Réglementation sur le bruit: La nécessité de protéger les commerces de proximité (et l’âme du Plateau)
Il y a quelques semaines, un citoyen est rentré en trombe dans mon bureau. Il tenait à aviser notre administration municipale qu’il devait laisser son logement sur l’avenue du Mont-Royal… et quitter le quartier car il n’avait plus les moyens pour demeurer dans le Plateau. Les poches sous ses yeux rouges et son comportement évoquant la dépression nerveuse, il était manifeste que mon interlocuteur manquait alors de repos. En effet, exaspéré par les nuisances sonores générées par un bar contigu, le citoyen et sa compagne abdiquaient devant une longue lutte pour faire respecter leur droit au sommeil. La veille, il avait subi l’intimidation d’un portier et une bouteille de bière avait été projetée dans leur fenêtre à 3h du matin par des clients de l’établissement en question.
Ici, certains diront «si t’habites en ville dans un quartier central, c’est en connaissance de cause qu’il y aura beaucoup de bruit. Puis si tu veux de la tranquillité, tu as juste à partir vivre en banlieue». D’autres diront aussi que ce citoyen est certainement un vieux bourgeois vieillissant qui contribue à transformer le Plateau-Mont-Royal en quartier-dortoir.
Dans les faits pourtant, ce citoyen est un musicien dans la quarantaine, habitant son logement depuis plusieurs années. En contrepartie, le bar qui est contigu à son logement est un nouveau venu dans le paysage du secteur Est de l’avenue du Mont-royal. Ce bar, qui d’ailleurs devrait plutôt être qualifié de discothèque, est à l’image exacte de la tendance du moment. En effet, les pubs originaux et les vieilles tavernes du quartier se convertissent tranquillement afin de capter un nouveau genre de clientèle plus branché. Que la clientèle yuppie (et finalement bourgeoise) puisse s’émanciper dans certains établissements du Plateau n’est pas un problème. Que la clientèle originaire du Plateau peine à s’y retrouver, oui. D’ailleurs, comment puis-je ici ne pas penser à mon père, un pilier de taverne s’il en est un, refoulé, lui et son cercle de prolétaires dans l’une des dernières vraies brasseries du Plateau.
Pour en revenir à mon citoyen, du temps où son voisin était un pub de quartier plutôt qu’une discothèque, il n’y avait pas de problème avec le bruit. Mais là, cet établissement est devenu le rendez-vous d’une clientèle panrégionale (450) et tapageuse pour qui la saturation en décibels symboliserait la liberté. Évidemment, les Honda Civic modifiées qui crissent leurs pneus pour attirer l’attention, les vendeurs de drogues et le chamaillage sur la rue font maintenant partie du lot. Puis, avec ses faux line-up pour démontrer l’attraction du lieu et ses intimidants portiers, l’établissement n’est pas sans responsabilité quant à la dynamique. Cette situation est d’autant plus vraie que ces derniers se moquent des citoyens, de leurs plaintes, voire carrément de la police. Or, il faut dire ici qu’avant l’ajustement de notre réglementation sur le bruit, les amendes antérieures étaient trop basses pour avoir un effet dissuasif. En effet, une tournée de shooters pouvait allègrement payer une seule amende.
De toute façon, étant donné l’avalanche de plaintes à traiter pour le bruit, nos policiers peinent à trouver le temps pour donner des amendes. Car, il faut admettre qu’avec le secteur de la rue Saint-Laurent qu’il faut gérer, les ressources policières du poste #38 (l’un des deux postes du Plateau) sont utilisées à pleine capacité les soirs de fin de semaine. Bien sûr, il y a une bataille politique à mener auprès de la Ville Centre pour avoir plus de ressources policières dans ce secteur hautement problématique, qui plus est, dépasse les limites administratives de notre arrondissement. Mais d’ici là, nous pensons que le simple effet dissuasif de notre nouvelle réglementation réduira le nombre de plaintes à traiter. Alors, il faut comprendre le lien ici entre notre nouvelle réglementation, la baisse du nombre des plaintes, une meilleure gestion de nos ressources policières et le maintien de la sécurité dans le Plateau.
Dans un même ordre d’idée, il faudra aussi comprendre que l’avenue du Mont-royal ne doit d’aucune manière devenir l’équivalent de la rue Saint-Laurent. En effet, cette avenue commerciale traversant les trois districts du Plateau est au cœur de nos échanges économiques, voire de notre identité culturelle. Ainsi, la préservation de son caractère original, littéralement le moteur socio-économique du Plateau, est une priorité politique. Par son caractère original, je parle surtout de sa vocation principale à desservir le quartier par ses commerces de proximité. Puis, par ses petits commerces spécialisés, l’avenue du Mont-Royal attire aussi une clientèle de partout; ce qui est économiquement important pour soutenir sa vocation initiale. Finalement, l’avenue du Mont-Royal est mixte, ce qui veut dire quelle est autant commerciale que résidentielle. Or, puisque l’avenue est habitée en permanence, il s’y retrouve un bassin de résidents pour entretenir la vocation locale des commerces, voire pour veiller à la préservation de leur milieu de vie.
L’exemple de la rue Saint-Laurent
En contrepartie, le modèle de la rue Saint-Laurent est vanté à titre d’exemple à suivre par les forces du marché libre. Dans les faits pourtant, son activité économique périclite. Du temps où l’âme de Saint-Laurent fut immortalisée par Mordecai Richler et Michel Tremblay, il y avait une diversité commerciale. Maintenant, l’offre commerciale de la rue Saint-Laurent pourrait se résumer à des bars et des magasins de vêtements. Parallèlement, la clientèle locale a déserté la main au profit d’une clientèle estudiantine, régionale et touristique. Plutôt jeune, anglophone et bling-bling, Saint-Laurent est littéralement devenue une émule de Crescent Street.
Question d’un citoyen à mon attention à la Hotdogeria sur DeLorimier. «À quoi ça sert vos plans d’apaisement de la circulation, vos dos d’âne et vos choses là qui dépassent des trottoirs ?» Cliquer sur le lien ici-bas pour connaitre une bonne réponse
D’ailleurs, une simple balade sur la main, entre la rue Sherbrooke et l’avenue du Mont-Royal, permet de prendre le pouls de la situation économique: une trentaine de vitrines affichent «à vendre» ou «à louer». Il y a des locaux à l’abandon, des immeubles à vendre et des tags partout où le regard porte. Et malgré tout, comme si nous voulions dissuader les entrepreneurs de relancer la rue Saint-Laurent, les impôts fonciers augmentent et les loyers restent souvent inabordables (il y a des loyers à 22 000$!) à cause des spéculateurs.
Comme pour bien nous assurer de chasser définitivement les résidents de ce secteur (et donc la clientèle locale), la rue Saint-Laurent se transforme aussi en un zoo la nuit. Non seulement la main est devenue une vitrine d’exposition de gros chars bling-bling venant y parader avec leur stéréo ouvert au maximum, mais depuis quelques années, le contrôle des narcotiques est au centre d’une lutte entre diverses organisations criminelles. Pire encore, un nouveau phénomène social a fait apparition: à la fermeture des bars, lorsque des jeunes sont bien intoxiqués et hurlent à la nuit, il est devenu valorisé de défier les forces policières. Bref, il m’apparait dans l’inconscient collectif que des barbares frappent aux portes de notre société en testant les limites des forces de l’ordre.
Alors, quand nous constatons que des clubs sur l’avenue du Mont-Royal importent graduellement la dynamique décrite précédemment (pendant que l’essentiel de nos ressources policières sont occupées sur la rue Saint-Laurent), il m’apparaissait nécessaire de corriger la situation avant qu’il ne soit trop tard. Si les résidents commencent à fuir l’avenue du Mont-Royal, ce n’est pas juste sa diversité commerciale qui sera atteinte, mais peut-être aussi sa vitalité économique, voire carrément la sociologie du quartier.
Les propriétaires de bars et de restaurants ne doivent pas cannibaliser les caractéristiques d’un quartier qui les attire initialement en poussant ses résidents à le fuir
-Luc Ferrandez
Excellent billet. Thumbs up !
Pour avoir resté deux ans sur le Plateau au-dessus d’une taverne progressivement transformée en bar, je sais à quel point le bruit peut être enrageant, et à quel point certains propriétaires peuvent être complètement sourds à tout genre d’arrangement. Je pense que c’est une règlementation qui s’imposait.
Ah, j’habite maintenant dans Villeray.
Dense comme article.
Pour Saint-Laurent, c’est en effet un excellent exemple du dollar libre. Mais qu’est-ce que le dollar ? Pour faire court, c’est une permission d’échanger du travail. Qui contrôle cette permission ?…
Aucun article de la Presse ne peut être pris au sérieux. La Presse est le porte-voix de son patron et son patron le porte-voix de la RBC. Toute mesure qui peut toucher la rentabilité du dollar provoquera une réaction de leur part et leur argumentation n’aura aucune valeur.