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Posté par le 23 juillet 2024 dans Souvenirs

Face à l’inattendu : Une « chute » sur la rivière L’Assomption

 Aventure en canot-camping sur la Rivière L'Assomption : défis, rapides et résilience. Découvrez notre périple inoubliable de Joliette à Verchères.

Suite à ma mésaventure mémorable sur la Rivière du Diable que je vous ai racontée la semaine dernière, j’ai repensé à une autre escapade en canot qui avait pris une tournure inattendue. C’était en août 1994, lorsque mon ami Thierry, récemment éprouvé par une rupture amoureuse avec Marie-Esther, avait besoin de s’évader de ses pensées sombres. Pour lui changer les idées, j’ai proposé une aventure en canot-camping sur la rivière L’Assomption.

Pour cette expédition, nous avions utilisé mon canot rouge en fibre de verre que mon père m’avait fait acheter avec le cachet d’acteur que j’avais reçu pour le film « Les Tisserands du pouvoir » (dans lequel j’interprétais le personnage principal durant son enfance). Ce canot, d’une seule quille, était stationné chez mes grands-parents paternels à Verchères. Durant mon adolescence, j’ai souvent amené des amis faire du canot, et la grande majorité de nos trajets partaient logiquement de chez mes grands-parents à Verchères, qui habitaient directement sur le bord du Fleuve St-Laurent.

Pour cette aventure toutefois, nous avons décidé de suivre un itinéraire plus ambitieux : partir sur la rivière L’Assomption en amont de Joliette pour la descendre jusqu’à Repentigny, où elle se jette dans le Fleuve St-Laurent. L’idée était ensuite de suivre le courant du fleuve jusqu’à Verchères, où nous pourrions déposer le canot chez mes grands-parents. Cette longue descente nous promettait un parcours symbolique, retraçant la dégradation progressive de la nature sous l’effet tangible de l’activité humaine. Ce voyage nous emmènerait des eaux vives et pures des Laurentides, à travers les zones agricoles où la pollution commence à se faire sentir, jusqu’aux égouts de Joliette, où la rivière, alors la plus polluée du Québec, se transforme en une véritable cicatrice environnementale avant de se jeter dans l’immensité du Fleuve St-Laurent.

Cette rivière incarnait le paradoxe de notre propre jeunesse. À 19 ans, Thierry et moi étions comme ces eaux tumultueuses et encore pures, précipités dans le courant d’une société que nous appréhendions, voire rejetions. La transition de la rivière, de ses débuts sauvages à son état pollué en passant par des zones d’agriculture intensive, reflétait notre propre voyage à travers la vie. Nous naviguions dans un monde où l’idéalisme et la pureté de notre adolescence étaient progressivement entachés par les réalités du monde adulte, ses compromis, et ses désillusions.

Comme la rivière L’Assomption, nous nous sentions souvent submergés par les exigences et les attentes d’une société industrialisée, où nos rêves et nos idéaux semblaient se dissoudre dans les eaux troubles de la réalité. Chaque coup de rame allait symboliser nos efforts pour maintenir notre cap, pour rester fidèles à nos convictions malgré les courants contraires. La rivière, jadis une force de la nature, devenait un miroir de notre propre quête d’identité et de sens dans un monde en perpétuelle transformation.

Malgré nos plans initiaux d’un lancement bucolique en amont de Joliette, la réalité a pris un tournant différent. Mon père, chargé de nous transporter avec mon canot, a trouvé trop compliquée et coûteuse la tâche de localiser un site adéquat pour mettre à l’eau dans les Laurentides. Il a finalement décidé de bifurquer vers Joliette, jugeant que poursuivre nos recherches consommerait trop d’essence. C’est ainsi que notre aventure a commencé non pas sur des eaux accueillantes, mais directement à l’endroit où les égouts de la ville déversaient leurs flots dans la rivière, marquant de façon abrupte le début de notre périple.

Thierry et moi, au début de notre aventure sur l’Assomption

Cet inattendu point de départ nous confrontait immédiatement à la dure réalité des impacts humains sur la nature. Les eaux, loin d’être pures, charriaient des débris et exhalaient une odeur désagréable qui contrastait violemment avec l’image idyllique que nous nous étions faite de notre descente de la rivière L’Assomption.

Une fois mon père parti, la journée étant déjà bien avancée, il nous a fallu rapidement trouver un endroit pour monter la tente. Thierry et moi, encore sur un rythme de vie nocturne, n’étions pas prêts à dormir lorsque la nuit est tombée. Nos habitudes de vie nous avaient éloignés du rythme diurne de la société active. Nous étions souvent éveillés jusqu’aux petites heures du matin avec un groupe d’amis partageant des habitudes discutables. D’ailleurs, cette expédition était justement pour moi une tentative de revenir à un rythme de vie plus sain et équilibré.

Après avoir installé notre campement sommaire au bord de la rivière, nous avons réalisé que l’aventure ne faisait que commencer. D’emblée vêtus de nos habits d’expédition, nous avons décidé de partir explorer le centre-ville de Joliette à pied. L’idée de découvrir cette ville sous un autre angle, alors que le calme nocturne s’installait, nous a semblé attrayante.

Le lendemain matin, après une nuit passée à réfléchir sur le sens de nos vies réciproques, nous avons enfin entamé notre descente de la rivière L’Assomption. Armés de nos rames et d’une détermination renouvelée, nous avons glissé sur les eaux troubles de la rivière, laissant derrière nous les égouts de la ville et espérant trouver des tronçons plus cléments en aval.

Cette journée était chaude et ensoleillée, le soleil tapait fort, rendant notre progression encore plus éprouvante. À cette période de l’année, vers la fin août, le niveau de l’eau était extrêmement bas. La rivière ressemblait plus à un gros ruisseau, et nous avons passé la majeure partie de la journée à haler notre canot à travers les roches, les pieds dans une eau brunâtre remplie de débris organiques et de papier de toilette qui, parfois, s’enroulait autour de nos chevilles. Le peu de parcours que nous avons réellement pu canoter était bref et peu satisfaisant. C’était loin d’une partie de plaisir et notre vitesse de croisière était moins rapide qu’une personne à la marche. La frustration et le découragement commençaient à nous gagner.

Pour ma part, maîtrisant le coup en J et ayant une certaine expérience à descendre des rapides au camp de vacances Minogami, spécialisé en canot, je me suis logiquement positionné à l’arrière du canot afin de pouvoir le diriger. Au cours de la journée, j’ai pu donner un cours rudimentaire à Thierry, un parfait débutant en canot, pour lui expliquer les coups d’appel et les coups d’écart. Étant positionné à l’avant du canot, je lui avais alors suggéré la responsabilité théorique de décider de la trajectoire de notre canot dans les éventuels rapides.

Vers la fin de l’après-midi, épuisés et démoralisés, nous avons soudain aperçu un tronçon de beaux rapides s’étendant à perte de vue. Le courant semblait prometteur, et le niveau de difficulté, que j’avais sommairement évalué à R2, était parfait pour obtenir un rush d’adrénaline sans pour autant avoir l’impression de se sentir en danger. Fatigués de notre progression lente et pénible, notre premier réflexe a été de nous y lancer aveuglément, espérant que ces rapides nous offriraient enfin un peu d’excitation et de facilité après une journée si éprouvante.

Durant la descente des rapides, je me positionne généralement sur mes genoux dans le canot pour obtenir un meilleur équilibre et un champ de vision plus élevé. Cette position me permet de mieux voir les obstacles à venir, comme les roches, et d’anticiper les manœuvres nécessaires pour les éviter. En regardant attentivement devant le canot, je peux discerner les obstacles à temps et choisir la manœuvre adéquate pour les contourner ou les franchir en toute sécurité. Il ne sert à rien de se concentrer sur les roches qui frappent immédiatement le canot, car il est généralement trop tard pour réagir. De même, il ne faut pas perdre de temps à observer l’horizon car notre attention doit être focalisée sur le secteur immédiat devant le canot, là où chaque seconde compte pour éviter les dangers. Le coup en J, utilisé pour maintenir la trajectoire du canot, était donc ma principale manœuvre tandis que Thierry devait se concentrer sur les coups d’appel (ramener l’eau vers le canot) et les coups d’écart (écarter l’eau du canot) pour orienter notre direction.

À travers le tumulte des rapides, Thierry essayait tant bien que mal de me dicter la direction à prendre, mais rapidement dépassé par la vitesse de notre embarcation, il a fini par réaliser que c’était moi qui finalement tranchais la direction, car il ne savait manifestement pas lire adéquatement les « patterns » des roches à travers le courant. Mon défi était d’éviter les collisions frontales tout en maintenant le canot le plus droit possible. Un écart trop grand pour contourner une roche ou une direction trop abruptement prise pouvait nous faire perdre le contrôle du canot. Le pire était d’exposer le fragile flanc horizontal du canot au courant, risquant même d’être emporté à l’envers.

Au paroxysme de notre concentration, après deux bonnes minutes de rapides plus intenses qu’ils m’apparaissaient initialement et qui accaparaient toute notre attention… il m’a semblé discerner une ligne de sommet d’arbres apparaître à l’horizon (!!!). Stupéfait et incrédule, je me suis écrié en panique : « THIERRY ! C’EST-TU UNE CHUTE ÇA !?! »

Sa réponse ne vint pas avec des paroles, mais avec son corps paralysé par la peur et un regard terrifié dans la direction du mien. Un regard de trois secondes, submergé de frayeur, confirmant la matérialisation de ma question d’emblée affirmative. Ce regard qui me demandait explicitement, dans un mélange sublime entre « Qu’est-ce qu’on fait, Carl ? » et « On est mort », restera à jamais gravé dans ma mémoire, comme un moment d’éternité flottant entre deux mondes.

Après ce flottement de trois secondes qui m’a semblé une éternité, j’ai dû rapidement calculer et décider entre deux options : soit de braquer le canot vers l’une des rives ou essayer de rester le plus droit possible en espérant trouver une voie impromptue à travers le seuil. Le pire scénario ici étant d’arriver dans une chute avec le flanc du canot exposé à l’horizontale, comme je l’ai expliqué précédemment.

En désespoir de cause, j’ai pris la décision de braquer le canot vers la rive gauche. En donnant frénétiquement les plus forts coups d’avirons de ma vie, je hurlais à Thierry le simple mot « RAME! » à répétition comme l’expression primaire de mon instinct de conservation. Je vous jure, si vous aviez entendu l’intonation de ma voix, une combinaison impérieuse et empreinte de panique, vous auriez compris tout notre état d’esprit à ce moment-là. Chaque cri, chaque mouvement de rame était une injonction désespérée pour survivre, pour éviter le pire.

Finalement, à moins de dix mètres du seuil, l’avant du canot a atteint la rive en catastrophe, permettant à Thierry de sauter promptement vers la sécurité. Mais à peine avait-il touché terre que la force du courant poussa l’arrière du canot, et moi-même, en direction de la chute. Pris de panique, je sautai dans la direction opposée au courant, comme je l’avais appris dans mes cours de formation à Minogami (car il ne faut jamais se faire coincer entre le canot et une roche). Cependant, la force du courant était telle que mes jambes furent littéralement aspirées sous le canot.

Abandonnant ma rame pour pouvoir me maintenir à deux mains sur la rambarde du canot, je mis en application une technique que j’avais stockée dans le fin fond de ma mémoire : « me balancer » sous le canot pour éviter que mon poids n’amène l’eau à remplir l’embarcation. Cela aurait inévitablement entraîné le canot vers la chute avec moi. Finalement, je dois mon salut à Thierry, qui prit la peine de revenir me porter main-forte en tirant le canot vers la terre ferme.

À peine avais-je atteint la sécurité de la terre ferme que je me précipitai vers la chute pour observer si nous avions réellement échappé à la mort. Cependant, il était impossible de descendre ce seuil depuis notre rive, alors je décidai de remonter en amont vers le début des rapides pour traverser la rivière à pied et atteindre l’autre côté. Il faut dire que l’essentiel de nos bagages ayant filé vers la chute, je me sentais pressé de pouvoir les retrouver.

C’est ainsi que je pus aller contempler par moi-même la fameuse « chute ». Je suis resté quelques minutes ainsi à méditer, face à la force de l’eau, tentant d’imaginer ce qu’aurait pu être notre destin si j’avais décidé d’aller droit devant. En réalité, ce n’était pas tant une chute, mais plutôt un gros seuil en deux paliers. Si je pense que nous aurions probablement survécu à cet obstacle, je demeure convaincu que le canot n’aurait pas résisté à cette épreuve.

Je pense avoir retrouvé dans Google Earth l’endroit en question : la Chute-à-Morin.

Après avoir récupéré l’essentiel de nos bagages, dont ma fameuse rame (ouf !), je commençai à me demander ce que faisait Thierry. En remontant en amont, j’aperçus Thierry affalé sur le dos, immobile, sur une grosse roche plate de mon côté de la rive. En m’approchant de lui, quelque peu inquiet de sa condition, je le découvris hébété, en état de choc, les avant-bras ensanglantés et sa montre fracassée. Dans une attitude catatonique, il m’expliqua qu’il avait voulu me rejoindre, mais en traversant la rivière trop près des rapides, il avait de nouveau été emporté par le courant. À voir l’état de ses avant-bras, je pouvais imaginer le drame qu’il venait de revivre.

L’intégrité de nos bagages étant compromise par l’eau et le crépuscule approchant, nous décidâmes de nous mettre à la recherche d’un abri de fortune. À l’époque, ne pouvant donner de nouvelles, car les cellulaires n’étaient pas courants et l’internet ne nous était pas encore connu, nous étions livrés à nous-mêmes. Nous trouvâmes finalement refuge dans un Winnebago non verrouillé pour y dormir quelques heures. Décidément, quelle journée mémorable ce fut !

Carl Boileau

Une chute d’eau est une métaphore de la vie : parfois, il faut accepter de tomber pour avancer

Le lendemain, au deuxième jour de notre expédition, la rivière L’Assomption nous dévoila enfin ses charmes. La colère des eaux s’était apaisée, et nous avons pu glisser sereinement sur ses flots tranquilles. Chaque coup de rame nous rapprochait de la quiétude recherchée, et nous pouvions enfin apprécier la splendeur des paysages qui nous entouraient. Le chant des oiseaux et le murmure de l’eau accompagnaient notre progression, apaisant nos esprits après les tumultes de la veille. Je n’avais jamais vu autant de hérons bleus que durant ce parcours. Ces majestueux oiseaux, immobiles et gracieux, semblaient nous guider le long de la rivière, ajoutant une touche de magie à notre voyage.

Thierry Philibert

Thierry, momentanément heureux

Au troisième jour, vers la fin de l’après-midi, nous avons atteint notre destination chez mes grands-parents à Verchères. Fatigués mais heureux de retrouver la civilisation, nous avons été accueillis chaleureusement. En nous installant sur la terrasse pour assister au coucher de soleil face au majestueux fleuve, un sentiment d’accomplissement nous a envahis. Notre périple sur la rivière L’Assomption, bien que semé d’embûches, s’était finalement achevé sur une note de sérénité.

En fin de compte, cette excursion fut une métaphore de notre propre parcours de vie : un mélange de défis imprévus et de moments de grâce, où chaque difficulté surmontée nous rapproche un peu plus de la destination finale. Tout comme les eaux tumultueuses de la rivière, la vie continue de couler, poursuivant son cours malgré les obstacles. Elle nous invite à avancer, à grandir et à apprendre.

Cette aventure nous a également enseigné l’importance de la préparation. Une de mes grandes erreurs fut de ne pas avoir une carte détaillée de la rivière en ma possession ; je n’avais qu’une carte générale des eaux canotables du Québec, illustrant la rivière L’Assomption en aval de Joliette en « vert facile ». L’autre erreur fut de ne pas nous arrêter avant d’entreprendre les rapides afin de planifier et de s’entendre sur le chemin à prendre. Mais bon, si nous avions suivi les règles de l’art, je n’aurais jamais pu vous raconter cette mésaventure aujourd’hui. Concrètement, en termes d’émotion, ce fut plus puissant que n’importe quel manège de La Ronde.

Les chutes de la rivière ne sont pas des fins, mais des passages vers de nouveaux commencements.
– Proverbe indien

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