Une création passagère au cœur du Parc Jean-Drapeau
Une petite revanche sur la vie, six ans plus tard.
Me voilà aujourd’hui à présenter mon dernier projet de conception horticole dans le Jardin du Canada, au Parc Jean-Drapeau, l’un des lieux les plus prisés de Montréal pour les mariages.
En 2019, alors que je faisais mes premières armes au Parc comme horticulteur, j’avais eu la chance (et l’audace) d’imaginer un aménagement pour ce coin de rêve. Mon idée ? Créer la plus grande collection de fleurs bleues au pays. Des fleurs bleues dans le Jardin du Canada… vous voyez l’ironie ?😉
Mais c’était sans compter sur un phénomène sans précédent dans l’histoire du Parc : une famille de marmottes d’une gloutonnerie inouïe, qui a littéralement décimé mes plates-bandes. Elles s’attaquaient à tout, y compris à des végétaux réputés toxiques ou jamais consommés auparavant… et qu’elles n’ont d’ailleurs plus jamais touchés les années suivantes. Ce qui devait être une vitrine horticole ambitieuse est alors devenu une tentative de sauvetage improvisée, à coups de vivaces de fortune et de plantes de remplacement, dans l’esprit du « touski » végétal.
Cette année, j’ai repris le projet avec une approche plus simple, et plus aboutie.
J’ai misé sur l’élégance sobre d’une palette blanche et mauve, à travers des espèces qui se déclinent naturellement dans ces deux tonalités : Salvia farinacea, Angelonia, Lobularia maritima, Gomphrena globosa… et bien sûr, des massifs de Plectranthus ‘Mona Lavender’, une plante que j’ai introduite au Parc et que nous hivernons maintenant dans nos serres. Une de mes grandes préférées. En plus d’être relativement faciles d’entretien et peu appétissantes pour nos amies les marmottes, ces plantes racontent à leur manière quelque chose de symbolique : la rencontre du blanc et du mauve, entre pureté et mystère (comme une métaphore végétale du mariage). Et les lobularia (qu’on désigne encore souvent sous leur ancien nom : Alyssum) avec leur parfum de miel délicat, ajoutent une touche presque invisible mais essentielle.
Les marmottes ont tout de même réussi un dernier coup de dent cette année : elles m’ont dévoré les cosmos que j’avais discrètement intégrés à l’arrière-plan du projet. Je les ai remplacés hier par les dernières verveines de Buenos Aires encore disponibles à la jauge, précieusement mises de côté par ma collègue Élise, qui y protégeait un nid de bruant.
Pour l’instant, le projet prend doucement son essor au fil des belles journées… et devrait atteindre son apogée en septembre, merci au réchauffement climatique de prolonger la saison horticole. Je vous enverrai des photos à ce moment-là. Mais idéalement, je vous invite à venir le découvrir en personne : le Jardin du Canada vous attend.
Quand je pense à ma sœur Marika, qui fait une véritable obsession pour les fleurs blanches, je me dis qu’elle se doit de venir voir cette réalisation… Qui sait, elle y trouvera peut-être l’inspiration parfaite pour son nouveau chalet. Et moi, à la veille de mes 50 ans, je ressens un sentiment doux-amer : celui de travailler, dans l’ombre, aux décors des amoureux qui choisissent ici de s’unir, alors que je réalise, peut-être un peu brutalement, que j’aborde mon prochain demi-siècle sans avoir réussi à fonder de famille.
À 50 ans dans une semaine, j’aimerais croire que je ne sème plus pour impressionner, mais pour laisser une trace. Quelque chose qui demeure, discrètement, après moi.
Je n’ai pas fondé de lignée… mais j’ai semé des jardins. Des lieux pensés pour embellir la vie de mes semblables, pour apaiser les regards, soutenir la biodiversité, ou simplement offrir un peu de beauté là où on s’y attend le moins.
Celui que je vous présente aujourd’hui a été conçu comme un décor éphémère, destiné à accueillir des mariages pendant cette saison horticole. Mais derrière cette vocation ponctuelle, il s’inscrit dans une démarche plus vaste : celle de réconcilier l’humain avec la nature, même en pleine ville. Peut-être que c’est là, humblement, ma manière d’habiter le monde.
Comme en politique, j’aurai passé mes plus belles années à préparer les décors pour les autres. À défaut d’être au centre des photos, j’aurai toujours été là… en arrière-plan, discret mais peut-être essentiel.
Peut-être que je n’ai pas fondé de famille, mais j’ai fait pousser des lieux où l’amour prend racine. Et, je présume, c’est déjà quelque chose.
Mais cette saison, plus que les autres, me laisse en suspens.
Car si ce jardin éphémère marque un sommet dans mon parcours d’horticulteur, il pourrait bien en annoncer la fin d’un cycle. Depuis un moment, je me réoriente tranquillement vers l’enseignement. J’apprends à transmettre ma passion pour l’horticulture autrement. À semer ailleurs. Moins dans la terre, peut-être, mais toujours avec le cœur.
Et qui sait, à 50 ans, il est encore temps de refleurir autrement.
Qui vivra verra.