Attentat contre une élue démocrate; La menace du Tea party
Comme le dit si bien Normand Lester ici, encore un fou qui affirme son droit constitutionnel aux armes à feu. L’histoire est redondante et se répètera jusqu’à ce que le port d’armes à feu soit mieux réglementé aux États-Unis. Mais plutôt que de se questionner sur l’archaïque deuxième amendement de leur constitution (une relique de 1791 qui garantit pour tout citoyen le droit de porter des armes), les médias états-uniens, toujours aussi voyeurs, préfèrent focaliser l’attention publique sur le drame humain. Littéralement, c’est un pathétique feuilleton national que nous pouvons suivre au fil des attentats. Il est vrai que dans le contexte où les forces conservatrices érigent en liberté fondamentale le port d’arme, tout intervenant remettant en question ce droit « sacré » sera ciblé dans la ligne de mire politique. D’autant plus que la rhétorique guerrière envers les progressistes est maintenant de mise par le réseau Fox News, ses radios satellitaires et leur extension politique du Tea party.
Or, le journaliste François Cardinal s’interroge à savoir si c’est la première victime d’un discours politique qui s’enflamme de façon inquiétante aux États-Unis? Car, au-delà de son amour pour les fusils et sa dureté impitoyable envers ceux qu’elle perçoit comme ses ennemis, Sarah Palin ne s’avère en fait qu’un produit d’une nouvelle manière de jouer dans l’arène politique. En effet, aux alentours du langage agressif et ordurier des radios poubelles aura germé une culture sociopolitique méprisant l’intelligence du débat démocratique et l’éthique nécessaire quant à leur pratique. Fort d’une liberté d’expression totale où tout peut être dit et inventé, les faits ne comptent pas; surtout pas quand il est question de défendre le «God Country». Évidement, en luttant pour un pays guerrier et religieux, l’esprit partisan émanant du Tea party n’est égal qu’à son opposition belliqueuse au progrès social. Littéralement, nous avons affaire à des nouveaux barbares!
Définition de barbare:
1. individu remarquable par sa cruauté (ces assassins sont des barbares)
2. personne rustre et inculte (c’est par la civilisation que nous nous distinguons des barbares)
De la sorte, il n’est plus question ici d’une droite classique se confortant à défendre l’ordre politique. Cette «nouvelle droite» est régressive et se définit primairement: anti étatique, anti intellectuelle, anti scientifique, anti culturelle, anti laïque. Bien sûr, dans ce qu’incarne cet étrange manque de culture et de compassion fièrement assumée, l’absence de connaissances économiques est compensée par une foi aveugle dans la bonté du marché.
Or, ne soyons pas naïfs ici, le Tea party et sa plèbe inconsciente servent des intérêts industriels. Au-delà l’enrobage marketing des symboles patriotiques et des slogans libertaires, voire de la sainte croisade «pour défendre la civilisation occidentale» contre la terreur islamique, ce mouvement pseudo «grassroot» est téléguidé par de gros lobbys économiques.
Comme le rappelle Frank Rich dans le New York Times, au-dessus de Glenn Beck, il y a bien sûr Rupert Murdoch, le créateur de Fox News, machine de guerre maintenant bien connue aussi contre l’administration Obama. Mais derrière le mouvement « populaire » et « basique » des Tea Parties, il y a aussi les frères Koch. David et Charles Koch, aujourd’hui âgés de 70 et 74 ans, sont les deux milliardaires qui ont créé et qui financent le groupe « Americans for Prosperity ». Créé en 2004, Americans for Prosperity est à l’origine de nombreuses manifestations contre l’administration Obama, rassemblements qu’elle appelait à l’origine des « Porkulus » avant de se rallier à l’étiquette « Tea Party ». Americans for Prosperity fournit aux Tea Parties arguments ou orateurs, décrit Jane Mayer, du New Yorker, qui a enquêté sur les frères Koch. Un de ses leitmotive est que l’administration Obama veut imposer le « socialisme » aux États-Unis, mais dans le détail, l’organisation se consacre aussi à dénoncer la réforme de l’assurance maladie ou le projet de législation sur le changement climatique. Les frères Koch tirent une bonne partie de leur richesse de l’industrie du pétrole (raffineries et pipelines) et financent généreusement lobbyistes et think tanks chargés de remettre en doute le changement climatique.
Afin de comprendre les dessous de la guerre en Irak et du groupe Carlyle dans le lobby de cette guerre, je vous invite FORTEMENT à visionner le documentaire: Le Monde selon Bush
Alors, de la NRA (qui veut fluidifier la vente d’armes à feu sur le territoire américain) au complexe militaro-industriel (gérant l’économie des territoires occupés) en passant par les compagnies pétrolières (toujours plus avides de ce qui reste en ressources fossiles), ces sympathiques lobbys n’ont que faire d’un gouvernement au service du peuple. Leur objectif est de librement s’enrichir sans interférence étatique, voire de dominer le monde sans entrave nationale. Mais depuis l’émergence de Barrack Obama et d’intellectuels progressistes à la tête du gouvernement états-unien, il est devenu difficile pour le complexe militaro-industriel de repartir en guerre pour coloniser de nouveaux territoires. Non seulement le gouvernement Obama retire l’armée étasunienne en Irak, mais ce dernier affirme se sensibiliser aux changements climatiques (comprendre entre les lignes, réduire l’exploitation des énergies fossiles). Ensuite, en essayant de réformer le système de santé, Obama renverse l’ordre des valeurs constituantes du capitalisme états-uniens (l’accès à la santé et la vie pourrait, finalement, être plus important que la hiérarchie imposée par l’argent?). Malheureusement, puisque cette réforme heurte frontalement les intérêts du puissant lobby des compagnies d’assurance médicale, ces derniers déclarèrent la guerre au pouvoir de l’État (via Fox News).
Ici, Le documentaire Outfoxed nous fait un exposé sans concession du fonctionnement de la chaine FOX News dont le slogan est ironiquement: « Fair and Balance« … et qui est tout sauf une chaîne journalistique digne de ce nom.
Ainsi, les politiciens démocrates furent assiégés par une rhétorique guerrière à leurs égards, et surtout, le débat démocratique fut totalement court-circuité. Or, nous connaissons tous le résultat de mi-mandat. Favorisé par la vague populaire d’un Tea Party (lui-même alimenté par les radios poubelles), le parti républicain a gagné le contrôle de la Chambre des représentants. Si bien qu’aujourd’hui, non seulement la réforme du système de santé est pratiquement paralysée, mais l’opposition conservatrice se complaît à maintenant suggérer l’État comme un ennemi potentiel.
En conditionnant le peuple à penser contre le rôle social de l’État, il faudra réaliser que le Tea Party est un excellent véhicule politique pour les forces ultralibérales. Patriotique, populiste, conformiste, religieuxet sans aucune capacité d’esprit critique, le mouvement est facile à manipuler. Puis, étant contre toute forme de responsabilité sociale, son essence est d’obédience libertarienne. En ce sens, son rudimentaire mantra «Moins d’impôts, moins de gouvernements, plus de liberté» est d’une simplicité redoutable… et correspond totalement aux objectifs économiques des puissants lobbys. Voilà donc qui est sommé: le gouvernement ne doit plus servir qu’à protéger les droits individuels. Et gare à vous, communistes gouvernementaux, si vous touchez à notre portefeuille avec vos impôts: «le peuple» est fièrement armé et fera respecter la liberté (son pouvoir de consommation).
Ainsi, nous ne sommes plus dans une logique d’échange démocratique aux États-Unis, mais dans une logique de guerre politique. Or, c’est justement dans cette atmosphère conflictuelle qu’il se développe, au plus profond du Bible belt américain, des milices armées jusqu’aux dents.
Et croyez-moi, si les démocrates décidaient d’abolir le deuxième amendement de la constitution, le feu serait alors mis aux poudres entre cette armée de l’ombre et l’État. Ainsi, fort de cette menace virtuelle sur l’ordre gouvernementale, le Tea party souffle son discours de guerre à tous les vents pour accroître son rapport de force «démocratique» sur la direction du pays. Puis, en braquant ainsi les politiciens progressistes, en les retranchant sur la défensive, le Tea party arrive aussi à paralyser leurs mesures… et brise nos espoirs quant aux changements promis par Barack Obama. Il va sans dire, pendant ce temps, le parti républicain se prépare tranquillement à revenir au pouvoir.
La démocratie états-unienne est pour ainsi dire assiégée par des barbares. Cette horde d’incultes excités en armes politiques; ces racistes homogénéisés à la sauce patriotique de 1773, ces créationnistes fanatisés contre l’Islam à Darwin; ces dégénérés sociaux idéalisant le temps des cow-boys. Culturellement nivelée par le bas et réconfortée dans son ignorance, cette masse aliénée par Fox News assaille les élites et dénigre toute notion de bien commun.
Scène extraite de Bowling for Columbine de Michael Moore, dans laquelle les créateurs de South Park nous explique l’histoire du deuxième amendement
Quatre pistes de solution
Barack Obama a raison quand il appelle à Tucson à plus de civilité et à la fin des attaques incessantes de part et d’autre. Mais si la tuerie d’Arizona permet d’ouvrir une discussion nationale sur un nécessaire retour à un débat politique plus serein aux États-Unis, alors elle aura au moins servi à quelque chose. Malheureusement, loin d’être compatissante avec les victimes et de désamorcer les métaphores guerrières, Sarah Palin accuse les journalistes d’inciter à la haine et à la violence qu’ils prétendent condamner.
Puis, s’il semble impossible de toucher au deuxième amendement de la constitution, un contrôle plus strict du port d’armes à feu est toutefois possible. Effectivement, puisque les fusils d’assaut sont conçus pour les soldats en zone de guerre, en aucun cas ils ne devraient être disponibles à la population.
Ensuite, le gouvernement Obama devra élaborer un plan pour désarmer Fox News et ses haut-parleurs. Car, puisqu’en démocratie, le premier fondement (théorique) du journalisme est de défendre l’intérêt public, il devrait s’élaborer un code de déontologie encadré par des balises strictes pour pouvoir pratiquer ce métier. Ainsi, l’idée serait de compliquer le système des mensonges construit à des fins de propagande politique, par des amendes aux journalistes fautifs et des retraits de licences aux émissions concernées.
En dernier lieu, à long terme, l’investissement en éducation et dans un système de santé universel est le nerf de la guerre pour apaiser les tensions issues des inégalités sociales. Car, dans le pays le plus avancé de la planète, les malades mentaux ont plus facilement accès à des armes à feu qu’à des soins de santé.
Le déclin de l’empire américain
En conclusion, une manche importante dans le combat entre l’Amérique des lumières et l’Amérique des ténèbres se poursuivra à la prochaine élection présidentielle en 2012. Personnellement, si je pense que les fanatiques du Tea party contribueront à repousser le républicain centriste vers la reconduction du mandat au président Obama, il faudra tout de même appréhender le spectre apocalyptique d’une Sarah Palin aux commandes du pays le plus puissant au monde.
De toute manière, retour de balancier oblige, les républicains reviendront au pouvoir un jour ou l’autre. Dans cette figure de cas, comme l’a dernièrement révélé Wikileaks, une troisième guerre (potentiellement mondiale) entamée contre l’Iran semble une hypothèse hautement plausible.
De notre côté au Québec, puisque nous assistons ainsi au long déclin de l’empire américain, nous devons prendre compte des conséquences constitutionnels générées par l’application du deuxième amendement. Car oui, il faut impérativement faire reculer le Parti Conservateur du Canada sur l’abolition de l’enregistrement des armes à feu au pays. Si ce parti devient majoritaire au prochaine élection et qu’il arrive à ouvrir cette boite de pandore , je suis convaincu que les troubles sociaux que vivent actuellement les États-Unis se répandront jusqu’à nous.
Déjà, à travers les entrelacements de l’empire Québecor nous discernons au Canada une orientation vers le modèle de propagande politique à la Fox News. Puis au Québec, il y a maintenant le Réseau-Liberté-Québec qui prépare le terrain politique aux idées du Tea party dans notre société. Ah oui, comme par hasard, le co-fondateurs du RLQ, Éric Duhaime, est justement chroniqueur pour Quebecor. Alors, la voyez-vous venir cette nouvelle droite libertarienne/corporatiste? Cette droite radicale s’organisant par le monde avec ses partis, ses mouvements, ses médias, ses leaders politiques et d’opinion.
Avant qu’il ne soit trop tard, aurons-nous l’intelligence de défendre la société québécoise et ce qu’il nous reste de la Révolution tranquille?
Trop de liberté tue la liberté
Excellent article, bon argumentation. Quand on voit les photos, vidéos et caricatures un à la suite de l’autre ça fait réfléchir… J’espère bien que plusieurs personnes non informées tombent sur cet article.
Bravo 🙂
Alors là j’ai envie de dire « J’ai toujours été élu par une majorité de cons » Georges Frêche
http://www.youtube.com/watch?v=t55CC7U82nc