Pages Menu
Menu catégories

Posté par le 3 juillet 2007 dans [référence à un film], Écologie, Humour, Médias, Politique internationale

Les « Yes Men » frappent en Alberta

The Yes Men

Connaissez-vous les « Yes Men » ? Non, non… je ne vous parle pas ici de Sylvain Simard au Parti Québécois ou de l’ensemble des députés fédéralistes dans notre belle province, mais bien d’un groupe d’activistes altermondialistes bourrés d’humour et d’audace. De prime abord un canular prenant la forme d’un site Web pastichant celui de l’OMC (gatt.org), les Yes Men passèrent à un niveau supérieur en acceptant, via ce site, quelques invitations pour intervenir dans des conférences… en tant que représentants officiels de l’OMC. De la sorte, à chacune de leurs interventions, alliant des scénarios orignaux à de solides performances théâtrales, les Yes Men ont développé un art pour l’imposture engagée. Ainsi, ces activistes distordent la rhétorique capitaliste en remplaçant le théorique (et le politiquement correct) par des chiffres et des faits qui illustrent les effets concrets du capitalisme mondialisé. Leur objectif : infiltrer les médias en livrant, par l’absurde, une guérilla contre le néolibéralisme.

Or, ne voilà t’il pas que les deux principaux activistes du groupe se sont fait expulser lors d’une conférence sur l’énergie le jeudi 14 juin dernier à Calgary. Formellement, nos deux comparses (introduis en tant que responsables de la Gas and Oil Exposition) achevaient de présenter une solution «originale» au réchauffement climatique, c’est-à-dire de transformer industriellement des cadavres en bougies!!! Pourtant, bien que ce fait soit aussi cocasse que d’actualité, le silence médiatique sur l’événement dans «notre beau grand pays» est total! Or, puisque c’est via l’intermédiaire du journal français Le Monde que j’ai appris cette nouvelle, je me demande pourquoi cette information n’a pas été traitée de la même façon au Canada.


Les Yes Men se sont fait expulser lors d’une conférence sur l’énergie le jeudi 14 juin dernier à Calgary

Cependant, avant d’évoquer ici une forme de censure, il faut toutefois spécifier qu’en avril dernier, les Yes Men avaient fait la manchette française en piégeant le député français, Claude Goasguen (UMP). En effet, par le biais d’une interview avec une chaîne étasunienne fictive, les Yes Men avaient sommé M. Goasguen et son pays de prendre une distance avec le Pacte écologique de Nicolas Hulot. Alléguant ainsi que le patronat américain craignait un virage vert en France, le but réel des Yes Men était de vérifier la sincérité de l’engagement écologique des politiciens français… or les réponses du député UMP furent des plus instructives.


Voir ici l’entrevue en question
Puis la réponse de Claude Goasguen sur son blogue

Effectivement, Claude Goasguen a tenu à « rassurer les hommes d’affaires américains », soulignant que le Pacte écologique Hulot, «qu’il défend», sera mis en place avec un «certain» délai. Puis, interrogé sur un projet étasunien en PPP de produire et transporter de la glace au pôle Nord (pour contrer le réchauffement climatique !!!), M. Goasguen y saluera naïvement l’initiative :

Nous, libéraux, croyons aux «nouvelles croissances», et ce que vous proposez va dans notre vision, car cela signifie que «notre» industrie (sic) peut s’adapter aux nouveaux impératifs de ce siècle
– Claude Goasguen

Puis, cerise sur le sunday, M. Goasguen déclarera au Yes Men qu’il ne veut pas d’un vice 1er ministre chargé du développement durable (tel que le stipule le pacte écologique Hulot)… admettant au passage, que de toute façon, le développement durable est un terme très flexible.

Bref, en résumé pour l’UMP, même si les politiciens sont dorénavant obligés de se soucier d’environnement pour se faire élire, le Pacte écologique de Nicolas Hulot n’est ni politique (ce dernier ne serait qu’un journaliste), ni pour demain. Mais surtout, nous pouvons avoir confiance à l’industrie privée pour s’occuper de résoudre le réchauffement climatique. Wow, à croire que l’ancien président du groupe UMP à Paris ne comprend vraiment pas que c’est l’incessante croissance économique, justement, qui principalement provoque le désordre écologique planétaire.

Nicolas Hulot

Le Pacte écologique de Nicolas Hulot
À l’heure actuelle, 5 candidats à la Présidence de la République ont signé le Pacte écologique de Nicolas Hulot : François Bayrou, Marie-George Buffet, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, Dominique Voynet. Les cinq propositions de ce pacte sont :
– La création d’un poste de vice premier ministre chargé du développement durable,
– Une taxe carbone en croissance régulière,
– Une nouvelle répartition des subventions agricoles vers une agriculture de qualité,
– La systématisation des procédures de démocratie participative et la mise en place d’une grande politique d’éducation et de sensibilisation.
– Le Pacte écologique précise que ces mesures sont «techniquement et juridiquement applicables dès le début du mandat du nouveau Président de la République» et ajoute : «les bouleversements liés au réchauffement climatique ou aux pénuries de ressources sont déjà là. (…) L’ensemble des observations scientifiques le confirme. C’est la raison première de l’urgence de la mobilisation.»
(À Paris, tout comme l’ensemble des Verts, je suivais de proche le développement politique du Pacte écologoque de Nicolas Hulot)

Maintenant, quand je pense que c’est justement le Pacte écologique Hulot qui a dilapidé l’importance électorale des Verts à la dernière présidentielle française, il y a de quoi se sentir démocratiquement floué (encore une fois). Effectivement, en période pré-électorale, la presse française clamait à tous les vents que le Pacte Hulot, puisque signé par l’UMP et le PS, rendait caduque le rôle des Verts en France. Si bien qu’ici, avec du recul, nous avons un exemple concret d’un subterfuge médiatique du système néolibéral pour détourner la mobilisation populaire autour du discours écologique. Ainsi, nous pouvons déduire que pour les néolibéraux, l’idée n’est plus de combattre idéologiquement l’écologisme, mais plutôt, de récupérer son vocabulaire afin de brouiller les esprits. Cependant, puisque le réel changement s’opère dans l’action politique plutôt que par les discours, le pouvoir conservateur minimise la révolution écologique en maintenant la maîtrise de l’agenda temporel des gouvernements… ces mêmes gouvernements qu’elle ratatine graduellement à coup de PPP et de privatisation. En conclusion, bien que la droite semble se rallier dans la forme au discours écologique, il n’en demeure pas moins qu’elle cherche simplement à gagner du temps. Finalement, le système néolibéral sait que la clef du prolongement de son pouvoir réside davantage dans la réduction des capacités gouvernementales que dans le développement d’une propagande antiécologique. De la sorte, même si un parti politique ne s’inscrivant pas dans une logique néolibérale se faufile quelque part à la tête d’un pays industrialisé, le pouvoir des gouvernements sera si affaibli que ce dernier ne pourra rien modifier de radical. En conclusion, la bataille écologique se joue aussi dans la défense de la social-démocratie et du rôle de l’état.

Bref, maintenant, trouvez-vous normal, et sain pour une société, qu’un aspirant à la mairie de Paris s’enthousiasme pour la «solution» de produire industriellement de la glace pour refroidir le pôle Nord? Mais vraiment, quelle sottise ici de ne pas discerner l’incohérence de cette idée farfelue (soit dit en passant puisée dans le dernier film d’Al Gore) ! Ainsi, cet exemple semble démontrer, malheureusement, que l’ascension sociale des politiciens de notre ère soit plutôt déterminée par leur aptitude à promouvoir la logique du système néolibérale que par leur faculté à penser par eux-mêmes. Décidément… pour la suite des choses, il y aurait comme un péril dans la demeure.

Si bien même que c’est pour choquer, les Yes Men en arrive à développer des thèses encore plus libérales que celles des leurs « ennemis » désignés, or il est quelque peu ironique de constater que ces derniers ne réveillent pas la conscience de leurs victimes et auditeurs pour autant. Si bien que les Yes Men ayant rarement été démasqués durant une performance, leur dernière expulsion à Calgary était, selon moi, une nouvelle en soit. Mais puisqu’au Québec, nos médias préfèrent connaître l’avis d’un quidam allant au Grand Prix de F1 plutôt que celles du chef de Projet Montréal sur les transports, il ne faut pas s’étonner que nous n’ayons jamais entendu parler des Yes Men à la télévision.

Un vrai spectacle

The Yes Men

De la colère à la joie… Andy Bichlbaum et Mike Bobanno, fondateurs des Yes Men

De la sorte, histoire de quelque peu rétablir l’équilibre du traitement de l’information, je vous propose d’aller louer (ou télécharger) l’excellent documentaire des Yes Men. Pour ma part, j’ai justement découvert l’existence de ce groupe par l’intermédiaire de ce film (ce même film, m’ayant été introduit par Martin Audet, un supermilitant de Projet Montréal). Et sincèrement, l’année dernière, j’ai rarement autant ri que durant ce passage ou les Yes Men expliquent à des étudiants la nature de la nomenclature des nouveaux Big Mac en destination du tiers-monde; non seulement je riais (seul dans ma chambre) à en avoir mal au ventre, mais j’étais pratiquement incapable de m’arrêter.


Le « Re-Burger »
andy

Une bonne partie du film tourne autour de la fabrication d’une combinaison dorée dont s’échappe, quand on l’en libère, un pénis géant en érection. Doté d’une caméra en son extrémité, cette combinaison permettrait aux chefs d’entreprise, pendant leurs loisirs, de surveiller en permanence le travail dans leurs usines aux quatre coins du monde.

Vous l’aurez donc compris, ce documentaire porte donc sur une série d’actions menées contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Suivant ainsi plusieurs de leurs interventions sur une période de quelques mois, depuis la préparation jusqu’à la représentation finale, le film des Yes Men offre un véritable spectacle dans lequel nos champions se déguisent pour jouer le rôle d’un ennemi politique. Subséquemment, ce film étudie en autre le travail d’acteur, puis, invite à réfléchir sur les fins, les moyens et l’efficacité de l’action politique dans une société hyper médiatisée. Obligés, pour continuer, à duper le monde, de changer constamment d’identité et de réinventer de nouvelles formes d’interventions, les Yes Men posent des questions passionnantes, notamment sur l’opportunité ou non d’utiliser les armes de l’ennemi. Bref, avec les Yes Men, l’engagement politique n’aura jamais été aussi amusant

the yes men poster

L’affiche officiel du film The Yes Men

On ne peut pas avancer si on n’est pas subversif
Laurent Schwartz (Extrait d’Un mathématicien aux prises avec le siècle)

6 413 visionnements

2 Commentaires

  1. C’est intéressant.
    Le militantisme doit utiliser tous les moyens afin de combattre les puissances d’argent. Nous en sommes rendu là. La censure oblige de trouver des moyens originaux de déstabiliser le « système ». Bravo pour l’initiative!

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *