Infiltration verte à l’Hôtel de Ville de Paris
J’ai bien hâte de finalement rencontrer Jean-Paul. En effet, celui-ci fut le premier Vert parisien avec lequel je me suis entretenu au téléphone de Montréal… le premier allié de mon projet de stage parisien. Puis, moment tant appréhendé, l’Hôtel de Ville s’impose physiquement devant moi. Je contemple quelques instants l’impressionnant bâtiment. En effet, non seulement sa tonalité architecturale évoque les allures d’un palais de la renaissance, mais sa façade regorge de politiciens statufiés… comme l’heureux présage de rejoindre bientôt une nouvelle histoire. Je prends un long souffle, puis m’engouffre dans l’antre de mon stage.
Jean-Paul viendra me chercher à la réception ; et comme je le pensais, il a tout au plus une dizaine d’années de plus que moi. Après quelques formules d’usage, nous prenons le chemin pour se rendre à l’étage du secrétariat des Verts. Sur notre itinéraire, premier fait cocasse, Jean-Paul me fait remarquer, non sans ironie, que le personnel de l’Hôtel de Ville entrepose de nombreux conteneurs servant au recyclage… devant le couloir menant chez les Verts (peut-être ici, une façon de démontrer leur reconnaissance aux artisans de la pratique du recyclage).
Cour intérieur de l’Hôtel de Ville de Paris
Une fois à destination, histoire de remercier Jean-Paul de m’avoir amené dans l’épicentre de mon projet, je lui léguerai un présent québécoisement « origi-banal » : comprendre ici une canette de sirop d’érable. D’ailleurs, je ne tarderai pas à révéler mes couleurs indépendantistes, évoquant l’éventuelle situation absurde de l’unifolié canadien face à un Québec séparé (en effet, l’érable à sucre ne se rentrouvre presque qu’exclusivement qu’au Québec). Peu importe, Jean-Paul profitera de cette introduction au sujet politique pour me faire personnellement visiter le petit royaume du maire Delanoë.
Je me rappelle alors des propos de Pascale Sauvage transcrits dans son livre Delanoë en son royaume, livre que j’avais préalablement lu à Montréal quand je concoctais mon projet de stage.
«Le soir de la victoire socialiste du 18 mars 2001, devant des milliers de Parisiens réunis sur la Place de l’Hôtel-de-Ville, le nouveau maire Delanoë fit tinter triomphalement un trousseau de clefs pour signifier à la tribu chiraquienne qu’elle était dépossédée de sa forteresse, « cette maison est désormais la vôtre » leur promit alors le vainqueur».
En effet, imprenable pour la gauche depuis un siècle, l’Hôtel de Ville de Paris était la citadelle de la droite chiraquienne, l’antichambre du château de la présidence Française en quelque sorte. Or, si la silhouette extérieure de l’Hôtel de Ville est familière à tous, bien peu connaissent la géographie intérieure, résultat de l’histoire souvent tragique d’une capitale écartelée entre les fastes du pouvoir et les rebellions du peuple. Mais, nous y voici maintenant, les Verts, à l’aide d’une des clefs conquises par Delanoë ; et nous nous introduisons joyeusement dans l’âme politique de Paris … je me sens comme un gamin à qui on vient de donner la clef d’un immense magasin de friandises.
Un visiteur sans guide aurait vite fait de s’égarer dans le dédale de couloirs qui dessert les 15000 mètres carrés de ce bâtiment, un vrai labyrinthe. Toutefois, tous les chemins mènent à Rome, comprendre ici, à la salle des séances du Conseil de Paris. Je suis très impressionné d’être alors physiquement positionné dans un des foyers les plus ardents de l’histoire de la démocratie moderne. Si à ce moment le feu y est éteint, le banc vide de Denis Baupin à mes côtés me garantit cependant un réchauffement prochain en ce lieu. Comme je suis chanceux d’en être bientôt le témoin privilégié.
Jean-Paul m’amène alors à La Buvette, le petit café juxtaposant la salle des séances du conseil. D’ailleurs, les jours de conseil justement, quand les conseillers cherchent à propager des rumeurs ou distiller des informations bien intentionnées, ils s’attardent au comptoir de La Buvette. Effectivement, c’est ici que les journalistes, « accrédités » ou non, pêchent les petites phrases et prennent la température de la vie municipale, souvent en prise avec l’actualité nationale. D’ailleurs, Jean-Paul m’apprend que la journaliste Pascale Sauvage y traînait elle-même fréquemment, n’hésitant pas à payer des verres de whisky pour glaner des informations dans son processus de rédaction du livre Delanoë en son royaume. Toutefois, il s’avère que ce livre n’est en fait qu’une pâle suite par rapport au documentaire culte de la même auteure : « Paris à tout prix ».
Nous retournons au secrétariat. Jean-Paul me présente alors Pierre Lada, secrétaire générale du groupe, Serge Rivret, son adjoint administratif, et Catherine Hurtut, attachée en charge des communications. Cette dernière est d’ailleurs confortablement installée dans l’ancien bureau de Bertrand Delanoë du temps où celui-ci n’était que simple conseiller (voir Paris à tout prix). Ces quatre collègues forment le noyau dur de l’administration du groupe, ils sont bien coordonnés et besognent beaucoup.
Puis, Sylvain Garel rentre en scène. Celui-ci est un des conseillers du 18e arrondissement, plus particulièrement celui du quartier mythique de Montmartre. Après une brève discussion avec Pierre Lada, Sylvain accepte avec enthousiasme de me prendre dans son bureau (disons qu’il a un certain faible pour les Québécois… son ancienne femme étant du pays). M’installant donc à mon nouveau poste de travail, j’échange alors avec Sylvain sur mon parcours académique… et je suis stupéfait de m’apercevoir que celui-ci connaît (mieux que moi) le nom de mes anciens professeurs en scénarisation cinématographique. Il s’avérera en effet que l’original conseiller Vert du 18e est aussi un professeur de cinéma… spécifiquement un professeur de cinéma québécois. Formellement, il a co-écrit Les Cinémas du Canada, puis, à longtemps été directeur du festival du cinéma québécois de Blois. Intéressant… disons que pour un politicien, Sylvain Garel n’est pas coulé dans un moule classique ; d’autant plus que la douceur qu’il dégage contraste avec son physique baraqué comme un lutteur de la WWF.
- Lire ici dans un article de La Presse, ce que Sylvain, et d’autres personnalités françaises, pense de Montréal
- Lire ici une entrevue avec Sylvain par Parisist
- Sylvain est aussi engagé dans le réseau de lutte contre l’extrême-droite
Je remarque alors les cheveux ramassés en queue-de-cheval de Sylvain… replaçant ainsi, grâce à ce repère visuel, son personnage dans le livre Delanoë en son royaume. Effectivement, il est avec coïncidence le premier Vert décrit dans ce livre, exactement dans le chapitre où Pascale Sauvage relate les changements de mœurs apportés par les Verts à l’Hôtel de Ville. D’ailleurs, lorsque je démontrerai physiquement à Sylvain le paragraphe du livre en question, celui-ci fera une moue dédaigneuse. En effet, il m’expliquera que Pascale Sauvage avait mentionné de lui, dans un de ses articles parus dans Le Figaro, qu’il avait été par le passé Trotskiste-Léniniste. Ce qui s’avère n’importe quoi selon l’intéressé. Depuis, Sylvain n’est absolument plus intéressé par les écrits de la journaliste. Comme quoi, il faut vérifier la source de ses informations avant de parler d’autrui. Mais pour donner raison à Sylvain, il est vrai que dans ce livre, la journaliste n’a jamais trouvé l’intérêt d’aller prendre l’avis des Verts sur quoi que ce soit. Or, tous les «cancans» qu’elle relate dans Delanoë en son royaume viennent systématiquement de ses discussions avec des individus de d’autres formations politiques, principalement celles de droite… étrangement, l’obédience politique du journal Le Figaro pour qui elle travaillait. Ainsi, il est indéniable que ce livre est orienté dans le prisme des perceptions des personnes avec qui la journaliste fraternise. À bien y penser, le seul intérêt qu’elle porte aux Verts dans ce livre, c’est leur apparence vestimentaire.
Assurément, il est vrai, depuis l’élection de la majorité de gauche en 2001, les Verts ont produit leur effet dans les mœurs de l’Hôtel de Ville. Maintenant, un vrai groupe (22 élus avec bureaux, collaborateurs, secrétaires et adjoints) œuvrent dans l’enceinte politique. Arrivant à vélo, décontractés, pratiquement vêtus comme n’importe quel citoyen, cette nouvelle «race» d’élus est aux antipodes d’un Édouard Balladur (UMP) qui se fait encore ouvrir les portes par des employés en queue-de-pie. Ainsi, deux mondes se télescopent dorénavant à l’Hôtel de Ville. Formellement, avant 2001, rares étaient les personnes admises à pénétrer dans l’auguste palais municipal. Pour ce faire, il fallait presque y être invité par la «famille UMP», cette engeance hautaine, sectaire et soi-disant élitiste. D’ailleurs, moi-même, je dois quelquefois faire face à des relents de cette ère, quand, à l’entrée de l’enceinte, certains gardes se résignent à me laisser accéder… non sans me porter un regard teinté d’incompréhension et de mépris. En effet, disons qu’un « jeune-québécois-stagiaire-Vert», de surcroît arrivant travailler en roller sans cravate… la vielle garde n’aime pas trop.
Il est vrai, cependant, qu’à l’Hôtel de Ville de Paris, nous pouvons discerner l’appartenance politique des passants simplement à leur accoutrement. De la fenêtre de mon bureau menant à la cour intérieure des élus, je m’amuse d’ailleurs souvent à observer les allées et venues.
Costard cravate sombre, habits moulés sans plis, démarches coincées, visage austère, déambulant comme des Body Snatchers… ce sont assurément des UMP. Chemise et veston souple, portant une cravate colorée… ce sont des socialistes. Et si vous ne pouvez distinguer l’appartenance politique par les habits, hé bien vous avez le choix entre un membre des Verts, un visiteur ou un quelconque employé. D’ailleurs, pour moi, c’est une philosophie en soit, pour un politicien municipal de se vêtir comme le citoyen qu’il représente. En effet, c’est une question d’accessibilité: nous nous voulons à l’image de nos concitoyens plutôt que celle d’une « élite » conservatrice et dépassée, d’autant plus que le municipal est le premier niveau de proximité politique avec les électeurs.
Cependant, en toute franchise, lors de cette première journée à l’Hôtel de Ville, j’étais quand même stressé par rapport à mon habillement ; en effet, je ne tenais pas à attirer l’attention, disons. Or, le premier contact étant visuel, je devais faire attention à ma présentation. D’ailleurs, certaines personnes dans mon entourage au Québec, sincèrement bien attentionnées, m’avaient fortement conseillé d’en faire plus que coutume quant au port de mes vêtements, voire, de porter une cravate. «Tu verras» me disait-on, «en France le respect de la hiérarchie est primordial, d’autant plus en politique». Heureusement, j’ai encore fait à ma tête, et je m’en suis tenu à mon costume habituel : Pantalon et soulier de ville le tout agrémenté d’un col roulé enveloppé de mon inséparable veston en cachemire (le cachemire ne se fripe pas, c’est donc un textile très utile en voyage). Ainsi, être arrivé en complet veston-cravate devant les Verts, et j’aurais été d’entrée en décalage avec la culture propre de la formation… qui après tout, est aussi la mienne. Mais, à ce moment-là, on m’a relaté une anecdote et je suis devenu totalement à l’aise. En effet, lorsque Christophe Girard, l’adjoint du maire responsable de la culture, est un jour, arrivé dans une séance du conseil en veston-pentalon-cravate rose fuchsia, il y a de quoi ne plus trop s’en faire avec l’apparence. Formellement, avec les Verts parisiens, il faut rester modeste et ne pas se prendre trop au sérieux, et surtout, ne jamais vouvoyer. D’autre part, nous pourrions globalement les définir comme étant: intello, critique, revendicateur, militant, anticonformiste, innovateur, libertaire… avec un sens de l’humour assurément aiguisé. (Singulièrement, j’ai la nette impression de me décrire ici). Toutefois, les Verts ici ne sont pas naïfs pour autant, à vrai dire, ils peuvent être aussi de redoutables politiciens professionnels… leur position dans la majorité du maire n’étant pas le fruit du hasard.
De la sorte, avec les Verts de Paris, non seulement je suis resté moi-même, mais en plus, mon intégration fut complètement naturelle. Formellement, pour la première fois dans une formation politique professionnelle, je me sens comme un poisson dans l’eau : je peux finalement assumer mon orientation politique en demeurant totalement intègre avec ce que je suis. Assurément, cet état me manquera à mon retour au Québec.
On résiste à l’invasion des armées, on ne résiste pas à l’invasion des idées
– Victor Hugo
Voir ici mes meilleurs photos prisent dans le cadre de mon stage