D’un destin à l’autre
Ayant dormi tout le dimanche précédent, je suis frais et disposé pour ma rencontre à 14 h avec Jean-Paul Comble à l’Hôtel de Ville. Toutefois, conscient d’être au début d’un périple qui se promet déjà d’être un point tournant de ma vie, j’irai préalablement clore solitairement un chapitre de ma vie passée. Pour ce faire, je bifurquerai au Pont des Arts avant le rendez-vous. Et voilà, retrouvant le banc où j’étais étendu à ses côtés moins de 48 heures auparavant, l’endroit est idéal pour rompre avec l’objet sacré qui me liait à ce chapitre.
Au risque de vous paraître illuminé, j’avoue, depuis le printemps 2000, avoir trimbalé dans mes poches un petit anneau. C’était mon secret, je ne l’ai jamais montré à personne, je n’en ai jamais parlé à qui que ce soit. Cet anneau de couleur argenté était des plus banals, mais sa valeur à mes yeux résidait dans sa représentation qu’il m’évoquait : le symbole physique de ma volonté spirituelle à renouer avec elle, un engagement envers moi-même à devenir meilleur pour y arriver. En effet, la particularité de l’objet était dans l’instant singulier de sa découverte. À ce moment, elle venait de m’annoncer la «fin des marguerites», promettant toutefois que nous resterions des amis (vous savez, je connais ce refrain par cœur, il me fut chanté en canon par des dizaines de filles différentes).
Elle était beaucoup plus jeune que moi, et bien que je savais cette relation autant improbable qu’impossible à conserver, j’étais vraiment attristé de ce deuil à faire. Je suis allé donc, après l’officialisation de notre séparation, me balancer au petit parc coin Berri/Roy, à l’endroit même où je l’avais embrassé auparavant ; et c’est à ce moment-là que j’ai trouvé ce petit anneau dans le sable boueux. Était-ce un signe du destin ? Si, je ne suis pas croyant à priori, vous le constaterez cependant, j’aime des fois me raconter des histoires… voire trouver des signes où il n’y en a pas nécessairement. Peu importe, la découverte de ce petit objet m’a réconforté, et même, m’a redonné un certain espoir. Je suis allé donc nettoyer derechef ma trouvaille… sans aucunement appréhender que six années plus tard, j’irais le déverser dans la Seine à 7000 km de Montréal. Anneau maudit ! Tu me faisais miroiter l’existence de l’amour… mais tu m’auras fais perdre six années à fantasmer stérilement.
Je n’ai pas pleuré, je ne me suis pas retourné… aucun passant ne m’a vu délaisser l’anneau dans le fleuve. Je suis libre… ma nouvelle vie peut commencer ! Il faut croire que j’étais cette fois-ci déterminé à m’échapper de cet amour insensé.
Si regarder en arrière te donne du chagrin… prends tes jambes à ton cou et fuis vers l’avant
Habitués des lieux, passants, touristes, jeunes en groupe venant pique-niquer sur le pont, donnent leur point de vue sur les cadenas, leur disparition, et, à travers ceux-ci, parle de l’amour, du lien, de l’éphémère, de l’éternité… valeurs que tout un chacun garde au fond de lui, même quand l’être aimé n’est plus…
Sous le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Guillaume Apollinaire ( 1880 – 1918 )
Alcools, 1913
« j’y aurai plutôt jetÈ la clef…
Ceci étant dit, j’ai bien aimé votre réflexion et ce rappel de ce merveilleux poème d’Apollinaire… Continuez !