi non plus je ne le suis pas. Tu ne me laisses aucun choix. Je dois aller au front compenser la perte de ton talent, ce générateur d’énergie; ton souvenir me poussera à m’accrocher à nos rêves, à me dépasser pour survivre.

Le lendemain de l’annonce de ton trépas, je ne pus dormir. La vie est un long voyage et j’avais toujours cru qu’un jour on allait se croiser en tenant une bonne discussion. C’est ainsi, histoire de finalement m’entretenir avec toi, qu’à 3 heures du matin je pris la direction de ta demeure en t’apportant une bière. Bien que je sois resté jusqu’à 6 heures, je ne pus me recueillir seul avec toi tellement le deuil est grand dans notre communauté. En cette soirée cependant, j’y ai constaté la naissance d’un symbole éternellement jeune, d’une légende bien québécoise.

C’est pourquoi aujourd’hui je t’écris: pour te dire adieu et t’assurer que la relève est là. Ton œuvre reste inachevée, mais elle poursuivra son évolution dans la conscience des citoyennes et citoyens de ton pays fictif.

Ton étoile vient peut-être de s’éteindre dans le ciel du Québec, mais ta lumière elle brillera encore longtemps en nous. Le rayonnement de ton âme va survivre dans la mémoire de ceux qui t’ont aimé, et crois moi, nous sommes beaucoup plus que tu pouvais le penser.

Merci Dédé de nous avoir si intensément éclairé. J’en garderai à jamais la mémoire au cœur.

Carl

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