A la découverte (inusitée) de la mouche sarcophage
Durant l’été 2005, au moment d’une visite à mes grands-parents à Verchères, je me suis promené sur le terrain à la recherche de quelconques observations naturelles. Cependant, puisque ce terrain n’est végétalement composé que de gazon, d’une haie de cèdres et de deux arbres, je ne me faisais guère d’illusions sur mes chances de trouver quelque chose d’intéressant… mais j’ai été finalement surpris.
En effet, sur le muret de pierre, j’ai trouvé une chenille de Morio en train de chrysalider. Cette découverte n’a rien d’extraordinaire en soit (je connais ce papillon), mais puisque la chenille était à une trentaine de mètres de l’arbre le plus proche, la curiosité me piquera sur les capacités de mobilité de cette chenille. L’opération sera donc de trouver l’essence hôte de ce Morio. Je n’ai pris ainsi que quelques secondes avant de découvrir trois autres spécimens sur l’érable du terrain.
Cependant, mon attention portera sur un spécimen en particulier. Effectivement, ce dernier, tête en bas, ayant figé sa dernière fausse patte à une écorce, se préoccupe à préparer sa chrysalidation. Mais en y regardant de plus proche, spécifiquement sur l’épiderme de la chenille, j’aperçois alors quelques minuscules guêpes qui pondent… dans la chenille. Des micro-guêpes parasitoïdes!
Voilà justement le genre d’insectes difficile à observer. Dans les proportions du monde des insectes, la scène est horrifiante. La pauvre chenille à beau se tortiller dans tous les sens, les guêpes n’ont que faire des réactions de leur victime; et puisque cette dernière doit impérativement chrysalider pour devenir un papillon, je comprends alors que cette scène est une mise à mort en différé. Cette chenille est littéralement vouée à se faire dévorer… vivante, de l’intérieur.
Ayant donc trouvé un sujet d’étude, je me suis empressé d’aller chercher un petit pot de médicament afin d’y déposer le tout : l’expérience sera l’observation du cycle de cette espèce de guêpe. Bien affairés à pondre dans la chenille, aucune des cinq guêpes ne s’envolera durant le transfert. Je renfermerai donc, hermétiquement, l’ensemble des protagonistes dans le pot. Ensuite, de retour à Montréal, je déposerai ainsi le tout sur une tablette de mon bureau (évidemment, ne connaissant pas la durée du processus, je me devais alors d’observer périodiquement l’expérience en cours). Or, croyez-moi, ce que j’ai ainsi observé est l’équivalent d’un scénario du film Alien. Formellement, dans un premier temps, la pauvre chrysalide s’immobilisera à jamais. Puis, changeant radicalement de couleur, la chrysalide se ramollira… jusqu’au discernement d’un grouillement à l’intérieur. Ici, j’ose à peine imaginer le moment exact de la mort de l’insecte.
Coup de théâtre
Quelques jours plus tard, un matin en me levant, je distinguerai l’apparition de cinq pupes dans le fond du contenant?!? Et là, je dois admettre avoir été COMPLÈTEMENT dérouté! En effet, non seulement la forme de ces pupes m’évoquait concrètement celles des pupes de mouches, mais la taille de ces dernières englobait facilement des dizaines de micro-guêpes. De la sorte, mon esprit fut traversé par plusieurs hypothèses : est-il possible que la larve d’un insecte puisse être plus grande que sa forme adulte ?!? Non, rien ne se perd rien ne se crée… c’est impossible!!! Je pense même quelques secondes l’idée que mes colocs me font une farce en ayant déposé délibérément des asticots de mouches dans le contenant. Il faut dire que le fait qu’il y avait spécifiquement le même nombre de pupes (cinq) que celui de guêpes ayant pondu dans la chenille ne pouvait que me confondre davantage. Bref, j’étais assommé par le mystère, et donc, d’autant plus excité par l’expérience en cour. Finalement, je ne patienterai pas longtemps avant de découvrir la nature de ces pupes.
Par un autre matin, la surprise surgira donc : je découvrerai cinq mouches… en plus, une espèce de mouche que j’avais auparavant observée. D’ailleurs, regardez-là bien cette mouche, la mouche sarcophage… et peut-être la reconnaîtrez-vous, vous aussi.
En effet, plus volumineuse que la mouche verte (de nos cuisines), la mouche sarcophage se distingue aussi par son habillement formé de damier gris et ses gros yeux écarlates. Et sincèrement, pour ma part, au moment de cette découverte, je n’avais jamais discerné la moindre référence au fait que certaines mouches pouvaient être parasitoïdes des autres insectes.
Un parasitoïde diffère d’un parasite dans ses relations avec l’hôte. Une relation entre un parasite et son hôte tend à un équilibre entre les deux organismes du fait que le parasite ne retirerait aucun avantage de la mort de son hôte. Une relation entre un parasitoïde et son hôte conduit, quant à elle, le plus souvent à la mort de l’hôte à la fin de développement du parasitoïde.
Je me suis donc alors lancé dans une recherche Internet sur la mouche sarcophage. Or, il s’est vite avéré que l’information biologique sur cette sorte de mouche est peu substantielle. Ainsi, je n’ai lu aucune référence explicite au fait que cette mouche parasitait spécifiquement la chenille du Morio. Toutefois, j’y ai tout de même appris que la mouche sarcophage était considérée bénéfique par le ministère des Ressources naturelles du Québec. Effectivement, étant vraisemblablement aussi un parasitoïde de la livrée des forêts (une chenille défoliatrice), la mouche sarcophage s’avère un agent de contrôle naturel extrêmement efficace. De la sorte, selon le MRN, vers la fin de juin, ces dernières dévoreraient les chrysalides de la livrée dans les cocons.
Or, je me demande si cette affirmation sous-entend que la contamination aurait lieu lorsque la chenille est spécifiquement en cocon ? En tout cas, une chose est sûre : mon observation démontre, hors de tout doute, que la contamination de ma chenille de Morio a été réalisée lorsqu’elle était en phase larvaire. Puis, la mouche sarcophage n’ayant pas d’ovipositeur (comme les guêpes parasitoïdes), je m’interroge aussi sur le procédé de contamination de cette mouche (logiquement, puisqu’elle ne peut pas pondre directement dans la chenille, elle doit forcément déposer ses larves sur la surface de cette dernière). Ensuite, puisque mon observation est un cas officiel d’hyperparasitisme (plusieurs espèces de parasites dans le même hôte), je me questionne également sur ce qui est advenu des larves des micro-guêpes… assurément, nous pouvons penser qu’elles ont été dévorées par les asticots de la mouche sarcophage.
Vraiment, le monde du parasitisme chez les insectes est un sujet qui pique ma curiosité; d’autant plus que ce domaine de l’entomologie doit être assez « underground ». En effet, étant particulièrement difficile de percevoir les guêpes parasitoïdes dans leur élément naturel, je conçois qu’il faut d’abord, aléatoirement, trouver des chenilles parasitées pour étudier ce genre d’espèces. Or, il doit encore y avoir une ribambelle d’espèces inconnues à découvrir. Ensuite, il va sans dire, ces hyménoptères étant directement en rapport biologique avec leur hôte, l’étude de ces insectes est intrinsèquement liée à celles des papillons… voire du rôle de ces derniers dans l’environnement. Bref, ce domaine entomologique est donc une fenêtre menant sur vaste un champ d’études. Puis, encore plus fascinant peut-être, cette possibilité que les guêpes parasitoïdes puissent êtres aussi l’hôte d’un virus désamorçant le système immunitaire de la chenille au moment de la contagion. Franchement, la nature est elle si parfaite dans sa complexité ?
Si vous voulez en connaître davantage sur les guêpes parasitoïdes, je vous conseille, fortement, de lire ce super article : Ichneumons: ça c’est de la bibitte!
En terminant, peut-être auriez-vous voulu connaitre l’espèce exacte de la mouche sarcophage impliquée dans cette histoire. Peut-être avais-je découvert une espèce inconnue de micro-guêpe. Peut-être je n’arriverai jamais à faire valider officiellement les fruits de mon observation. Car en effet, j’ai perdu les preuves biologiques de cette observation. Concrètement, l’un de mes colocs a jeter le pot qui contenait les restants de la chenille, les cinq microguêpes et les cinq mouches sarcophage. À ces yeux, tout cela n’avait aucune valeur… il faut être dérangé pour s’intéresser à de sales «bébittes»!!!
Et dire, maintenant, que je comptais sur cette observation pour appuyer ma candidature à l’insectarium. Voyez-vous, quelquefois, la vie se joue sur de bêtes détails.
Savoir s’étonner à propos est le premier pas fait sur la route de la découverte
– Louis Pasteur
La voici enfin, cette fameuse mouche sarcophage. En effet, ses grands yeux rouges et ses rayures grises et noires sont très belles. Depuis deux ans, au mois de juin, notre région était envahie par les chenilles « livrées des forêts ». Les forêts furent défoliées et nos jardins envahis par ces belles et douces chenilles. Des centaines, non. Des milliers, non plus. Des milliards…. Les routes en étaient glissantes . Bref. Bienvenue à Old Chelsea, Qué. chère mouche sarcophage.
je tiens à te féliciter… je n’aurais pas cru un jour m’interesser aux petites bestioles qui nous entourent… lol très interessant ! Bravo !