Le Québec pris entre deux eaux
L’Élection québécoise 2012 a beau être terminée, mais la conclusion de l’exercice démocratique correspond davantage à un intermède plutôt qu’à un réel choix de société.
Dans la foulée du Printemps érable, nous n’avions jamais autant parlé de politique depuis le dernier référendum. Exaspérés par neuf ans de règne libéral, les Québécois se sont mobilisés comme rarement nous l’avons vu dans notre histoire. Si bien que cette élection d’un gouvernement péquiste minoritaire a de que quoi modérer nos ardeurs tout en laissant les progressistes demeurer sur leur faim.
De l’autre côté, les forces conservatrices viennent de perdre «le volant», mais l’avantage numérique du PLQ (50) combiné à celui de la CAQ (19) à de quoi maintenir le PQ sur la défensive. Bref, en attendant la réorganisation de tout un chacun, ce n’est donc que partie remise à la prochaine élection. Et comme l’exprime ici Josée Legault dans son article le cadeau empoisonné, on dirait bien que les Québécois viennent de se donner un parlement de transition. Mais une transition vers quoi ? Ça, c’est exactement la bataille qui se jouera jusqu’au prochain scrutin; la dernière élection n’ayant donc été qu’une pratique générale.
L’État des forces
Pauline Marois dirigera donc un gouvernement sous haute surveillance, qui plus est, pourra être défait lorsque le PLQ et la CAQ s’entendront à cet effet. Même si dans l’histoire canadienne les gouvernements minoritaires n’ont jamais tenu plus de 18 mois, le PQ détient toutefois une courte marge de manœuvre devant lui. Effectivement, le PLQ se retrouve maintenant décapité par la défaite de Jean Charest dans le comté de Sherbrooke et se cherche donc un nouveau chef. Puis, la reprise de la commission Charbonneau risque de révéler l’étendue de la pourriture gangrenant ce parti.
Du côté de la CAQ, le résultat de 19 députés est bien en deçà de leurs attentes; si bien que François Legault s’est engagé à respecter le choix démocratique des Québécois… en attendant de réorganiser ses forces lui aussi. Alors en excluant la victoire morale de Québec solidaire qui a doublé sa représentation avec l’élection de sa co-porte-parole dans Gouin, tout le monde semble avoir perdu le 4 septembre dernier.
C’était vraiment une ambiance de fête (j’y étais) au rassemblement électoral de Québec solidaire
Le PQ doit donc activer rapidement ses dossiers politiques les plus pertinents. Puis à moins de forcer le jeu, l’angle pragmatique suggère que le PQ pourrait faire adopter toutes ses mesures allant dans le sens de la CAQ. Ainsi, il est fort à parier que ce sera pour le PQ le moment opportun de pousser ses dossiers touchant à l’identité québécoise.
Fait à noter, cette dynamique pourrait diviser la CAQ entre les nationalistes mous et les éléments plus fédéralistes lorgnant vers le PLQ. Mais l’effet retord dans le contexte actuel est qu’à quatre députés d’écart entre le PQ (54) et le PLQ (50), il ne suffirait que trois députés caquistes rejoignent le PLQ pour donner à ce dernier la majorité parlementaire. Je ne vous fais pas dire à quel point ici nous devrions interdire la possibilité des transfuges (message au PQ ici).
Il va sans dire que dans la dimension où le PQ devra composer avec la CAQ pour faire passer ses mesures, nous pouvons logiquement exclure une orientation sociale-démocrate au gouvernement Marois. Or, cette dynamique repoussera Québec solidaire du gouvernement, ce qui en vue des prochaines élections, lui donnera encore plus d’espace pour se développer à gauche du PQ.
D’autre part, en ramenant les questions d’ordre identitaire au premier plan politique, le parti libéral pourra se renforcer dans sa position historique (en tant que défenseur de l’ordre canadien). Dans un même ordre d’idées, il faudra concevoir l’idée que le retour en force de la dualité linguistique fait le jeu des adversaires de la souveraineté (en générant un fossé communicationnel entre les allophones et la société francophone). Or il ne faudra pas s’étonner si les médias fédéralistes nous antagonisent davantage sur cette question… surtout quand nous concevons le fait que dans la dernière semaine de la campagne électorale, Jean Charest aura sauvé les meubles du PLQ en consolidant ses appuis anglophones en agitant le spectre référendaire.
D’ailleurs, il faudra admettre que la grande surprise de cette élection fut la réussite du PLQ à maintenir 50 députés avec un recul de seulement 1% derrière le PQ. Réalisez ici que ni l’usure du pourvoir ni la corruption notoire minant ce parti n’aura affecté l’électorat naturel de ce parti. C’est dire à quel point la crainte de notre souveraineté peut faire avaler n’importe quelles couleuvres aux insécures de tout acabit. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les médias fédéralistes chercheront toujours à alimenter la peur en évoquant des histoires de chaos.
Pour ma part, les résultats accordés au PLQ sont simplement ahurissants… et implique la réelle étendue du défi démocratique auquel nous faisons face. Avec le Printemps érable et l’effervescence politique dans les réseaux sociaux, nous pensions être dans une ère de changement naturel. Mais non, il y a toujours une frange critique de la population qui ne participe pas au débat de société, qui est totalement aliénée par les médias de masse… voire qui votera toujours automatiquement «contre le Québec». Manifestement, il y a des univers culturels qui ne communiquent pas entre eux au Québec. Il va donc falloir travailler fort et faire preuve d’intelligence si nous voulons faire élire un gouvernement souverainiste et majoritaire à la prochaine élection.
Hier, vous espériez que Charest mange une raclée. Une vraie. Ce n’est pas arrivé. Contre toute attente, vous avez été confrontés à un difficile constat: malgré votre belle unanimité, le tiers des Québécois était encore prêt à le supporter. Pire encore, en ajoutant la CAQ, on peut s’imaginer que plus de la moitié de nos concitoyens n’avaient rien à foutre des concerts de casseroles et de l’effervescence des indignés. Ce sont vos voisins, vos parents, vos amis. Ils n’en avaient rien à foutre de vos révolutions de fin de soirée. Ils ne vous l’ont pas dit, ils attendaient le jour du vote. Je sais, ça vous dérange, moi aussi, mais c’est comme ça. – Simon Jodoin dans son texte: Ce nous qui nous assassine
L’initiative est maintenant au PQ
Nous devons tous réfléchir à tête froide de la situation. Quant au Parti Québécois, c’est littéralement à lui-même qu’il fait dorénavant face (comme l’exprime si bien ici Pierre-Luc Brisson); d’autant plus qu’il tient dans ses mains le gros bout de notre destin collectif.
Bien sûr qu’à très court terme, le PQ devrait utiliser l’occasion pour appliquer rapidement des mesures progressistes. En ce sens, nous pouvons déjà prévoir comme des gains sociétaux l’annulation de la hausse des frais de scolarité (pour cette année), le rapatriement des données du registre des armes à feu et la fermeture de la centrale Gentilly. Mais si tout cela, combiné au départ de Jean Charest allège notre fardeau politique, il faudra étendre notre perspective sur la décennie en cours.
En effet, face à l’inexorable progression du néolibéralisme dans tous les aspects de notre société, le PQ «au pouvoir» n’offre en fait que la possibilité de ralentir cette doctrine en restaurant quelques abus engendrés par son prédécesseur libéral. Or en considérant que l’alternance politique conçue par le cadre politique actuel redonnera un jour le pouvoir aux néolibéraux avoués (présentement la CAQ et le PLQ), nous réalisons ainsi que les partis traditionnels ne représentent finalement que la vitesse du changement à laquelle nous appliquons les mesures néolibérales dans le Québec.
Bref, puisque les dés sont pipés, il nous faut impérativement changer les règles du jeu démocratique si nous voulons revenir vers un système social-démocrate, voire carrément gagner notre indépendance nationale. Pour ma part, une reforme des règles démocratiques me semble une condition intrinsèque pour amener davantage de souveraineté politique au peuple.
Ainsi, c’est dans la première partie du mandat actuel que le PQ passera un test d’intelligence cruciale quant à la suite des choses. Bien sûr, si tous s’entendent sur un même objectif, celui de devenir majoritaire, notre succès à long terme résidera toutefois dans la configuration que présentera le PQ à la prochaine élection.
Trop de fois le PQ a déçu la population et ceux qui avaient mis leurs espoirs en son action. Trop de fois, la partisanerie et l’excès de prudence sont venus affaiblir son élan politique. Le PQ a le devoir de ne pas décevoir et cette tâche sera d’autant plus difficile en situation minoritaire. S’il devait encore manquer à ses engagements ou renier ses principes fondamentaux, il connaitrait le sort de ces formations qui, comme l’Union nationale de Daniel Johnson, sont lentement disparues de notre paysage politique après un bref et fugace regain d’énergie. Le PQ est aujourd’hui seul, face à lui-même. – Pierre-Luc Brisson dans son texte: Le PQ face à lui-même
Soit le PQ s’entête à poursuivre sa démarche dans la voie partisane (pour revenir aux résultats que nous connaissons aujourd’hui), soit il fera l’examen de conscience nécessaire pour comprendre qu’il est en fin de cycle. D’ailleurs, même Madame Marois semble finalement avoir compris cet état de fait en affirmant que «le temps du bipartisme est révolu» durant son discours de victoire.
Avant le prochain scrutin, nous avons devant nous une opportunité historique pour générer un ralliement (nécessaire) des souverainistes, en marche vers un gouvernement de coalition majoritaire. Or, non seulement cette éventuelle coalition à l’avantage de maximiser les chances d’atteindre la majorité, mais comment dire… son instabilité intrinsèque est un gage pour nous forcer à évoluer vers notre indépendance.
La balle est définitivement dans le camp du PQ. Mais d’ici le moment où le PQ cristallisera sa stratégie électorale, les agents indépendantistes de part et d’autre doivent s’activer pour mettre la table à une grande alliance nationale. Concrètement, le PQ devra bientôt choisir entre la gouvernance souverainiste et la formation d’une coalition indépendantiste. Or ici, comment dire, c’est cette orientation qui déterminera l’issue de mon implication… voire peut-être aussi celle de notre destin national.
Le destin bat les cartes mais c’est nous qui les jouerons…
– Bernard Moitessier
L’indépendance… la seule solution!
Moi, je suis tanné du Canada! C’est un pays que je veux!!!!
Est-ce rationnel de vouloir maintenir à tout pris le 3% du vote souverainiste conditionnel chez QS, en laissant tomber le 15% du vote nationaliste de centre-droite qui sont rendu à la CAQ… que nous avons besoin pour faire l’indépendance du Québec?
Au sujet du P.Q., je ne sais pas si vous avez écouter Monsieur Camil Bouchard
à l’émission de Marie-France Bazzo jeudi dernier, sinon, je suggère vivement ces
propos qui me semblent sages et pertinents.
Analyse très intéressante que j’ai partagée.
Mais il faudrait corriger une distraction dans votre titre : « Le Québec pris…»
Toutefois, j’ai bien peur qu’une tentative de radicalisation vers la gauche bloque… radicalement le progrès vers l’indépendance, hélas !
L’indépendance ne pourra se réaliser qu’avec la solidarité de Québécois de tous les horizons qui en auront été convaincus au moyen d’une véritable pédagogie de l’indépendance faisant valoir notre langue et notre culture, ainsi que l’urgence de développer au maximum nos talents et nos compétences pour prendre en main notre territoire et notre économie. Cela requiert une action coordonnée de l’État et de nos meilleurs cerveaux.
Sincèrement,
Jean-Luc Dion, ingénieur retraité, D.Sc.
Professeur retraité de Génie électrique à l’UQTR