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Posté par le 8 août 2023 dans Sociologie

Barbie : Entre symbolisme féministe et capitalisme mercantile

Barbie : Entre symbolisme féministe et capitalisme mercantile

En tant que féministe universaliste, j’ai depuis longtemps nourri une aversion envers Barbie, le symbole plastifié de la supposée perfection « made in USA » qui a véhiculé pendant des décennies à travers le monde les valeurs patriarcales qui ont longtemps prévalu au cœur du modèle de l’empire américain. Mon rejet de cette icône conformiste de la consommation de masse est profond, car elle semble glorifier la femme-objet, exalté par un désir mimétique à la culture étasunienne et ses idéaux superficiels. Ainsi, même sans avoir vu le nouveau film Hollywoodien mettant en scène réelle la fameuse poupée, j’ai tout de même acquis suffisamment de connaissances à son sujet sociologique grâce à des analyses de vidéastes cinématographiques que je suis activement sur YouTube.


Vince de la chaine Plot Time est ma nouvelle découverte de vidéaste spécialisé en critique de pop culture auprès de la génération Z

Cependant, ce qui suscite une curiosité croissante de nos jours, ce n’est pas tant la réaction attendue des conservateurs face à l’évolution « féministe » de Barbie telle qu’illustrée dans le nouveau film, mais plutôt l’enthousiasme avec lequel certains membres de la supposée « gauche » politique l’accueillent. Alors que Barbie s’efforce de se réinventer en une figure féministe contemporaine, une portion de la gauche, que je qualifierais de conformistes « wokes » ou de libéraux radicaux, s’engage dans la guerre culturelle actuellement en cours aux États-Unis pour la défense de Barbie contre les critiques des conservateurs, en la hissant au rang d’emblème de leur lutte progressiste… ce qui, en parallèle, contribue aux bénéfices engendrés par le film et la commercialisation de ses produits.


150 000 000 $ : le budget Marketing de Barbie est supérieur au budget du Tournage

D’ailleurs, dans cet article d’Ophélien Champlain, ses réflexions concernant l’aspect mercantile du film et la mise en avant de Barbie enrichissent ma propre analyse. La perspective cynique qu’il offre sur le plan commercial est captivante, envisageant ce film comme une vaste campagne publicitaire visant à propulser les ventes de poupées Barbie. Il est incontestable que Mattel, en tant que producteur du film, poursuit des intérêts commerciaux majeurs.

Avec Mattel, le producteur du film, derrière cette démarche, il n’est pas surprenant que certaines critiques conservatrices y voient une récupération opportuniste du wokisme par le capitalisme corporatiste, ou peut-être même l’inverse. Quelle que soit la perspective, cette union entre le mouvement woke et l’industrie du divertissement n’est pas une nouveauté, comme l’indique Champlain en mentionnant les critères ESG qui ont pris de l’ampleur il y a plusieurs années.

De la sorte, au lieu de simplement susciter une acceptation sans réserve, cette fusion entre le marketing progressiste et les intérêts capitalistes devrait plutôt inciter à questionner les motivations réelles sous-jacentes à cette nouvelle image « féministe » de Barbie. D’un point de vue plus personnel d’ailleurs, cet intérêt aveugle pour Barbie en tant que nouveau symbole progressiste a été particulièrement illustré lors d’une récente interaction que j’ai eue sur les réseaux sociaux. Plus précisément, cela s’est produit sur le mur Facebook de Christian Vanasse, un humoriste bien connu pour sa participation historique au sein des Zapartistes. Ainsi, j’ai donc exprimé ma perspective de gauchiste démodé concernant la nouvelle égérie du mouvement woke/Matel en écrivant : « Quand des néo-progressistes en arrivent à défendre des productions hollywoodiennes, voire promouvoir spécifiquement ce film au service d’un produit mercantile symbolisant la culture étasunienne s’imposant dans le monde… Tu réalises qu’une partie de la gauche s’est vraisemblablement perdue en cours de chemin.»

À l’intérieur d’un safe space, les gens ne cherchent pas à débattre sur le sens de leur mouvement collectif mais à combattre ce qui peut contrevenir à la vitesse dudit mouvement

Malheureusement, au lieu de susciter ne serait-ce qu’un iota de réflexion, cette simple remarque a évidemment été accueillie avec dérision et moquerie. Cet épisode m’a ainsi fait prendre conscience de la distance politique qui s’est creusée avec d’anciens compagnons que je fréquentais à l’époque où j’évoluais activement dans la gauche militante. De nos jours, la scène politique semble malheureusement de plus en plus se polariser à l’image de la politique étasunienne, entre conservateurs nationalistes et wokes libéraux, laissant peu de place au recul démocratique, à la nuance individuelle et à la véritable réflexion intellectuelle.

En vue de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, les partisans du Democratic party semblent se ravir du succès commercial de Barbie au box-office

Cette dérive inquiétante des néo-progressistes vers le néolibéralisme corporatif éloigne globalement la gauche de ses valeurs originelles et la conduit vers une direction où le symbolisme l’emporte sur l’action concrète pour la social-démocratie, l’écologie… voire l’indépendance nationale dans notre cas au Québec.

Est-ce que nos bons progressistes réalisent la pollution mondiale que peut générer la production en masse de cette poupée de plastique se distribuant partout à travers le monde ?

Dans ce monde en perpétuelle évolution, les métamorphoses sociologiques peuvent surprendre à long terme, comme l’illustre l’exemple de Christian Vanasse. Autrefois acteur clé d’un groupe humoristique indépendantiste moquant la droite économique des libéraux, aurait-il pu imaginer qu’en 2023, son alter ego ridiculiserait les critiques envers Barbie? Aurait-il cru qu’il finirait par adopter la même position que le Premier ministre libéral du Canada vis-à-vis cette entreprise… ce dernier se percevant même jusqu’à faire partie de « l’équipe Barbie », car tous unis dans une guerre culturelle contre les conservateurs ?

En conclusion, je souhaite adresser un appel aux membres de l’équipe Barbie se revendiquant du progressisme. Rejeter les politiques conservatrices incarnées par Donald Trump ne doit pas nous entraîner dans une lutte binaire étrangère à nos propres intérêts nationaux. Évitons que notre vision du progressisme soit façonnée par le modèle américain et ses intérêts économiques. Devons-nous réellement attendre la sortie du prochain remake de Blanche-Neige, justement écrit par la réalisatrice de Barbie, Greta Gerwig, pour comprendre que l’agenda politique woke s’exprimant à travers ses productions cinématographiques s’inscrit totalement dans le capitalisme ambiant ?


Petit portrait de l’effet du wokisme à travers la pop culture. Disons que la résistance au wokisme en France est beaucoup mieux développé qu’au Québec

Pour préserver l’avenir de notre propre culture en Amérique, il est essentiel de ne pas laisser nos rêves d’un pays indépendant et socialement équitable s’estomper face à une culture impérialiste. Or, l’engouement pour le wokisme conquérant en provenance des États-Unis ne doit pas éclipser notre quête d’un avenir indépendant et social-démocrate. Le moment est critique de réaffirmer nos valeurs, de tracer un chemin au-delà des récits préfabriqués venant des États-Unis, afin de concrétiser nos aspirations uniques pour l’avenir du Québec.

Le capitalisme peut parfois coopter même les mouvements les plus progressistes
– Naomi Klein

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