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« Avec Firefox, nous sommes en train d’inventer de nouveaux modes d’organisation »

Tristan Nitot est fondateur et président de l’association Mozilla Europe, la branche européenne de la Fondation Mozilla.
« Avec Firefox, nous sommes en train d’inventer de nouveaux modes d’organisation »
LEMONDE.FR | 24.11.06 | 12h41 • Mis à jour le 24.11.06 | 14h33

Pourquoi le chiffre d’affaire de Mozilla Corp pour l’année 2005 n’est-il toujours pas disponible sur le site Mozilla ou sur Guidestar ?

J’ai alerté Mozilla Corp (la société qui gère les droits et la distribution de Firefox) à propos de la polémique en France. Mais, ils sont encore en train de finaliser les documents comptables « officiels » afin de les communiquer à l’autorité fiscale américaine. Puis ils seront mis à disposition sur guidestar. Je serai cette semaine aux Etats-Unis et ne vais pas manquer de plaider à nouveau pour cette transparence. J’ai entendu des chiffres fantaisistes. Le montant sera selon toute vraisemblance inférieur à 50 millions de dollars. Quoi qu’il en soit, il nous faut continuer à provisionner un fond de réserve qui est essentiel pour préserver l’indépendance du projet Mozilla.

Comment analysez-vous le succès de Firefox, notamment face à son éternel rival qu’est Internet Explorer ?

Il nous faut acquérir des parts de marché pour s’assurer que le Web ait un avenir qui ne soit pas dominé par une seule société, quelle qu’elle soit. Actuellement nous sommes aux alentours des 20 % de parts de marché en Europe. Mais il faut se souvenir qu’il y a encore deux ans, la plupart des sites Web étaient limités à Internet Explorer, alors que Microsoft avait cessé tout développement de son navigateur. Le Web, dont le succès tient à son ouverture et à sa compatibilité avec tous les ordinateurs, voyait son avenir s’assombrir, d’autant plus que dans le même temps, on assistait à l’explosion des popups, des spywares et des attaques en tout genre. Puisque Microsoft se désintéressait du navigateur depuis qu’ils en avaient le monopole, il fallait réagir en proposant un navigateur schizophrène, qui réussisse à la fois à afficher les pages prévues pour Internet Explorer, mais qui soit aussi plus sécurisé et conforme aux usages qui étaient en train de se développer. Surtout, il fallait qu’il soit suffisamment populaire pour que le marché des navigateurs soit à nouveau ouvert. De ce point de vue là, nous avons dépassé nos rêve les plus fous !

Comment se sont faits les choix de partenariats, notamment avec Google ?

La mission officielle du projet est de promouvoir le choix et l’innovation sur Internet. La vocation de Firefox est d’être un navigateur simple d’usage, utilisable par tous, qui sera présent sur le long terme. Les partenariats sont arrivés par la suite. Parmi les fonctionnalités innovantes de Firefox, on trouve l’intégration d’un moteur de recherche directement dans l’interface du navigateur. Immédiatement nous nous sommes posé la question de savoir quel était le moteur qui donnait la meilleure expérience de recherche : la réponse était évidente à l’époque, c’était Google. Nous avons donc installé cette boîte de recherche avec Google en tête de liste par défaut, sans leur en parler. Google a vu les parts de marché de Firefox augmenter dans ses statistiques, et à partir de 3 ou 4 %, alors que la première version du navigateur n’était pas encore finalisée, certains de ces moteurs, dont Google, sont revenus vers nous en nous demandant de sécuriser leur présence et leur position dans cette liste. Trois des quatre moteurs ont donc établi des accords avec nous. A contrario, un portail européen nous a proposé une forte somme d’argent pour devenir la page d’accueil par défaut et passer en tête de liste des moteurs de recherche pour les versions européennes de Firefox. Nous avons refusé : ça n’était pas la meilleure page d’accueil et la pertinence de recherche n’était pas aussi bonne qu’avec Google. Nous aurions perdu toute crédibilité en acceptant. C’était une décision évidente.

Comment se passent les relations avec la Mozilla Corporation ?

Ça se fait de façon très informelle. Il y a une vraie volonté d’écoute de la part des membres de la direction. Et pas d’enjeux de pouvoir, nous sommes soudés par un même objectif. Certes, nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout, mais nous avons cette volonté commune d’avancer dans la bonne direction. Mitchell Baker, l’actuelle présidente de Mozilla Corp., a subi de sérieuses pressions et a été fortement remise en cause lorsqu’elle travaillait chez AOL/Netscape quand on lui a demandé d’arrêter le projet. A l’époque, elle a refusé net et s’est donc faite virer dès le lendemain. Quand on la voit et quand on sait ce qu’elle a fait, ça créée forcément des liens. Les gens travailllent sur le projet Mozilla parce qu’ils ont confiance.

Comment voient-ils la branche Europe ?

L’Europe, du point de vue des Américains, c’est loin, c’est petit, c’est en plusieurs langues et ça pose des problèmes. J’ai d’ailleurs fait remonter aux Etats-Unis les turbulences blogsphériques françaises. J’ai toujours prôné la transparence et espère bien que ça va les motiver encore plus à mieux communiquer, et plus en amont. Nous ne pouvons plus réagir quand la machine est déjà emballée. Cela dit, ça n’est pas nouveau que je les relance avec mes demandes de transparence, mais c’est peut-être parce que je suis français et que je sais que les réactions des français sur les questions d’argent sont « différentes ».
Que répondez-vous aux personnes qui soupçonnent Mozilla de vouloir s’enrichir ?

Il ne faut pas perdre de vue que la Fondation Mozilla est à but non lucratif et n’a pas d’actionnaires. Donc personne ne peut s’enrichir avec cet argent. Nous ne sommes pas une entreprise. D’autre part, la Mozilla Corp. est une filiale à 100 % de la fondation, et, dans le pire des cas, si la fondation décidait de revendre la « Corp. », ce serait comme tuer la poule aux œufs d’or, d’autant qu’il y aurait obligation de redistribuer l’argent ainsi obtenu pour le bien public. Enfin, il ne faut pas oublier que Firefox est un logiciel libre, c’est à dire qu’on ne peut pas se l’approprier : la valeur du projet est plus dans le produit lui-même que dans les revenus qui pourraient être générés, sans pour autant pouvoir être utilisés.

Comment voyez-vous l’avenir pour Firefox, notamment face à Microsoft ?

Il y a deux ans à peine, Firefox, c’était dix personnes et un projet moribond. Aujourd’hui, c’est 70 millions d’utilisateurs. Notre idée est, et sera, de faire fructifier cette technologie. Aucun logiciel libre n’a jamais atteint ce stade de réussite auprès du grand public, nous sommes donc en train d’inventer de nouveaux modes d’organisation et ça passe inévitablement par de nouveaux problèmes à résoudre. Quant à Microsoft, ils n’ont jamais été aussi bons que quand ils se sentent menacés. Que Microsoft veuille utiliser le code de Firefox pour l’intégrer dans une future version de son navigateur par exemple, n’a pas d’importance, au contraire même. Si c’est ce qui arrive, nous continuerons de toutes façons de notre côté à améliorer le navigateur. Je reste persuadé que dès que l’on va passer un seuil critique de parts de marché, il va y avoir une volonté de voir apparaître des challengers. Opera et Safari se voient offrir des opportunitées de croissance avec l’ouverture de Microsoft et ses bugs. Je pense que ces navigateurs ne vont pas rester confidentiels très longtemps, d’autant que ce qui nous anime tous est cette promesse formidable du Web.

Propos recueillis par Olivier Dumons

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