Entre père et fils: Une soirée au cœur des feux
L’été de mes 10 ans en 1985 reste gravé dans ma mémoire pour une soirée particulièrement inusitée avec mon père. Cette soirée spéciale, où nous avons assisté à une compétition de feux d’artifice sur l’île Sainte-Hélène, a transformé mon été en un souvenir inoubliable.
Cette soirée mémorable a eu lieu lors de l’International Benson & Hedges, une compétition réputée pour ses chorégraphies spectaculaires synchronisées avec de la musique. Les feux étaient tirés depuis La Ronde, le parc d’attractions situé sur l’île Sainte-Hélène, face au Vieux-Port de Montréal.
À l’époque, cet événement était tout nouveau à Montréal et faisait beaucoup parler de lui dans toute la métropole. Mon père et moi étions intrigués par ce phénomène qui attirait tant l’attention des médias et de notre entourage. La perspective de finalement voir ce spectacle de renommée internationale nous excitait énormément.
Fidèle à ses convictions pseudo communistes, mon père et moi n’avions pas de billets pour assister au spectacle depuis les gradins payants de La Ronde. Cependant, nous étions déterminés à trouver le meilleur endroit gratuit pour profiter du spectacle. Après avoir exploré plusieurs options, nous avons décidé de nous installer sous le pont Jacques-Cartier, au bord de l’eau sur l’île Sainte-Hélène.
Nous avons commencé à longer la berge en direction de La Ronde, espérant trouver un endroit où nous pourrions voir les feux sans payer. En marchant le long du rivage, nous avons soudainement rencontré une clôture qui se jetait dans l’eau. Déterminés à ne pas laisser cette barrière entraver notre aventure, nous avons contourné la clôture en pataugeant légèrement dans l’eau, parvenant ainsi à pénétrer dans le secteur privé de La Ronde.
Quelques instants après avoir traversé la clôture et longé la berge, en nous approchant de la Grande Roue, nous avons remarqué des espèces de tubes cylindriques disséminés un peu partout autour de nous. En voyant ces objets enveloppés de plastique, nous avons présumé qu’ils faisaient partie des préparatifs pour de prochains feux d’artifice. Cette découverte a ajouté un élément de mystère et d’excitation à notre aventure.
Ainsi, nous étions sur la berge nord à l’extrémité est de l’île Sainte-Hélène, aux abords de la Grande Roue, à un endroit qui nous semblait idéal pour profiter du spectacle. Nous nous sommes installés confortablement, couchés dans le sable de la berge, les yeux rivés vers le ciel au-dessus du fleuve, ravis de l’endroit que nous avions trouvé. Nous pouvions même entendre le son officiel de l’événement grâce aux haut-parleurs de La Ronde. Cependant, à l’endroit où nous nous sommes allongés… nous étions entourés par plusieurs installations avec les fameux tubes cylindriques.
La musique a commencé à résonner, annonçant le début du spectacle pyrotechnique. Notre excitation a atteint son paroxysme en entendant résonner le compte à rebours.
Au cœur de l’action
Lorsque le compte à rebours est arrivé à zéro, les feux ont démarré… juste à côté de nous (évidemment à partir des fameux tubes cylindriques). C’était comme une batterie de DCA crachant ses projectiles vers le ciel. Je vous laisse deviner le saut que nous avons fait en entendant et voyant ces explosions si près de nous.
Les explosions étaient si proches que nous pouvions sentir la chaleur et entendre le sifflement des fusées juste au-dessus de nos têtes. C’était à la fois terrifiant et exaltant. Le ciel s’illuminait de toutes parts, chaque explosion résonnant dans notre poitrine comme le battement d’un immense tambour. Nous étions enveloppés par un tourbillon de lumière et de son, nos sens submergés par la puissance de la pyrotechnie.
Courant comme un lapin affolé sous le chaos des feux d’artifice, j’étais en train de céder à la panique. Voyant cela, mon père m’a rabattu au sol. En me regardant durement dans les yeux avec un sourire amusé, il m’a surnommé « Soldat » avec une gravité dramatique, comme si nos vies dépendaient de la mission qu’il allait me donner. Il m’a dit que nous étions à la guerre, durant le débarquement de Normandie, et que notre mission était de courir rapidement à travers les dunes pour nous abriter des feux ennemis. Il m’a expliqué que je devais prendre possession d’une tranchée vers le pont en m’avertissant de faire attention aux avions Stuka dans le ciel. C’est ainsi qu’il m’a dit : « À mon commandement soldat… courez ! »
Mon père courait derrière moi, hurlant comme un dingue avec un rire démentiel, répétant, « cours, soldat, cours ! » Il prenait même le temps de ramper à terre comme dans un jeu de rôle, poussant le simulacre jusqu’à lancer des grenades imaginaires à des supposés ennemis derrière les dunes pour me faire rire et dédramatiser la situation… pourtant réellement dangereuse. Finalement, nous nous en sommes sortis indemnes, du moins physiquement.
Conclusion
Nous avons probablement pu passer si facilement dans le secteur pyrotechnique parce que les artificiers ou les gardiens des accès avaient reçu l’ordre de partir quelques minutes avant le lancement du spectacle pour des raisons de sécurité. Avec du recul cependant, je réalise que nous étions dans une meilleure position que les premières loges de l’événement, directement au cœur de l’action. Comme on dit ici en anglais, « priceless« .
La magie de cette soirée est restée avec moi à travers les années. Ce n’était pas seulement le spectacle époustouflant d’une vie, mais aussi un moment de complicité et d’aventure partagé avec mon père. Cette expérience m’a appris l’importance de garder son sang-froid et de trouver de la joie et de l’émerveillement même dans les situations critiques.
Cette nuit-là, au cœur des feux d’artifice, j’ai appris qu’on se sent plus vivant dans les moments les plus inattendus et les plus dangereux. Pour le meilleur et pour le pire, ce moment extraordinaire avec mon père est peut-être le meilleur souvenir que je garderai de lui. Ce souvenir, niché au cœur de ma mémoire, me rappelle que la vie trouve souvent son sens dans les éclats de lumière au milieu du chaos.
Les souvenirs se construisent avec des moments d’éternité
– Jean d’Ormesson