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Posté par le 13 novembre 2007 dans Anecdote, Entomologie, Humeur, Société

L’étude entomologique peut-elle cohabiter avec la métrosexualité ?

entophagie

Je suis en beau fusil… l’un de mes colocs a jeté de notre congélateur un petit pot de médicament contenant l’une de mes expériences entomologiques. En effet, pour le commun des mortels, il est peut-être vrai qu’il n’est pas coutume de se servir du congélateur pour entreposer des cadavres d’insectes. Toutefois, l’utilité d’un congélateur étant de conserver des éléments (nourriture, batterie, coussin thérapeutique) au dessous du point de congélation, cet outil est donc aussi essentiel à tout entomologiste le moindrement sérieux. Formellement, non seulement la congélation est un moyen efficace pour expédier des spécimens (sans utiliser de poison), mais c’est aussi l’indispensable entrepôt avant d’épingler les insectes sur un étaloir. Et sincèrement, un hermétique petit pot d’insecte congelé dérangerait-il vraiment votre alimentation? Franchement, tout cela n’est qu’une question de perception psychologique… Regardons-y de plus près.

Il faut dire que pour ce coloc, tenant de la métrosexualité, peu importe que je prenne une douche à chaque jour, je serai toujours sale. Sale parce que je suis négligent quant à devoir me raser la barbe (je déteste me raser). Sale parce que je ne m’épile pas les poils du corps. Sale parce que je ne comprends pas l’utilité du dispendieux gel parfumé «Axe». Sale parce que je n’utilise pas une myriade de dispendieuses petites crèmes pour le visage. Sale parce que je m’occupe des vidanges et du recyclage dans l’appartement. Sale parce que je ne me sens pas obligé de faire une brassée de lavage à chaque jour. Sale parce qu’il m’arrive d’être torse nu quand j’ai à passer des heures devant mon ordinateur. Sale parce que je m’accommode du dernier étage en bas du réfrigérateur. Sale parce que je presse une gousse d’ail dans mon jus de tomate matinal. Ah oui, j’oubliais, je serais sale aussi parce que je ferais «apparaître» des insectes dans la maison.

Axe- Gel douche

Le gel-douche-revitalisant « Axe » (pour supposément sentir le sex-appeal), un produit aussi inutile que dispendieux… un consumériste besoin crée artificiellement. En plus, l’odeur dégagé s’avère sentir le bonbon à la fraise… viril! En tous cas, je ne sais pas pour vous, mais moi une odeur commercialement formaté, ça me repousse. En effet, il me semble que l’objectif d’un parfum est de personnaliser la proximité de sa présence, et non de sentir la même chose que tout le monde, c’est-à-dire l’odeur de la plèbe « brainwashé » à la publicité.

À vrai dire, j’ai un sens très aiguisé pour détecter la présence des arthropodes dans l’environnement… à commencer quand l’environnement en question est mon principal milieu de vie. De la sorte, non seulement je découvre divers arthropodes qu’habituellement vous ne verriez pas, mais j’arrive même aussi à détecter leurs traces pour les débusquer de leur repère. Or, puisque dans le délire contemporain de l’homme moderne, un environnement «propre» serait totalement dénué d’activité biologique, la présence d’un insecte dans une maison serait due à son émergence spontanée de la saleté. Hé oui, je suis désolé de vous apprendre que les études de Louis Pasteur ne disent absolument rien à ce coloc : pour lui, les vers sortent de la nourriture «sale» par enchantement (quand j’y pense, c’est ahurissant que certains universitaires puissent toujours croire que la vie peut être issue de la matière). Puis, quand je lui affirme que les asticots dans les poubelles sont en réalité des larves de mouche plutôt que des vers à proprement dit, celui-ci plisse les yeux de perplexité (dire qu’il suffirait d’une recherche de quelques secondes dans Wikipédia pour vérifier). Et quand je lui annonce, pragmatiquement, que mon choix de laisser ouvertes les fenêtres l’été (pour évacuer la fumée de cigarette de mes colocs) implique de changer rapidement les sacs de poubelles, ce dernier s’imagine que je justifie l’existence de la saleté (les asticots), voire, que j’aimerais carrément jouer dans les poubelles. Paradoxalement, je trouve d’ailleurs ironique que la supposée personne «sale» soit celle qui se charge d’éliminer les déchets d’un environnement; comme si éviter de gérer ses déchets supposait d’être propre… et supérieur.

Le deuxième volet de ce colocataire épisode sur fond entomologique, trouvera décor sur le balcon. En effet, ayant déniché mon vieil aquarium dans la «shed» , mon coloc entreprendra de le remplir d’eau afin d’y faire flotter des chandelles en forme de nénuphar. L’idée est très esthétique, j’en conviens, mais je m’y opposerai illico. «Hors de question de faire l’élevage de moustique sur le balcon» lui répliquerais-je promptement. La notion, lui échappant, qu’un gros bassin d’eau stagnante puisse installer une colonie de moustiques, mon coloc sera évidemment irrité. Nous trouverons donc un consensus avec l’ajout de poissons rouges dans l’aquarium, poissons, qui auront pour moi fonction de manger les éventuelles larves de moustiques. Bien sûr, je le mets en garde qu’il sera responsable du bien-être des nouveaux venus… mais dans mon for intérieur, je sais bien qu’étant avant tout considérés comme un attrait esthétique, ces poissons seront rapidement négligés.

poissons morts

Comme de fait, ces poissons ont eu une vie infernale

Puis, le troisième épisode de notre feuilleton entomologique, et non le moindre, tournera autour de l’utilisation de la pince à cil… et des ténébrions. En effet, le lendemain du rappatriement d’une mante religieuse dans notre demeure, après avoir aménagé un terrarium pour cette dernière, j’étais allé à l’animalerie pour acquérir des grillons (afin de nourrir la mante). Exceptionnellement, l’animalerie n’ayant plus de grillons disponibles, je me résignai alors d’acheter ce qui était vendu en tant que «big worms», c’est-à-dire des grosses larves de coléoptère.

Pour connaître davantage cette mante religieuse (finalement l’élément déclencheur de ce que je vous raconte à l’instant), je vous invite à lire mon précédent article : Périlleux sauvetage au centre-ville; mes retrouvailles avec la mante religieuse

Pour connaître davantage cette mante religieuse (finalement l’élément déclencheur de ce que je vous raconte à l’instant), je vous invite à lire mon précédent article : Périlleux sauvetage au centre-ville; mes retrouvailles avec la mante religieuse

En passant d’ailleurs, une petite anecdote ici. Effectivement, à ce moment-là, étant curieux de la forme imago des larves en question, je demanderai au commis si les «big worms» sont en fait des larves de ténébrion. N’ayant vraisemblablement jamais entendu le mot ténébrion, le commis me répondra, très affirmé, que «ce sont simplement des vers»… et ce, de la même famille que les vers à soie. Sachant très bien que le ver à soie est en fait la chenille du bombyx du mûrier, sachant très bien reconnaitre des larves de coléoptère (par les yeux du visage, les mandibules et les six pattes) je lève les yeux au plafond devant autant d’ignorance assumée. Bien que je ne tienne pas à m’obstiner sur un détail, je lui mettrai tout de même la puce à l’oreille en lui reposant la question; mais cette fois, je le regarderai dans les yeux en pesant fortement mes mots : «es-tu, VRAIMENT SÛR, que ce sont biens des vers et non des larves de ténébrions ?». Le commis, affirmatif, sera des plus formels dans sa réponse. Voyez-vous, ici, je trouve tellement pathétique ce concept de s’obstiner dans le doute : la recherche de la vérité ne devrait-elle pas être plus importante que de gagner son point de vue… d’autant plus lorsque nous sommes en fonction professionnelle. À mes yeux, il est donc clair que ce commis n’a pas la logique nécessaire pour accroitre ses connaissances (et les partager), il n’est pas doté de l’esprit scientifique.

Le cycle du ténébrion

Le cycle complet du ténébrion

Peu importe, c’est ainsi que j’ai acquis quelques larves de ténébrions (plus tard, j’en aurai la preuve lors de la transformation d’une d’entre elles). Toutefois, se tortillant dans tous les sens, ces robustes larves sont loin d’être passives lorsque nous les touchons. Étant donc intimidé par leurs fortes mandibules, je projetterai ainsi d’utiliser une pince à cils afin de les saisir en toute aise. De la sorte, occupé à finaliser la préparation du terrarium de la mante religieuse, je demanderai donc à ma blonde d’aller chercher «ma pince à cil sur la dernière tablette de l’étagère dans la salle de bain». Finalement, les larves s’avèreront trop mouvementées pour être attrapées de cette façon. Cependant, détail qui génèrera une scène, nous oublierons la pince sur la table à café du salon… d’autant plus que la pince en question était finalement celle de mon coloc.

disposition des pinces à cils

Ma blonde avait concrètement une chance sur deux de se tromper de pince

Si bien que mon coloc me demandera évidemment des explications sur la présence de sa pince à cils dans le salon. Comme toujours, je répondrai franchement la vérité… ce qui lui provoquera un hurlement de dégoût et une réelle amorce de crise. Devant la tournure inusitée de la scène en question, je conçois rapidement qu’il ne servira à rien de lui expliquer qu’un ténébrion n’est pas plus sale que la nourriture qu’il ingère, c’est-à-dire, des produits céréaliers. Ainsi, je préfèrerai lui révéler d’entrée que l’utilisation de sa pince est une involontaire erreur de ma copine. Bref, si ma réplique ne fut pas très galante pour elle, j’aurai au moins désamorcé une grosse crise inutile.

Les insectes et l’alimentation

Toutefois, quand j’y pense vraiment, pourquoi serait-ce plus dégoutant de toucher un objet ayant été en contact avec un ténébrion qu’utiliser un couteau qui à coupé de la viande crue. Il est vrai, comme l’écrit Marjolaine Giroux, entomologiste de l’Insectarium de Montréal, nos habitudes alimentaires, une fois établies, sont très résistantes au changement. En général, nous aimons manger ce que nous connaissons et éprouvons certaines craintes devant l’inconnu, surtout quand il comporte six pattes et des antennes… Consommer des insectes frappe notre imagination et remet en cause tous nos préjugés à leur égard. Pourtant, tout comme les crustacés, leurs proches parents, les insectes présentent une haute valeur nutritive. Ils contiennent des protéines, des lipides, des minéraux (surtout du zinc et du fer), des vitamines (notamment de la riboflavine et de la thiamine) et, bien sûr, de l’eau.

Cette richesse nutritive ne parvient cependant pas à combattre nos barrières psychologiques. Ainsi, pour la plupart des Occidentaux, la consommation des insectes demeure une curiosité alimentaire associée, le plus souvent, à des sociétés tribales qui n’ont d’autre choix que de manger des insectes pour survivre. Bien sûr, certains peuples mangent des insectes par nécessité. D’autres les apprécient simplement parce qu’ils sont abondants, accessibles et bon marché. Certains les consomment pour ce qu’ils symbolisent (dans certaines régions d’Afrique, par exemple, on conseille aux femmes stériles et aux hommes impuissants de manger des reines termites, prodigieusement fertiles) alors que d’autres les préfèrent pour leurs qualités nutritives et gustatives.

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Les experts sont d’accord, la consommation des insectes dans nos pays entraînerait des développements économiques importants, notamment au niveau des élevages d’espèces très en demande comme le grillon domestique (Acheta domesticus) et justement, le ténébrion meunier (Tenebrio molitor). D’ailleurs, même la NASA effectue des recherches sur les insectes afin de pouvoir les servir aux astronautes lors de leurs séjours dans l’espace.

Voyez-vous, à l’heure où les ressources de la planète s’épuisent à la vitesse grand V à cause de l’activité humaine et son explosion démographique, il serait tellement plus avantageux de troquer notre alimentation en viande pour celle de certains insectes. Ensuite, quand on conçoit que l’élevage de bovin est l’une des causes principales générant la déforestation (voir le film Fast Food Nation), il est clair qu’en alternative, l’élevage d’insectes maximiserait considérablement la gestion de notre espace.

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Grandes vedettes des dégustations d’insectes, les larves du ténébrion meunier peuvent s’apprêter de multiples façons. Elles remplacent les noix, les raisins et les brisures de chocolat dans plusieurs recettes de biscuits, de pains ou de friandises. Réduites en poudre, elles peuvent être ajoutées à la farine, et elles se transforment facilement en une purée se prêtant à de multiples usages.

Aveuglement volontaire, quand tu nous tiens

Cependant, il est bien beau de spéculer sur l’impact sociétale de l’entomophagie, soyons réalistes tout de même: tant que l’homme occidental valorisera le souci de l’apparence à la réalité scientifique et l’esthétisme irraisonnée au sens pratique, les insectes ne pourront jamais s’introduire concrètement dans notre alimentation quotidienne. De la sorte, par ses intrinsèques valeurs consuméristes, je souscris à l’idée que le courant métrosexuel est antagoniste à la nécessaire décroissance économique. En effet, ayant la mode en tant que principale guide de valeur, les tenants du métrosexualisme sont littéralement conditionnés par les publicitaires. Or, puisque ces derniers sont au service de la consommation, les métrosexuels deviennent des complices à part entière de l’actuel système socio-économique. Cependant, si les écologistes en arrivaient à vendre la mode que «c’est cool de manger bio», si les filles pouvaient dénigrer en bloc l’attrait sexuel des métrosexuels, nous pourrions probablement convertir les adeptes de la métrosexualité. Heureusement, il y a toujours les gens de la région pour bien rire de nos métrosexuels en ville.

En tout cas, en attendant la disparition de cette mode, moi j’habite avec un type qui me responsabilise de la moindre araignée dans notre demeure. Cette même personne, d’ailleurs, qui me qualifie en méforme physique parce que je préfère être devant mon ordinateur plutôt que de perdre mon temps à me gonfler les mumumscles au salon de bronzage. Pourtant, c’est bien moi qui ne fume pas, qui suis soucieux de son alimentation, qui se déplace constamment en roller et qui pratique un vrai sport d’équipe. Bref, si de mon côté je suis propre et en santé pour moi-même, les métros, eux, le sont avant tout pour les autres. Ainsi, pour les métrosexuels, puisque c’est la question de l’image qui prime, la forme physique… comme la propreté, s’avère finalement des concepts bien superficiels. Si bien que pour ceux dont la non-existence des insectes serait un synonyme de propreté, il devient par extension malpropre d’observer leur existence.

En conclusion, vengeance oblige, mon coloc en sera ainsi arrivé à jeter du congélateur l’un de mes pots d’insectes. Pour lui, c’est évident, il était pratiquement aberrant de conserver des insectes à cet endroit. Cependant, pour moi, ce pot avait une grande valeur. Formellement, c’était la preuve biologique d’une concrète expérience entomologique.

L’expérience en question est relatée en détail, ici, dans mon article : A la découverte (inusitée) de la mouche sarcophage

L’expérience en question est relatée en détail, ici, dans mon article : A la découverte (inusitée) de la mouche sarcophage

Puis, parce que je suis allé postuler à l’insectarium, et que cette observation était justement mon amorce pour justifier une rencontre avec un entomologiste, je dû me résigner à trouver une autre piste. De la sorte, à cause d’une stupide histoire de perception métrosexuelle sur les insectes, non seulement mon coloc aura insouciamment éliminé une observation unique pour la communauté entomologique, mais il aura aussi handicapé la présentation de mon dossier à l’insectarium… mon rêve professionnel. Alors, chers lecteurs, vous comprendrez donc ma frustration envers la psychologie des métrosexuels, cette parfaite ineptie des temps modernes.

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Pour en connaître davantage sur la métrosexualité (et ses produits de consommation inhérent), je vous conseil de consulter, ici, un blogue phare consacré à cette mode. Vous y comprendrez assez rapidement que c’est définitivement un bête mouvement commercial pour stimuler les «fashion victim» à consommer (le lobby des cosmétiques est assurémment en arrière de cette mode). Bref, rien pour contribuer à nous rendre socialement plus intelligent.

Chez les individus, la réforme de l’esprit ne s’effectue pas d’une façon aussi spectaculaire que la mue chez les insectes
Zsigmond Kemény (Extrait de Sorts et attirances)

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2 Commentaires

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