Fragments d’un premier amour
Durant ma 3e année à l’école St-Enfant-Jésus dans le Mile-End, dans la classe de Léontine, je ne me rappelle pas m’être intéressé à mes camarades de la gent féminine. Bien que Pascale Perreault m’ait toujours paru sympathique, elle était trop réservée pour que je puisse développer une relation avec elle. Cependant, en 1984, au premier jour de ma 4e année, j’ai réalisé avoir un intérêt grandissant pour elle. Non seulement j’étais heureux de savoir que nous serions encore dans la même classe, celle de Pierre Bibeau, mais elle me semblait avoir changé durant les vacances d’été. Dorénavant, elle captait mon attention avec ses longs cheveux bruns coiffés avec une frange, son regard intelligent et doux, et son sourire énigmatique. C’était comme si je devenais plus sensible à sa beauté, son énergie… ou à un je-ne-sais-quoi qui m’attirait. Peut-être était-ce aussi l’émergence de mon propre intérêt pour les filles qui s’éveillait. Ce nouveau sentiment m’intriguait profondément et commençait d’ailleurs à me distraire de mes études en classe.
Pascale était timide et ne parlait que rarement en classe. Discrète, elle n’attirait l’attention que de moi, semblait-il. Avec un regard tendre et attentif, elle capturait parfaitement l’innocence et la simplicité de l’enfance. Chaque matin, j’avais hâte d’aller à l’école, non seulement pour apprendre, mais surtout pour la regarder. Pendant les récréations, je trouvais des excuses pour me rapprocher d’elle. Ainsi, j’ai commencé à jouer à des jeux de filles, comme la corde à danser, et à tenir les élastiques (un jeu auquel je ne comprenais rien et qui ne m’intéressait même pas). Certains camarades riaient de moi pour aller jouer avec « les filles », mais bon, cela me permettait de passer du temps avec Pascale et de m’ouvrir à la culture de leur monde. Cependant, il m’était tout de même difficile de résister à l’envie de jouer au soccer, à la balle au mur ou au ballon chasseur, mes jeux habituels, afin d’explorer ce nouvel univers.
J’ai pu encore me rapprocher davantage d’elle sur le trajet entre l’école et nos domiciles, car nous étions voisins. Elle habitait au-dessus du restaurant de son père sur Laurier, et moi juste à côté dans la coop La Loge sur Clark. Les moments où nous traversions ensemble le Parc Lahaie, situé entre notre école et nos maisons, étaient parmi mes favoris de mes journées d’école. Un jour, ma mère, ayant probablement remarqué mon affection pour ma camarade, décida de me donner 5$ par jour pour aller dîner au restaurant du père de Pascale. Cela me permettait de passer encore plus de temps avec elle et d’apprécier sa compagnie sur l’heure du midi.
À cette époque, 5$ par jour était un montant considérable, surtout pour des gens de notre classe modeste. Cela représentait un véritable sacrifice de la part de ma mère. Je n’avais pas réalisé à l’époque, ni la valeur de l’argent, ni l’importance du temps de qualité que cela me permettait de passer avec celle qui faisait ainsi battre mon cœur pour la première fois. D’ailleurs, je tiens aujourd’hui à remercier ma mère pour ce geste généreux et bienveillant.
Ainsi, nous partagions des moments précieux. Pascale était douce et gentille, et avait commencé à se confier à moi, rendant chaque instant passé avec elle encore plus spécial. Un jour après l’école en juin, alors que nous traversions le Parc Lahaie sur le chemin du retour, je lui ai demandé de s’asseoir sur un banc pour lui dire un secret. Franchissant ma propre gêne, je lui ai donné un bref bec sur la joue et lui ai murmuré « je t’aime ». Ses joues sont devenues rouges de surprise, mais elle m’a finalement répondu par un discret « moi aussi ». Ce fut un beau moment de complicité et concrètement mon premier baiser à vie; un moment marquant dans mes souvenirs.
Quelques jours plus tard, vers la fin de notre quatrième année scolaire, Pascale m’annonça que son père avait vendu son restaurant et qu’ils allaient bientôt quitter Montréal. N’ayant pratiquement aucune expérience en relations amoureuses, je ne pouvais pas encore imaginer comment faire évoluer notre relation ou la maintenir dans le temps. Sur le moment, je n’avais pas réalisé qu’elle venait en quelque sorte de me dire adieu. Les vacances sont arrivées et, emportée par le cours de la vie, je n’ai plus jamais revu Pascale. Ainsi, notre rencontre s’était développée naturellement et s’est désintégrée de la même manière. Notre fugace « histoire d’amour » s’est terminée comme elle avait commencé, c’est-à-dire naïve, pure et innocente… justement à l’image de l’enfance. Après le départ de Pascale dans ma vie, je n’ai plus jamais été capable de retourner dans ce fameux restaurant de nos rendez-vous quotidiens.
En définitive, ce souvenir demeure gravé dans mon cœur. Pascale a été mon premier amour, révélant la puissance de ce sentiment en moi, même à un jeune âge. En repensant à cette époque, je souris en évoquant la simplicité et la pureté de cet amour enfantin. Pourtant, encore aujourd’hui, je suis hanté par le fait que je n’ai jamais pensé à lui demander son nouveau numéro de téléphone. À cette époque pré-internet, il n’était pas facile de maintenir les liens, ce qui ajoute une nuance de regret à ce précieux souvenir.
Chaque fois que je traverse le Parc Lahaie, je me revois déambulant avec Pascale dans les sentiers, un souvenir qui me ramène à l’aube de ma vie où tous les chemins s’ouvraient devant nous. Parfois, je me demande encore ce qu’elle est devenue. Tellement qu’au début de Facebook, j’ai tenté de la retrouver en écrivant des messages privés à plusieurs Pascale Perreault. La seule qui semblait correspondre à mes souvenirs ne m’a jamais répondu. Peut-être qu’avec le temps, elle a tout simplement oublié mon existence. Finalement, peut-être vaut-il mieux laisser mon souvenir de Pascale intact, préservant son image dans la pureté de mon enfance. En fin de compte, ces moments éphémères sont comme des fragments d’un rêve, nous rappelant la beauté et la fragilité des premiers élans du cœur.
Le premier amour est une petite folie et une grande curiosité
– George Bernard Shaw
Doux souvenir incandescent !