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Posté par le 14 décembre 2025 dans Indépendance du Québec, Québec solidaire

La marginalisation de Québec solidaire. Un danger sous-estimé pour le camp du OUI

La marginalisation de QS fragilise le camp du OUI. En s’éloignant de la nation, la gauche risque de devenir un levier involontaire du statu quo fédéral.

Quand l’effondrement d’un pôle fragilise toute la coalition souverainiste

Dans mon texte précédent, Le train fou de Québec solidaire, je décrivais un parti lancé à vive allure sans véritable aiguillage, mû par une inertie partisane plus forte que sa capacité à lire le réel, une formation qui parlait beaucoup de justice, mais de moins en moins de nation, un convoi qui se fragmentait à mesure que la base se crispait sur une pureté doctrinale incompatible avec l’action d’un peuple en marche. J’y montrais un parti oscillant entre la posture morale et le refus de prendre réellement position dans le camp du OUI, avançant sans carte ni horizon partagé.

Le train fou de Québec solidaire

cliquez sur l’image pour lire mon précédent article : Le train fou de Québec solidaire

Or, le récent départ de Jimmy Thibodeau de Québec solidaire vers le Parti québécois fait basculer cette analyse du registre métaphorique au constat brut. Il ne s’agit pas d’un simple changement d’allégeance individuelle, mais d’un signal politique lourd de sens. Car Thibodeau n’était pas un militant de passage. Il fut l’un des principaux artisans de l’aile souverainiste de Québec solidaire, co-porte-parole du collectif Option nationale après la fusion, responsable du dossier de la souveraineté à la Commission politique, puis directeur de campagne lors de la course au co-porte-parolat de Sol Zanetti. Pendant près d’une décennie, il a tenté de maintenir vivante la dimension nationale au sein d’un parti où celle-ci se rétrécissait progressivement. En quittant aujourd’hui QS pour se tourner vers le PQ, dans un geste posé et sans éclat, il acte le décrochage d’une pièce essentielle du convoi, lucide devant l’impossibilité d’atteindre la station souveraineté à bord du train orange de Québec solidaire.

Et ce départ n’est pas isolé. La démission récente de Vincent Marissal a déjà fait sauter un autre wagon du convoi, révélant l’ampleur d’un malaise interne que plusieurs préféraient ignorer. Quand des députés s’en vont, quand des artisans idéologiques quittent à leur tour, c’est souvent que la locomotive a perdu sa boussole. Chaque détachement fragilise l’équilibre, expose davantage le noyau restant, et radicalise la trajectoire d’un parti désormais forcé de se replier sur le discours dominant qui subsiste, celui d’une gauche identitaire fermée à toute dimension nationale.

 QS réinvente une phrase célèbre, qui devient : « Que le dernier sorti laisse la porte ouverte »
– Claude Dufour dans Facebook

La lettre de Jimmy Thibodeau, parue cette semaine dans Le Devoir, rend cette fracture impossible à ignorer. Elle montre un parti qui n’est plus un véhicule pour l’indépendance, mais un espace où la souveraineté ne subsiste que comme parure idéologique. Elle met surtout en lumière le danger d’un QS replié sur une gauche identitaire détachée de la nation, un parti devenu imprévisible, vulnérable aux influences fédéralistes, et qui, dans une campagne référendaire, pourrait se transformer en l’un des instruments les plus efficaces du NON pour maintenir le Québec enchaîné au régime fédéral.

Ce danger n’est plus théorique. Il porte un nom, un visage, une lettre ouverte, un départ.

Je ne peux plus défendre le souverainisme de Québec solidaire

cliquez sur l’image pour lire la lettre de Jimmy Thibodeau : “Je ne peux plus défendre le souverainisme de Québec solidaire”

Ce que révèle vraiment le départ de Jimmy Thibodeau

La force du texte de Jimmy Thibodeau vient de sa sobriété. Pas de règlement de comptes, semble-t-il, pas de dramaturgie inutile. Juste un homme qui décrit ce qu’il a vu de l’intérieur : une majorité de militants hostiles ou indifférents à l’idée même d’indépendance, une base pour qui la souveraineté n’est acceptable que si QS en prend le contrôle, jamais si elle vient d’un autre parti, et surtout pas du PQ.

Il rappelle que Sol Zanetti a remporté la course au co-porte-parolat non pas sur son orientation souverainiste, mais parce qu’aucun candidat adverse n’avait sa notoriété. Il souligne que les deux autres candidats, soutenus par l’ensemble du caucus, ont tenu des propos désastreux sur la question nationale. Et il note que toute tentative de convergence dans le style de la formule en 2017 serait, aujourd’hui comme hier, noyée dans des procédures internes conçues pour que rien n’avance.

Mais c’est son avertissement principal qui secoue. Jimmy Thibodeau affirme que même si la direction parvenait miraculeusement à rallier QS au OUI, le parti imploserait aussitôt. De cette implosion émergeraient les militants les plus hostiles du camp du NON.

L’analyste de Québecor que nous ne devrions plus présenter, Nic Payne, l’a résumé avec justesse : jamais un acteur interne n’avait formulé ce constat avec une telle précision. Jimmy Thibodeau admet même avoir participé malgré lui à ce sabotage de la cause indépendantiste, et en s’en retirant, il revient à l’esprit fondateur d’Option nationale, ce parti qui avait rêvé d’un rapprochement entre justice sociale et indépendance.

Pourquoi la marginalisation de QS n’est pas une victoire pour le OUI

À première vue, tout cela semble de bon augure pour le Parti québécois. Voir autant de figures souverainistes quitter QS et se rapprocher de lui donne l’impression d’un mouvement qui se ressoude, d’une aile progressiste qui revient vers le vaisseau amiral après un long détour idéologique. Sur papier, cet élan pourrait même laisser croire que le souverainisme regagne enfin du terrain à gauche, que la dispersion des dernières années se renverse.

À cet effet, une quinzaine d’anciens d’Option nationale avaient déjà tiré la sonnette d’alarme dès 2023, invitant à délaisser QS pour le PQ. Puis la Dre Mélissa Généreux, candidate vedette de QS en 2022, a laissé entrevoir un glissement significatif en se rapprochant du PQ à titre d’experte, saluant publiquement la rigueur et l’ouverture de Paul St-Pierre Plamondon. Peu après, Nadia Poirier, deux fois candidate de QS dans Terrebonne, a claqué la porte en affirmant que le parti « n’a de solidaire que le nom » avant de rejoindre officiellement le PQ. Même le député Vincent Marissal, en démissionnant de QS, a laissé entendre qu’il pourrait lui aussi faire le saut au PQ. Et aujourd’hui, Jimmy Thibodeau appelle ouvertement les souverainistes solidaires à franchir le pas.

Toutefois, ce passage de Thibodeau au PQ semble aussi confirmer une tendance que je redoutais depuis un moment, c’est-à-dire que l’aile souverainiste de QS ne joue plus son rôle d’équilibre, encore moins celui de relais vers l’ensemble du peuple québécois. Elle n’est plus ce pont qui permettait à la gauche progressiste de s’arrimer au projet national, mais une composante marginalisée, isolée, puis graduellement expulsée par les dynamiques de radicalisation internes du parti. Et lorsque ce pont disparaît, ce n’est pas seulement QS qui se contracte, c’est tout le mouvement souverainiste qui perd un canal essentiel pour rejoindre celles et ceux qui portent la justice sociale, l’inclusion et l’idéal d’un pays plus égalitaire.

Or, derrière cette manifestation d’un renforcement du PQ en vue de la prochaine élection se dessine aussi un spectre plus inquiétant à long terme. Car les ralliements individuels de QS vers le PQ, aussi encourageants soient-ils sur le plan partisan, témoignent aussi de l’effondrement d’un pôle indispensable au camp du OUI. Ils révèlent un langage politique qui s’éteint, un espace que le fédéralisme est déjà en train d’infiltrer sournoisement, comme toujours, dès que la loyauté envers le Québec recule d’un pas. Là où certains verront un chantier de reconstruction, il faut plutôt reconnaître un déséquilibre structurel : la coalition nécessaire au pays se rétrécit, et une partie de la gauche québécoise se retrouve ainsi en rupture avec le mouvement indépendantiste.

La réalité est donc plus nuancée. La marginalisation de QS affaiblit le camp du OUI parce que l’équilibre du mouvement souverainiste repose sur une véritable coalition, faite d’une gauche nationale forte, d’un centre pragmatique et d’une droite souverainiste assumée. Retirez l’un de ces piliers, et l’ensemble perd de sa portée. Parallèlement, dans une éventuelle campagne référendaire, j’imagine mal comment nous pourrions mobiliser pleinement la société civile sans l’appui explicite d’une gauche partisane capable de rejoindre les milieux communautaires, syndicaux et culturels, ces espaces où se forgent naturellement les réflexes de solidarité et de justice.

Sans la voix souverainiste de QS, le PQ se retrouve seul à porter la question nationale, ce qui ouvre la porte aux caricatures que la propagande fédéraliste recycle depuis des décennies : un souverainisme identitaire, fermé, réactionnaire, xénophobe, fascisant ou carrément raciste. Des accusations grossièrement fausses et calomnieuses, mais redoutablement efficaces auprès d’un électorat peu politisé. Que la gauche partisane puisse dériver vers le camp du statu quo fédéraliste n’est pas seulement absurde sur le plan de la cohérence, c’est surtout un handicap stratégique majeur pour un mouvement de libération nationale qui a besoin de toute sa diversité pour respirer. Et cela, justement, les acteurs fédéralistes qui gravitent autour et dans QS l’ont parfaitement compris.

QS comme instrument involontaire de la stratégie fédéraliste

À la lumière des tendances observées dans les sondages actuels, la perspective d’un QS réduit à deux ou trois députés en 2026 apparaît de plus en plus plausible. Un tel recul électoral risque de replier cette formation dans un entre-soi idéologique étanche, un milieu où la radicalité identitaire néo-progressiste tient lieu de boussole, et où tout ce qui touche à l’identité québécoise est aussitôt désigné comme une dérive « fasciste ». Le terme est anachronique, j’en conviens, mais il revient à la mode comme arme de propagande symbolique destinée à disqualifier moralement les nationalistes québécois (et, par ricochet… à justifier subtilement le maintien du régime fédéral).

Dans un tel état de fragilité, le parti ne se contente pas de se radicaliser, il devient structurellement plus vulnérable au noyautage. Car plus une organisation se rétrécit, plus son équilibre interne se fragilise, au point où un sous-groupe discipliné (par exemple des militants parallèlement affiliés au NPD), voire un seul individu occupant une position d’autorité, peut infléchir de façon disproportionnée l’orientation générale. Or, toute organisation affaiblie attire inévitablement ceux qui cherchent à la détourner de sa raison d’être, et cette porosité peut être exploitée par des acteurs dont la loyauté première ne va pas aux intérêts du parti qu’ils investissent. C’est dans ce contexte qu’apparaissent ce que j’appelle ici des « agents », non pas nécessairement au sens fantasmatique du terme, mais comme des acteurs politiques qui peuvent d’abord évoluer en observateurs discrets, s’insérer sans heurt dans les structures existantes, puis s’activer progressivement lorsque le rapport de force interne le permet. Leur rôle n’est alors plus passif. Ils agissent de l’intérieur pour hiérarchiser les priorités, influencer les débats et amener la formation concernée à adopter des positions qui servent un agenda extérieur à sa mission affichée, en l’occurrence, dans ce qui nous intéresse ici, la souveraineté du Québec.

La fameuse affaire Haroun Bouazzi constitue d’ailleurs un véritable cas d’école. Elle montre comment un élu peut, au grand jour, se placer en porte à faux avec l’intérêt politique immédiat de sa propre formation. Ce qui frappe dans cette séquence n’est pas seulement la controverse qu’elle a suscitée, mais la hiérarchie des priorités qu’elle a révélée. En affirmant que les discours tenus à l’Assemblée nationale participaient à la construction d’un « autre » culturel intrinsèquement dangereux, et en laissant entendre que la société québécoise et ses représentants politiques nourrissaient un racisme systémique, Bouazzi a consciemment privilégié une logique d’accusation morale plutôt qu’une stratégie de dialogue ou de pédagogie politique.

Racisme allégué à l’Assemblée nationale : Haroun Bouazzi dit faire « de la pédagogie »

Cette posture, loin de chercher à bâtir des ponts, a contribué à les brûler, car Bouazzi mise sur un ressentiment réel présent dans certaines communautés, mais au lieu d’en faire un point de départ pour un dialogue élargi, il en fait un levier de confrontation assumée. Ce député a adopté une approche plus proche du communautarisme, opposant frontalement la société d’accueil à des groupes qu’il présente comme systématiquement marginalisés. Le fait qu’il ait revendiqué cette prise de parole, en la diffusant lui-même, témoigne d’une volonté de maintenir ce cadrage, même au prix de ruptures durables.

Son refus initial de s’excuser clairement et de se rallier sans ambiguïté à la position de son caucus a achevé de cristalliser le malaise. Il a envoyé un signal politique sans équivoque. Pour Bouazzi, et pour une frange militante fortement idéologisée au sein du parti, l’acte de dénonciation morale primait désormais sur la crédibilité électorale de Québec solidaire, sur sa capacité à rassembler et sur sa cohésion interne. Autrement dit, la posture idéologique a pris le pas sur la cohérence stratégique, révélant un agenda qui entre objectivement en contradiction avec les intérêts de QS et avec toute ambition de construire un rapport de force politique durable.

Il faut ici nommer les choses clairement. L’adoption d’une posture d’avant-garde morale alignée sur les réflexes multiculturalistes du régime libéral canadien n’est pas électoralement payante pour Québec solidaire. Elle ne permet ni d’élargir la base du parti, ni de rassurer l’électorat francophone majoritaire, ni de rapprocher QS de l’exercice réel du pouvoir à l’Assemblée nationale. En revanche, elle sert objectivement les intérêts du pouvoir fédéral à Ottawa, qui y trouve un appui commode pour fragiliser les politiques nationales québécoises, notamment en matière de laïcité. Elle sert aussi les priorités propres de Haroun Bouazzi, dont l’engagement politique s’inscrit avant tout dans la défense de réseaux communautaires et religieux ayant fait de la contestation de la loi 21 et de la laïcité québécoise un axe central de mobilisation. Il n’est d’ailleurs pas anodin de rappeler que Bouazzi n’a jamais, à aucun moment de sa trajectoire publique, exprimé une adhésion claire au projet de souveraineté du Québec, pourtant constitutif de la mission officielle de QS.

Autrement dit, ce glissement ne répond pas à une rationalité électorale interne à Québec solidaire. Il correspond à un déplacement plus profond de la fonction du parti, qui cesse progressivement d’être un véhicule cherchant à gouverner le Québec pour devenir un levier idéologique utile au maintien du statu quo fédéral. Dans cette configuration, l’utilité politique de QS ne se mesure plus à sa capacité de gagner, mais à sa capacité de disqualifier, de fragmenter et de détourner le débat national.

Ce déplacement entraîne un renversement des priorités politiques. Plutôt que de chercher à bâtir des ponts avec la majorité francophone ou à renforcer sa crédibilité électorale, Québec solidaire se retrouve entraîné dans une logique de confrontation où l’attaque de la société d’accueil, de ses lois et de ses institutions devient centrale. Cette orientation entrait en contradiction directe avec le virage pragmatique que Gabriel Nadeau-Dubois tentait d’opérer, afin de sortir le parti de sa condition de formation protestataire condamnée à l’opposition perpétuelle et de l’amener vers une posture crédible de conquête du pouvoir. L’affaire Bouazzi a rendu cette fracture impossible à nier. Dans un parti déjà fragilisé, un seul élu a pu imposer son cadre d’analyse et ses priorités, non pas en marge, mais précisément parce que, dans un espace idéologique resserré, ce type de posture tend rapidement à s’imposer comme norme.

Les conséquences ont été lourdes. Cette crise n’a pas été qu’un épisode médiatique, elle a révélé les limites concrètes de l’autorité de Gabriel Nadeau-Dubois et de sa capacité à arbitrer entre posture morale et responsabilité politique. Le parti a, de fait, choisi de protéger une ligne idéologique rigide plutôt que de maintenir une cohérence stratégique collective. Aux lendemains de sa démission, Vincent Marissal a lui-même évoqué ce climat interne devenu irrespirable, où la surenchère idéologique prenait le pas sur toute considération électorale, comme l’un des facteurs ayant mené à son départ.

Haroun Bouazzi et Gabriel Nadeau-Dubois

Crise de l’investiture contestée d’Haroun Bouazzi en 2023. En sacrifiant la base militante locale sur l’autel du branding woke, Québec solidaire a ouvert une fracture durable en son sein. Coup ironique du destin, Gabriel Nadeau-Dubois n’en aura finalement pas été une victime innocente, mais l’artisan rattrapé par ses propres choix politiques.

C’est exactement ce type de dynamique qui risque de s’accentuer si Québec solidaire se marginalise davantage après 2026. Plus un parti se rétrécit, plus ses contrepoids internes disparaissent, et plus il devient perméable à des acteurs capables d’imposer leurs priorités, leurs cadres d’analyse et leurs alliances implicites. Dans un QS affaibli, privé d’une aile souverainiste structurée et d’un leadership en mesure de trancher, la formation pourrait glisser d’un projet progressiste visant à faire évoluer socialement le Québec vers une posture essentiellement protestataire essentiellement dirigée contre l’État québécois lui-même et ses choix démocratiques.

Il faut regarder froidement une hypothèse que plusieurs n’osent plus formuler. Dans l’architecture politique canadienne, Québec solidaire n’a jamais été destiné à diriger le Québec. Sa fonction la plus utile, du point de vue du pouvoir fédéral, est plutôt d’occuper l’espace à gauche comme concurrent du PQ. Bref, une façade « progressiste » qui sert de distraction pendant que la droite canadienne dirige le pays. Désolé Gabriel si tu n’avais pas encore compris l’agenda qu’on te réservait.

C’est dans ce contexte précis qu’il devient nécessaire d’examiner l’émergence de certaines figures publiques dont l’influence grandissante soulève des questions légitimes sur la direction réelle que prend Québec solidaire.

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L’émergence politique d’Alexandre Dumas

Alexandre Dumas ne s’inscrit pas dans la trajectoire habituelle d’un commentateur issu des rangs de Québec solidaire. Titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université McGill, il dispose d’une formation universitaire exigeante qui lui confère une maîtrise reconnue des codes intellectuels, du langage savant et des mécanismes de légitimation propres aux milieux académiques et militants. Cet élément est important pour comprendre la crédibilité dont il bénéficie dans certains cercles néo-progressistes ainsi que l’écho rencontré par ses interventions dans l’espace public.

C’est à partir de ce capital intellectuel que s’est construite la visibilité politique récente d’Alexandre Dumas dans l’écosystème gravitant autour de Québec solidaire. Sur le plan partisan, il apparaît pourtant comme un véritable outsider. Il ne provient ni des instances internes du parti ni de sa base militante. Il n’a jamais été identifié comme un électeur de QS, un membre sympathisant, un militant de circonscription ou un acteur structurant des débats internes. Malgré cela, il s’est imposé en peu de temps comme une voix influente sur les réseaux sociaux, occupant un espace politique que le parti, dans un contexte de fragilisation organisationnelle, semble éprouver des difficultés à encadrer.

Ainsi, cette visibilité rapide ne semble pas résulter d’un ancrage progressif dans les structures militantes de QS, mais plutôt d’une reconnaissance médiatique et militante facilitée par une culture politique particulièrement réceptive aux registres moraux dominants. Dans un parti où les contrepoids souverainistes se sont affaiblis, un tel profil peut acquérir une influence significative sans passer par les mécanismes traditionnels de validation politique interne. Cette situation n’est pas exceptionnelle en soi, mais elle devient politiquement déterminante lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte de recomposition du rapport de force indépendantiste.

Le fil conducteur de ses interventions est révélateur. Elles ciblent presque exclusivement le nationalisme québécois, Paul St-Pierre Plamondon, le Parti québécois et, de manière insistante, Québecor. En revanche, les partis libéraux, leurs réseaux d’influence, leur rôle central dans la centralisation fédérale et leurs scandales de corruption récurrents sont pratiquement absents de son champ de tir. Ce déséquilibre n’a rien d’anodin. Il dessine une posture politique qui ne s’attaque pas réellement au pouvoir fédéral en place, mais à ceux qui, au Québec, tentent encore de lui opposer un projet national structuré. Autrement dit, son intervention contribue objectivement à entretenir une dynamique d’affrontement entre souverainistes, plutôt qu’à renforcer un rapport de force commun contre le régime canadien (aussi à droite puisse être en passant la nature coloniale de l’État fédéral).

Il est à noter qu’Alexandre Dumas ne s’est jamais revendiqué explicitement comme fédéraliste. Toutefois, ce terme est devenu largement tabou dans la culture politique de gauche depuis les référendums, tant il est associé au pouvoir en place et à l’ordre institutionnel dominant. L’absence de cette revendication explicite ne saurait donc, à elle seule, clore l’analyse. Pour qui observe avec un minimum de recul la cohérence de ses prises de position, ses cibles récurrentes et ses angles morts, le comportement politique qui se dégage apparaît pour le moins équivoque. Il tend à produire des effets objectivement compatibles avec le maintien du cadre fédéral, indépendamment des intentions déclarées.

Logiquement, Alexandre Dumas revendique explicitement une identité politique associée au courant dit woke, tant dans ses prises de position que dans sa présentation publique. Cette posture idéologique, pleinement assumée, fonctionne comme un marqueur de distinction politique au sein de la gauche partisane. Dans le contexte actuel, elle contribue objectivement à maintenir une ligne de démarcation nette entre Québec solidaire et le Parti québécois, en associant toute tentative de convergence à une transgression morale plutôt qu’à un débat stratégique.

Alexandre Dumas - Woke tant qu’il faudra

Alexandre Dumas interpelle explicitement les tenants du wokisme. Il s’en réclame lui-même, sans ambiguïté, jusque dans sa présentation publique. Sa biographie Facebook est limpide. « Woke tant qu’il faudra ». Son balado porte exactement le même titre. Il ne s’agit donc pas d’une étiquette qu’on lui collerait de l’extérieur, mais d’une identité politique assumée, revendiquée et structurante de son discours.

Dans un Québec solidaire affaibli électoralement et organisationnellement, une telle orientation pourrait rapidement devenir dominante. Le risque n’est pas tant celui d’un débat pluraliste interne que celui d’un durcissement des positions, où la conflictualité avec le PQ deviendrait structurelle. Une éventuelle candidature d’Alexandre Dumas, loin d’élargir le spectre des discussions, aurait alors pour effet prévisible de verrouiller QS dans une posture d’opposition frontale au principal pôle indépendantiste.

Des informations relayées publiquement, notamment par Steve E. Fortin, évoquent la possibilité qu’Alexandre Dumas sollicite l’investiture de Québec solidaire dans la circonscription de Gouin. Sans prêter d’intentions personnelles ni spéculer sur ses motivations, il est néanmoins possible d’analyser les conséquences politiques d’un tel scénario. Compte tenu de ses positions publiques, de son influence médiatique et du contexte de marginalisation de QS, son élection contribuerait vraisemblablement à cristalliser une dynamique d’affrontement durable entre QS et le PQ.

Dans l’hypothèse où Québec solidaire ne compterait que quelques élus à l’Assemblée nationale, un député disposant d’un fort capital symbolique et médiatique pourrait exercer une influence disproportionnée, tant à l’interne que dans l’espace public. Cette situation créerait un terrain favorable à une polarisation permanente entre souverainistes, au détriment de toute stratégie de convergence nationale.

L’émergence d’Alexandre Dumas doit donc être comprise non comme un phénomène isolé, mais comme un symptôme d’une fragilisation plus large de Québec solidaire. Elle pose une question politique concrète. celle de la capacité du parti à demeurer un acteur compatible avec une recomposition du camp du OUI. Plus tôt cet enjeu sera reconnu par les membres de QS, plus tôt il sera possible d’en débattre ouvertement à l’interne. À défaut, il appartiendra aux autres forces indépendantistes, notamment au Parti québécois, de se préparer à affronter les effets politiques d’une telle candidature avec la lucidité et la détermination que commande l’enjeu référendaire à venir.

Un choix historique pour Québec solidaire

Ce texte n’a jamais eu pour objectif de distribuer des anathèmes ni de régler des comptes personnels. Il vise à nommer un moment politique précis et à interpeller celles et ceux qui, aujourd’hui, occupent des positions de responsabilité dans le mouvement souverainiste québécois. Si la marginalisation actuelle de Québec solidaire est un signal inquiétant pour le camp du OUI, ce n’est pas par réflexe partisan, mais parce qu’elle révèle un déséquilibre plus profond dans l’architecture même du mouvement indépendantiste. Un affaiblissement de QS ne renforce pas mécaniquement le OUI. Il prive plutôt le projet national d’un pôle essentiel, celui qui permettait historiquement de relier justice sociale, milieux progressistes et aspiration à l’indépendance.

La situation actuelle de Québec solidaire, ses fractures internes, la marginalisation de son aile souverainiste et l’émergence de figures idéologiquement polarisantes ne sont pas des accidents. Elles dessinent une trajectoire. Et cette trajectoire appelle désormais un choix clair.

Le Québec solidaire que nous avons connu est, de fait, mort avec la démission de Gabriel Nadeau-Dubois. Non pas parce qu’il aurait trahi, mais parce que le parti n’a jamais réellement réussi à atteindre sa maturité politique. Il est demeuré coincé entre deux pôles irréconciliables, un projet de transformation sociale ancré dans la nation québécoise et une culture militante néo-progressiste pour laquelle la question nationale reste suspecte, voire secondaire. Or, nous sommes maintenant entrés dans une phase pré-référendaire où la polarisation entre le OUI et le NON devient structurante. Dans ce contexte, un parti divisé à parts presque égales sur l’enjeu fondamental de l’indépendance se place dans une position intenable à moyen et long terme.

Alexandre Dumas est-il un cheval de Troie fédéraliste dans QS ?

Ce choix incombe directement aux porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal et Sol Zanetti. Il ne s’agit plus seulement de gérer la décroissance électorale d’un petit parti d’opposition ou de préserver une identité militante. Il s’agit de déterminer quel rôle QS entend jouer dans la séquence historique qui s’ouvre pour le Québec. Continuer à attaquer frontalement le Parti québécois, à le désigner comme l’adversaire principal, à nourrir une conflictualité permanente entre souverainistes, souvent malicieusement amplifiée par des figures comme Alexandre Dumas et les réseaux idéologiques qui gravitent autour de lui, revient objectivement à jouer le jeu du régime fédéraliste. Un jeu sournois, mais redoutablement efficace pour fragmenter le camp du OUI.

Ruba Ghazal occupe une position stratégique au sein de Québec solidaire. À ce titre, elle a la responsabilité politique de porter un discours capable d’arrimer le projet d’indépendance aux réalités des Québécois issus de l’immigration et aux nouvelles générations, non pas en opposant ces groupes à la nation québécoise, mais en les y intégrant pleinement. Si elle se réclame réellement de l’héritage de Gérald Godin, celui-ci ne peut être invoqué comme un simple marqueur identitaire ou comme un capital symbolique électoral dans la circonscription de Mercier. Il engage une responsabilité politique précise. Godin concevait l’inclusion comme une adhésion lucide et volontaire au projet national québécois, et non comme une mise en accusation permanente de la société d’accueil ni comme un soupçon jeté sur toute affirmation nationale structurée.

Dès lors, une question s’impose aux membres de Québec solidaire. Aussi inclusif que le parti puisse se fantasmer en projetant ses lubies contemporaines sur la mémoire de Gérald Godin, peut-on sérieusement croire que celui-ci aurait appuyé une candidature comme celle d’Alexandre Dumas, dont l’action politique contribue objectivement à opposer les progressistes au projet national plutôt qu’à les y rallier. Se réclamer de Godin devrait conduire à affirmer que l’indépendance est un projet commun, pluraliste et rassembleur, et non à recycler, sous un vernis moral, des cadres d’analyse qui rejoignent trop souvent les caricatures fédéralistes assimilant le nationalisme québécois à l’exclusion.

Nous ne sommes pas une ethnie, nous sommes un peuple
Gérald Godin, (discours et écrits, notamment repris après le référendum de 1980)

Or, force est de constater que Ruba Ghazal emprunte trop souvent la voie inverse. Plutôt que d’agir comme un pont politique entre les milieux progressistes et le projet national, elle contribue, consciemment ou non, à légitimer des entrepreneurs idéologiques dont Alexandre Dumas constitue aujourd’hui une figure centrale. Le rôle qui lui incombe n’est ni symbolique ni optionnel. Il ne s’agit pas d’un privilège ni d’un monopole, mais d’une responsabilité historique qui exige clarté, courage et cohérence, et surtout la lucidité de refuser toute instrumentalisation de l’inclusion visant à dresser les progressistes contre leur propre peuple plutôt qu’à les inscrire dans une véritable convergence nationale.

Sol Zanetti, pour sa part, ne peut préserver l’héritage d’Option nationale en l’enfermant dans un discours sans stratégie. La souveraineté n’est pas qu’une bannière identitaire. C’est un projet collectif qui exige coordination, discipline et reconnaissance des rapports de force réels. Aujourd’hui, le Parti québécois constitue le pôle central du camp indépendantiste. Le nier ou le combattre frontalement ne relève pas de la lucidité politique, mais d’un déni qui affaiblit l’ensemble du mouvement.

La question n’est donc plus idéologique. Elle est historique. Québec solidaire se trouve devant un dilemme qu’il repousse depuis trop longtemps. Assumer clairement son rôle dans la convergence nationale, en rassemblant les progressistes du camp du OUI, comporte un risque que la direction redoute ouvertement, celui de provoquer une rupture interne avec des courants pour qui la souveraineté demeure secondaire, suspecte ou carrément inacceptable. Cette peur explique l’ambiguïté stratégique entretenue depuis des années, cette tentative de maintenir artificiellement sous un même toit deux visions désormais incompatibles.

Ce mécanisme de sabotage discret, souvent maquillé en posture morale, a déjà été nommé et analysé dans l’espace public, notamment dans une récente chronique de Michel David dans le Devoir intitulée « Saboteurs ».

Or, cette fracture que QS espérait contenir par des compromis rhétoriques n’est plus virtuelle. À l’aube d’un prochain référendum, elle devient structurelle. À mesure que le débat national se polarise entre le OUI et le NON, la position médiane devient intenable. Refuser de trancher ne protège plus l’unité du parti. Cela transforme plutôt Québec solidaire en facteur de division objective du camp souverainiste, et, dans les faits, en espace instrumentalisable par des courants associés au NON.

Assumer la cohérence souverainiste entraînerait certes une conséquence claire, mais nécessaire. Les courants fédéralistes néo-progressistes seraient appelés à assumer ouvertement leur position constitutionnelle et à se doter de leur propre véhicule politique, qu’il s’agisse d’un NPD québécois ou de toute autre formation explicitement fédéraliste. Ils n’ont pas à utiliser Québec solidaire comme cheval de Troie pour torpiller notre projet de pays. Et s’ils souhaitent mener ce combat, qu’ils le fassent à visage découvert, plutôt que de manipuler, de l’intérieur, les bonnes volontés et la naïveté militante d’un parti se prétendant officiellement souverainiste.

Cette lucidité doit aussi se traduire par un discernement rigoureux dans le choix des candidatures que Québec solidaire accepte de porter. Fermer la porte à des profils aussi lourdement chargés et polarisants qu’Alexandre Dumas n’est pas un geste d’exclusion arbitraire, mais un acte de responsabilité politique. Dans un parti appelé à jouer un rôle charnière dans la convergence souverainiste, l’intégration ou non d’un tel acteur pourrait s’avérer déterminante. Elle peut soit faciliter un rapprochement entre les forces du OUI, soit cristalliser une conflictualité durable entre souverainistes, au bénéfice direct du régime fédéraliste.

Je le rappelle. La perspective de voir Alexandre Dumas élu député de Québec solidaire dans Gouin, dans un contexte où le parti serait réduit à une poignée d’élus, serait particulièrement dommageable pour le camp du OUI. Dans une formation marginalisée, un seul député disposant d’un fort capital médiatique et idéologique pourrait exercer une influence démesurée, orienter le discours public et attiser une conflictualité permanente entre souverainistes. Il serait naïf de croire que ce scénario relève du hasard. Il s’inscrit trop parfaitement dans une logique éprouvée du camp fédéraliste, qui consiste non pas à affronter le projet indépendantiste de front, mais à l’empoisonner de l’intérieur, à provoquer des guerres fratricides et à laisser les souverainistes s’épuiser mutuellement pendant que le statu quo canadien se consolide en silence.

L’histoire ne demandera pas à Québec solidaire s’il a été irréprochable sur le plan moral. Elle lui demandera s’il a été à la hauteur du moment. Le camp du OUI ne peut se permettre une gauche partisane enfermée dans une logique de pureté idéologique pendant que se joue le véritable rapport de force national. Il a besoin d’une gauche nationale consciente de son rôle, capable de parler aux milieux communautaires, syndicaux et culturels, aux néo-Québécois issus de l’immigration, et surtout capable de comprendre que l’inclusion, tant invoquée comme une prière incantatoire, possède une portée beaucoup plus profonde qu’on ne semble vouloir l’admettre. Inclure, c’est aussi accepter de faire peuple avec ceux qui ne pensent pas comme soi. Et reconnaître que l’indépendance ne se gagnera que par une coalition large, structurée et coordonnée, qui dépasse le confort idéologique de la gauche et intègre également des voix qui dérangent, de Mathieu Bock-Côté à Mario Dumont, et, ultimement, jusqu’au chef conservateur Éric Duhaime.

La main n’est pas fermée. Elle est tendue. Mais elle ne le sera pas indéfiniment. À Ruba Ghazal et à Sol Zanetti de décider si Québec solidaire veut s’inscrire dans l’histoire comme un acteur de convergence nationale, ou comme un parti qui, par refus de collaborer avec le PQ et par aveuglement électoraliste, aura objectivement facilité le maintien du régime qu’il prétend combattre.

Nous sommes devant un véritable test d’intelligence collective. Un moment où la lucidité, ou son absence, laissera des traces durables. Le choix qui se profile ne déterminera pas seulement l’avenir de Québec solidaire. Il pèsera directement sur la capacité du camp du OUI à se rassembler et, ultimement, sur la possibilité même pour le Québec de finalement se soustraire à la tutelle politique du Canada anglais et de réellement devenir maître de son destin collectif.

Ce choix n’est pas idéologique.
Il est historique.

Un peuple qui ne choisit pas finit par être choisi
– René Lévesque

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