Qui a peur de Mathieu Bock-Côté… surtout quand il se pointe à TLMEP ?

Quand un plateau télé vacille, c’est tout un climat intellectuel qui se dévoile
Parce que tout le monde parle de Mathieu Bock-Côté ces jours-ci, le moment me semble venu de m’arrêter à ce qu’il représente réellement dans notre espace public. Il polarise, c’est évident, mais cette polarisation n’est pas qu’une affaire de tempérament ou d’opinions. Elle révèle surtout une époque anxieuse, où l’on préfère assigner chacun à une case morale plutôt qu’à un rôle dans une conversation démocratique. Beaucoup n’ont jamais ouvert un seul de ses livres. Pourtant, ils croient sincèrement qu’il serait mal, presque dangereux, de le lire, comme si la simple curiosité risquait de contaminer l’âme.
Car il faut le dire clairement, cette polarisation n’est pas née d’une lecture attentive ou d’un désaccord rationnel. Elle fonctionne avant tout comme un marqueur d’appartenance social. D’un côté, les « Bons » progressistes qui croient lutter contre une montée fantasmée du fascisme. De l’autre, tout ce qui ressemble de près ou de loin à la droite conservatrice ou nationaliste, automatiquement relégué au camp des « méchants racistes ». S’opposer à MBC, dans ces milieux, n’est plus un argument, c’est devenu un signe de vertu.
Et cette logique ne s’applique pas qu’à ses livres ou à ses idées théoriques, elle s’étend jusque dans les gestes les plus banals de la vie numérique. Ses chroniques, pourtant prolifiques et accessibles, n’échappent pas davantage à cette mécanique. Il ne faudrait surtout pas les liker, encore moins les partager, même lorsqu’il parle de sujets aussi innocents qu’une tarte aux pommes. Les rares fois que j’en ai diffusé une dans mon mur Facebook, j’ai vu surgir une sorte de test de pureté progressiste, comme si ce geste anodin risquait d’entacher l’image que certains se font de moi. Dans ces milieux où l’entre-soi joue le rôle d’oxygène moral, reconnaître la pertinence d’une pensée divergente suffit à vous désigner comme suspect, voire à vous accoler le mot « extrême droite » avec une désinvolture confondante.
Pour ma part, ce n’est pas tant la pensée de MBC qui effraie, mais ce qu’elle révèle du conformisme ambiant, un conformisme si crispé qu’il ne se sent plus autorisé à lire, à écouter, à réfléchir par lui-même.

Un exemple récent en dit long. Sur sa page Facebook, la Maison d’édition Lux a présenté le nouveau livre de MBC comme un « roman de l’extrême droite », étiquette lourde de conséquences en 2025, alors même que l’ouvrage n’était pas encore publié ni accessible au public. Elle en a ensuite diffusé un résumé destiné à ridiculiser l’œuvre et à en diaboliser l’auteur, en concluant « voilà un auteur qui met son imagination au pouvoir ». Qu’une maison d’édition appelle ainsi au rejet d’un livre qu’elle n’a pas pu lire résume le glissement d’une époque où la censure morale prend la place de la pensée critique.
Tout le monde en parle, ou la fissure d’un dispositif
Dimanche soir, cette peur diffuse s’est soudain matérialisée à Tout le monde en parle. Depuis des années, l’émission fonctionne comme un tribunal populaire où la bonne conscience médiatique distribue les rôles, décide qui est fréquentable, qui doit être sermonné et qui doit être exclu de la conversation nationale. L’ancien blogueur issu de la gauche radicale, Anthony Tremblay, l’a d’ailleurs bien saisi en observant que TLMEP agit comme le gardien d’un récit dominant qui se croit neutre parce qu’il se croit moralement inattaquable.
Cette mécanique, à force d’être répétée, a fini par devenir visible, même pour ceux qui la subissaient sans toujours la nommer. Steeve Fortin l’a exprimé avec une lucidité presque clinique. Lorsque les invités répètent les convictions qui plaisent au clergé idéologique dominant, notamment celui incarné par des figures radicalisées comme Alexandre Dumas ou relayé par la radiotélévision fédérale, jamais on n’entend ces moralistes réclamer la présence d’un contradicteur. Et de fait, lorsque Dumas réagit à MBC, ce n’est pas pour souhaiter un échange équilibré, mais pour s’étonner bruyamment qu’il puisse encore avoir une tribune, comme si sa seule présence saturait déjà l’espace public. D’ailleurs, son discours autoritaire laisse entendre qu’on gagnerait à ne plus lui accorder d’attention, au profit d’un récit idéologique qu’il juge plus légitime. Ce n’est donc pas l’équilibre argumentaire qui guide ce réflexe, mais bien le désir que, sur cette émission et dans ce réseau, les convictions qui plaisent à monsieur Dumas ne soient jamais véritablement mises à l’épreuve. Et c’est beaucoup à cause de ce biais idéologique, souligne Fortin, que tant de gens se sont lassés de Tout le monde en parle.
Parlant d’Alexandre Dumas, il incarne aujourd’hui une tendance lourde d’une “gauche” de salon autoritaire qui, au fil des années, semble avoir oublié le sens même du mot démocrate. Être démocrate, c’est faire confiance à la majorité populaire. C’est accepter que le peuple puisse penser autrement que l’élite. C’est reconnaître que la légitimité politique se joue dans la vie réelle, pas dans les studios de Radio-Canada ni dans l’entre-soi culturel. Ce n’est pas combattre systématiquement la volonté collective au nom d’une interprétation instrumentalisée du droit des minorités, encore moins servir de paravent moral à un gouvernement libéral qui a fait de l’ingénierie identitaire sa stratégie de pouvoir.
Le paradoxe est frappant. Cette mouvance se prétend à gauche, se croit radicale, mais gravite autour du regard des pairs, obsédée par l’obligation d’incarner ce qu’elle prétend être le Bien plutôt que d’affronter la complexité du réel. Elle parle à ceux qui ont peur de déplaire, peur de mal paraître, peur d’être expulsés du cercle des vertueux. Et ce consensus moral, sans surprise, épouse presque parfaitement les intérêts du pouvoir en place.
À l’inverse, MBC parle de la réalité des faits. Il s’adresse au peuple sans mettre des gants blancs, il nomme ce que d’autres n’osent plus dire, il formule les évidences que l’on tente de transformer en interdits. Sa parole tranche parce qu’elle ne cherche pas à plaire aux cercles autorisés. Elle se tient dans le factuel, dans l’analyse, dans l’expérience collective, là où d’autres s’abritent derrière des formules convenues. Il affirme que les élites médiatiques parlent entre elles, alors que le pays réel, lui, continue d’éprouver des réalités que personne ne veut nommer. Et cette fracture apparaît désormais au grand jour, surtout lorsque l’on place ces deux visions face à face sur un plateau de télévision.
Et, ironie subtile, c’est Dumas lui-même qui fournit la meilleure image pour décrire son rapport à la pluralité. La présence de MBC à la télévision d’État, dit-il, le fait grincer des dents. Mais ce n’est pas tant MBC qui provoque ce grincement, c’est ce qu’il représente, c’est-à-dire la diversité d’opinions, cet oxygène élémentaire de toute société démocratique.
C’est ce décor qu’a rencontré MBC dimanche. Comme l’a écrit Nic Payne, le plateau qui reçoit Mathieu Bock-Côté, c’est l’idéologie qui rencontre le réel, en faisant semblant que c’est le contraire. Et ce soir-là, le réel n’a pas obtempéré.
La mécanique habituelle n’a pas su absorber l’invité qu’elle croyait pouvoir neutraliser. Les mêmes accusations usées sur une indépendance du Québec soi-disant hostile aux minorités ont été lancées, sans jamais fissurer son calme. Les étiquettes en « phobe », répétées comme des incantations, n’ont provoqué aucune onde. Pendant ce temps, sur Facebook, la cohorte habituelle de commentateurs progressistes s’animait déjà, reprochant à MBC de parler trop vite et avec trop de mots, comme si la maîtrise du langage devenait soudain une faute. Or, comme l’a souligné Jonathan Godin, tout le plateau était littéralement suspendu à ses lèvres. On peut ne pas l’aimer, mais on ne peut pas prétendre qu’il ne captive pas.
Ce soir-là, MBC a offert une véritable leçon de rhétorique et de sang-froid, au point de laisser Jean-Sébastien Girard, Sol Zanetti, Ruba Ghazal et même Stéphane Rousseau complètement désarmés. Bref, comme l’a formulé Nic Payne avec une justesse implacable, lorsque ces gardiens autoproclamés de la vertu vous reprochent de trop bien parler, n’obtempérez pas, ils ne cherchent qu’à vous tirer vers le bas dans l’espoir vain de redevenir vaguement compétitifs.

Le visage de Jean-Sébastien Girard durant ce dur moment de sa vie, intellectuellement dépassé et résigné
La gêne flottait dans l’air. Même le fou du roi, pourtant maître dans l’art de déstabiliser ses invités, peinait à cacher son irritation. On voyait dans son non-verbal une forme de désarroi, presque un vertige, comme si la cible supposée lui échappait.
Puis survint ce moment singulier où Ruba Ghazal demanda si elle pouvait quitter le plateau. Anthony Tremblay y voit le symptôme d’une certaine gauche qui évite la confrontation comme un vampire évite la lumière, et l’image dit quelque chose de vrai. Ce geste instinctif trahissait un malaise profond, une incapacité à soutenir un échange dès que le script cesse d’obéir. Et ce malaise fut d’autant plus flagrant que la scène prenait des allures de Dîner de cons inversé : ceux qui croyaient piéger l’invité voyaient soudain que le seul véritable maître du jeu était celui qu’ils espéraient ridiculiser. Pour reprendre l’image percutante de Jonathan Godin, MBC fut l’étoile de la soirée qui a lessivé le Canadien de Radio-Canada sept à zéro. Même Guy A., avec ses « oui mais Mathieu » condescendants, n’arrivait plus à imposer l’éditorial radiocanadien.
Ce soir-là, TLMEP s’est fissuré.
Comme l’a souligné Jocelyne Robert, on sent Mathieu Bock-Coté blessé par les caricatures répétées, fatigué d’être l’effigie commode d’un récit hostile, mais cette fatigue n’obscurcit jamais sa rigueur. Ses adversaires ne lui reprochent pas tant ses idées qu’une maîtrise qui les dépasse, un calme qui les déstabilise, une capacité à articuler une pensée là où ils n’offrent souvent que posture.
Une polarisation révélatrice
Cette polarisation autour de MBC dit moins quelque chose de lui que de nous. Dans certains milieux dits progressistes, reconnaître qu’il est un intellectuel sérieux revient à prendre un risque social réel. L’accusation de racisme plane comme un couperet, prête à s’abattre sur quiconque nuance un jugement simpliste.
Et ce malaise s’explique. MBC possède une forme de subversion rare aujourd’hui. Il remet en question les dogmes sacrés de nos sociétés occidentales, ces certitudes que l’on récite mécaniquement sans jamais oser les interroger. En cela, il bouscule un ordre moral qui se croyait inamovible.
C’est ici que se situe mon constat le plus troublant. L’intellectualisme vivant ne passe malheureusement plus par la gauche contemporaine, tellement elle s’est refermée au débat et à l’exercice démocratique de la réflexion. La gauche postmoderne s’affaire à étiqueter plutôt qu’à argumenter, à exclure plutôt qu’à comprendre. Elle ne débat plus, elle dénonce, elle ne contredit plus, elle disqualifie, elle agit par slogans et par dogme, comme si penser devenait dangereux. D’ailleurs, MBC répète souvent que la gauche contemporaine préfère condamner un interlocuteur que répondre à son argument. Cette dérive, désormais banalisée, sape l’idée même de conversation publique.
Ce glissement m’inquiète profondément. Je viens de la gauche traditionnelle, celle qui croit que la démocratie se nourrit du choc des idées, pas de la fermeture des portes. J’y reste attaché, mais je vois qu’elle n’est plus dominante, étouffée par une époque où selon justement MBC, nous vivons une époque où la posture remplace la pensée et où l’indignation tient lieu d’analyse. Et ce diagnostic, brutal peut-être, trouve pourtant un écho saisissant dans notre réalité politique.
De la gauche à l’indépendance
J’ai beau être un social-démocrate, un homme de centre gauche, je me sens souvent plus proche de MBC aujourd’hui que de Québec solidaire. Lui demeure un indépendantiste sans conditions, fidèle à une vision claire du projet national auquel il n’a jamais dérogé. QS, pour sa part, n’a toujours pas su développer un sens de la convergence. Le parti refuse encore de tendre la main aux autres tendances souverainistes, utilise parfois les arguments du fédéralisme canadien contre le Parti québécois et se replie dans une posture morale qui le coupe du pays réel.
Pendant que MBC élargit à sa manière le camp du OUI du côté droit de l’échiquier, QS semble vouloir jouer en solo et s’isoler. La convergence avance partout sauf là où on l’attendait. C’est un paradoxe qui ne peut plus être ignoré.

Pour celles et ceux qui souhaitent replacer la polarisation autour de Mathieu Bock Côté dans le paysage plus large du mouvement souverainiste, je propose en complément la lecture de mon article « Le train fou de Québec solidaire ». J’y analyse comment QS, pris entre posture morale, confusion idéologique et refus de la convergence, risque de manquer le rendez vous historique qui s’annonce alors que le Parti québécois remet l’indépendance au centre du projet collectif.
Mathieu Bock-Côté ne laisse personne indifférent, et c’est précisément pour cela qu’il faut le lire plutôt que de se contenter des caricatures. Dans un Québec où une partie de la gauche s’est enfermée dans des réflexes pavloviens, l’audace de penser à contre-courant devient une respiration démocratique. Lire MBC, ce n’est pas lui donner raison sur tout, c’est simplement refuser de céder le terrain du débat aux gardiens autoproclamés du Bien.
Car le véritable danger ne réside pas dans un intellectuel que certains aiment détester, mais dans un climat où la lecture devient suspecte, où la nuance devient risquée, où la diversité d’opinions est perçue comme une menace. Une société qui se méfie de la dissidence se rétrécit, perd ce souffle démocratique sans lequel un peuple cesse peu à peu d’être lui-même.
Je n’écris donc pas pour renier mon appartenance à la gauche ni pour adopter les positions conservatrices de MBC. Je demeure un social-démocrate, attaché à l’égalité, à la justice sociale, à l’écologisme, et profondément laïc dans ma vision de l’État. Lui, au contraire, reste ancré dans un catholicisme culturel auquel je n’adhère pas. Et j’ai hâte, dans un Québec indépendant, de pouvoir débattre avec lui à armes égales, moi sur le terrain de la social-démocratie moderne, lui sur celui d’un conservatisme identitaire assumé. Ce débat-là, je le souhaite et je l’attends, parce qu’il sera enfin un débat entre Québécois libres.
Mais nous n’en sommes pas encore là. À l’heure où un référendum sur l’indépendance du Québec redevient possible, le véritable clivage n’oppose plus la gauche et la droite. Il oppose ceux qui veulent que le Québec devienne un pays pleinement maître de son destin et ceux qui préfèrent détourner le regard de l’évidence, c’est-à-dire l’assimilation tranquille, méthodique et planifiée que le régime canadien impose aux francophones depuis des décennies. Or, MBC fait partie des rares voix courageuse à avoir brisé le mur de la rectitude politique en nommant cette réalité démographique sans trembler. La gauche partisane, elle, refuse toujours de la voir, encore moins de la dire, offrant ainsi une assise stratégique au fédéralisme canadien… pour qui chaque année de silence accélère l’achèvement programmé de notre disparition dans le Canada anglais.
J’écris ce texte comme indépendantiste qui constate lucidement que, pour l’instant, MBC se retrouve dans mon camp constitutionnel, alors que trop de pseudo-progressistes travaillent malgré eux au maintien du statu quo fédéral, voire à la colonisation finale de notre peuple. Et je n’ai aucune gêne à le dire. Dans la bataille qui s’annonce, ce n’est plus la gauche contre la droite. C’est un peuple qui veut survivre contre un régime qui prospère sur notre silence et notre fragmentation.
C’est précisément pour cela que je rappelle une vérité simple. Une société qui craint les idées est un société qui se dessèche intellectuellement. Un peuple qui redoute la dissidence finit toujours par renoncer à lui-même. La liberté de penser ne devrait jamais faire grincer des dents… quoi qu’en murmurent les Alexandre Dumas de ce monde dans leurs chambres d’écho, hermétiques à toute véritable délibération démocratique.
Le pluralisme véritable suppose que nous supportions d’entendre ce que nous n’avons pas envie d’entendre
-Mathieu Bock-Côté (Les Déshérités, 2015)

























