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L’araignée, symbole onirique

L’araignée, symbole onirique

Veuve noire

Un texte par Karl Abraham

Tout psychanalyste a rencontré l’araignée comme symbole dans les rêves de ses patients. Mais nous manquons de références utilisables concernant sa signification. Freud signale au passage que l’araignée représente la mère –à savoir la mère méchante que l’enfant redoute. Il n’est pas évident pourtant que ce soit l’araignée qui doive figurer ces aspects d’une mère. On pourrait songer à l’araignée qui capture et tue des animaux plus petits et en rêve les petits animaux représentent souvent les enfants. Mais il existe bien des êtres vivants qui s’attaquent à d’autres plus désarmés ; alors pourquoi élire précisément l’araignée comme symbole de la méchante mère? L’araignée appartient à ces symboles des rêves dont nous croyons comprendre le sens, au moins pour une part, sans savoir cependant pourquoi une telle signification leur revient.

Pratiquement, nous constatons que la signification en question ne convient pas ou ne suffit pas pour tous les cas. La multiplicité habituelle des significations d’un symbole nous y habitués. Vainement, nous récapitulons la littérature. W.Stekel, dans Die Sprache des Traumes (1916-1917), cite l’araignée comme symbole phallique, mais ses exemples sont traités si superficiellement qu’il n’en ressort rien de plus. Pour un seul des rêves mentionnés les longues pattes d’une espèce (phalangium) appartient à celles qui ne tissent pas de toile. lA signification à donner aux araignées à pattes courtes mais constituant une toile reste incertaine.

Dans ces conditions nous devons enregistrer tous les cas particuliers. Plusieurs rêves qu’un patient me rapporta à différentes phases de son traitement sont en mesure de contribuer à l’élucidation des rêves d’araignée.

Le premier rêve survint peu de jours après le début du traitement.

La première séance avait élucidé la position du patient vis-à-vis de sa mère et lui avait fait vivre impression. Il se révélait que sa fixation à sa mère s’exprimait par une dépendance excessive de sa volonté et de ses points de vue. Dans le couple parental, elle avait indiscutablement le plus de poids. Elle avait assuré pour une part l’entretien de la famille et à bien des égards joué un rôle paternel dans la vie du patient. En dehors de sa dépendance le patient exprimait son ambivalence à l’égard de sa mère par une opposition violente, qui tarissait jusqu’à son analyse du fait de crises émotionnelles stériles. Il se révéla par la suite que la position œdipienne du patient avait été inversée. Pour son inconscient, sa mère avait une valeur masculine, c’est-à-dire qu’elle était dotée d’attributs virils, et à ce niveau de ses fantasmes inconscients le patient avait à son endroit une position féminine passive.

Le premier rêve :  » Je suis dans une chambre à coucher à deux lits. Deux servantes nettoient. La fille à ma gauche et moi découvrons brusquement une araignée très laide au plafond de pièce. La fille lève son balai et bien que je lui suggère que cette bête pourrait être éloignée plus doucement, elle l’écrase.  » Le rêveur se souvient avoir vu tomber une araignée dans la baignoire le jour précédent. Sa femme voulait la laisser se noyer, mais il la sauva et la laissa s’évader par la fenêtre. En rêve le résultat est inverse : l’araignée est tuée. Il est vrai que le contenu manifeste n’est pas le fait du rêveur mais de la servante  » à sa gauche « . la femme est reconnaissable qui la veille voulut noyer l’araignée et qui dans la vie réelle est pour le patient l’opposé de sa mère. Par son union avec elle, il a en quelque sorte trahi sa mère. Les deux filles permettent de reconnaître les deux tendances du patient : l’hostilité pour sa mère (gauche) et son attachement (droit). La première l’emporte dans le rêve. L’araignée apparaît comme ayant la signification d’un symbole maternel. La mort particulière –l’écrasement- s’explique par la théorie sadique du coït. D’ailleurs certaines rêveries du patient culminent dans l’écrasement d’une foule d’êtres. par association le long balai prend la signification d’un symbole phallique de sorte que le souhait latent de tuer sa mère dans le coït apparaît clairement.

Le deuxième rêve se produisit environ deux mois plus tard.  » je suis devant une armoire avec ma mère ou ma femme dans mon bureau. Lorsque je saisis une pile de dossiers, une grosse araignée velue tombe à mes pieds. Je suis content qu’elle ne m’ait pas touché. Nous voyons l’araignée sur le sol plus grande et horrible qu’auparavant. Elle prend son vol et vient sur moi par un long trajet incurvé.

Nous fuyons dans la pièce attenante. Lorsque je veux claquer la porte, l’animal m’atteint à peu près au milieu du visage. Je ne sais pas si elle entra dans cette autre pièce, resta dans le bureau ou fut écrasée par la porte.  »

Au cours des semaines précédentes, le patient avait pu envisager ses résistances à la femme, plus précisément à son sexe, ainsi que sa tendance à se châtrer en fantasme en se faisant femme, et de sa mère un homme. Il m’apporta un dessin de l’araignée telle qu’elle lui apparut en rêve. Il fut surpris de reconnaître dans son dessin la forme ovale oblongue des organes sexuels extérieurs de la femme et sa toison et au milieu (corps de l’araignée) une forme rappelant indiscutablement celle du pénis.

L’araignée qui tombe c’est le pénis prêté à la mère qui s ‘en détache lorsque le patient s’approche de l’armoire (symbole maternel). La joie du patient de ne pas l’avoir touchée correspond à son effarouchement devant l’inceste. dans la vie réelle, il s’effarouche de l’aspect mais bien plus encore du contact manuel du sexe féminin.

L’accroissement de la taille de l’araignée qui de plus s’élève et effectue un vol courbe est un symbole transparent de l’érection. Le pénis maternel attaque le rêveur. A la fin du rêve, le doute en ce qui concerne l’écrasement de l’araignée est significatif. Ce fantasme d’écrasement du pénis, nous le rencontrons chez les femmes névrosées ayant un complexe de castration marqué. Ce détail nous évoque aussi le premier rêve ou l’araignée fut écrasée.

Nous parvenons ainsi à une deuxième signification symbolique de l’araignée. Elle représente le pénis prêté à la mère et niché dans ses organes génitaux. J’appuierai cette conception sur le rêve d’un autre patient. Le rêveur voulait s’introduire dans certaine pièce sombre peuplée de petits animaux. Certaines allusions du contenu manifeste du rêve et surtout les associations du patients montraient clairement que cette pièce représentait le corps de la mère. Lorsqu’il entra, un papillon vint à sa rencontre. Pour être bref, je me contenterai de signaler que les ailes du papillon ont une signification sexuelle féminine comme dans bien des rêves ; cette symbolisation s’appuie ici en particulier sur l’observation du mouvement des ailes, s’ouvrant et se fermant. Le corps caché au milieu des ailes était un symbole génital masculin. Ici encore, ses fantasmes permettent de montrer au patient sa représentation d’un pénis féminin.

La  » méchante mère  » représentée par l’araignée, d’après Freud, se révèle représenter une femme virilisée ; son membre et son esprit d’initiative apeurent le garçon, même effet que celui que ferait un homme à une adolescente immature. C’est le terme d’insolite (unheimlich) qui traduit au mieux les sentiments du patient à l’égard de l’araignée.

Un troisième rêve, après un deuxième intervalle de deux mois, nous apporte d’autres éclaircissements.

 » Je suis auprès d’un lit. Au-dessus une araignée suspendue à un ou plusieurs fils. Au segment proximal de ses pattes, l’araignée présente une touffe de poils jaunes. Comme l’araignée se balançait, j’étais en danger d’être touché ou de lui servir d’échelle. ma femme à ma gauche me prévient. Je heurte de ma droite le fil principal et évite ainsi la proximité de l’araignée. cela se reproduisit à plusieurs reprises de sorte que je jouais avec l’araignée ou que je la taquinais. Fièrement, je dis à ma femme savoir de quelle manière je pouvais m’en rendre maître.

 » L’araignée disparut du rêve. Je l’avais écartée définitivement et ma main se posa sur le lit. A mon grand effroi, je vois que ma main s’est posée sur une toile d’araignée, aussi grande qu’elle, longue, ronde et un peu convexe. Relève ma main et m’enfuis dans le couloir ; je ne sais pas si ma main a touché de petites araignées ou si certaines s’y sont posées. Dans ma hâte, je ne puis le vérifier mais je crie à ma femme de le faire.  »

l’araignée pendant au bout du fil représente encore le sexe viril de la mère ; le balancement et l’approche du rêveur, l’érection et l’attaque sexuelle tout comme certains symboles du deuxième rêve. Les touffes de poils ont également un sens phallique, leur multiplicité est caractéristique du fait qu’elles représentent quelque chose qui fait défaut en réalité. Au cours de la scène onirique, le rêveur devient actif à l’égard de l’araignée, la peur du pénis qu’il prête à sa mère s’évanouit. les autres particularités du rêve n’exigent pas d’observation.

puis il y a le contact avec la toile. Sa grandeur, sa forme sont bien celles du sexe féminin. La peur est donc celle du vrai sexe féminin (c’est-à-dire de l’absence de pénis) à la place de la peur de l’attribut imaginaire. Nous retrouvons sa peur de toucher cette partie du corps féminin. Les petites araignées symbolisent typiquement les enfants. Le patient est l’aîné de sa fratrie.

Schématiquement, nous pouvons dire que les rêves précédents éclairent le symbolisme de l’araignée selon trois directions. Dans l’immédiat l’araignée représente la mauvaise mère (virilisée); puis le sexe masculin que le patient lui prête ; la toile de l’araignée représente la toison pubienne; le fil isolé a une signification sexuelle virile.

L’utilisation différente du symbolisme pour chacun des trois rêves laisse supposer d’autres significations possibles. Cette communication saura peut-être les susciter.

La signification de l’araignée dans la psychologie populaire n’a pas été prise en considération ; qu’elle soit aussi bien un signe de bonheur que de malheur devrait être le témoignage d’une disposition ambivalente très généralement répandue parmi les humains à l’égard de cet animal. Pour beaucoup, l’araignée a le caractère de l’  » inquiétante étrangeté « . il est vraisemblable que ce sentiment d’inquiétude provient des même sources inconscientes que chez notre névrosé.

Addendum

Nous avons pu confirmer rapidement que la signification symbolique de l’araignée n’a pas été traitée de façon exhaustive dans cet écrit. Lorsque je communiquai mes aperçus lors d’une session psychanalytique à Vienne, le Dr Nunberg apporta ses considérations sur ce symbole à propos de l’analyse d’une phobie des araignées. Là aussi, l’araignée était la mère dangereuse mais dans un sens particulier. Les fantasmes inconscients du patient concernaient le danger d’être tué au cours d’une relation incestueuse avec sa mère. Nunberg souligna que l’araignée tue sa victime par succion et que cette succion justement qui permettait à son patient de symboliser la castration, c’est-à-dire d’exprimer le fantasme typique de perte du pénis au cours de l’acte sexuel.

J’ai entrevu de telles significations. Mais comme il ne me fut pas possible de les fonder sur la base des associations de mes patients, je me limitai au matériel indiscutable obtenu grâce aux associations. La psychanalyse de mon patient fut interrompue pour des raisons extérieures: sa poursuite aurait peut-être confirmé la donnée apportée par Nunberg qui constitue le complément nécessaire et frappant de mon analyse.

Dans la même discussion, le pr. Freud attira l’attention sur un fait biologique curieux que je ne connaissais pas ; j’ignore si mon patient le savait consciemment ou inconsciemment et ne puis m’en informer actuellement.

L’araignée femelle est plus grande et plus forte que son mâle. La copulation est dangereuse pour le mâle car il risque d’être tué et dévoré par la femelle. Il y a donc une concordance remarquable entre le contenu de la représentation de la phobie que Nunberg a analysée et le fait scientifique. Je m’arrêterai ici dans cette recherche. Des investigations ultérieures nous apporteront peut-être de nouvelles lumières.