Putain d’astrologie
À l’instar du relativisme ambiant qui affecte le rayonnement des opinions d’experts, la banalisation de l’horoscope dans les médias populaires affecte aussi le sens critique du citoyen moyen (ce qui n’est d’ailleurs jamais bon dans un système démocratique). En laissant les charlatans de l’astrologie s’accaparer le vocabulaire scientifique, il en résulte une simplification infantile des termes astronomiques. Et puisqu’à l’intérieur de ce charabia ésotérique se glisse du « name dropping » de planète, il se génère dans l’esprit populaire un voile quant à la compréhension de notre place dans l’univers. Parce que, oui, notre planète n’est en fait qu’un grain de sable sur une plage quasi infinie… et l’humanité une fraction de temps dans l’histoire de l’univers.
Cette formidable vidéo sur l’univers connu amène les téléspectateurs de l’Himalaya jusqu’à la rémanence du Big Bang
Bien sûr, il est peut-être réconfortant pour certains de penser que tout est décidé d’avance, que chaque individu est au centre d’une destinée mystique établie par des forces surnaturelles (que seuls des médiums peuvent ressentir moyennant de l’argent). Cette tendance égocentrique de ramener l’homme au centre de l’univers doit certainement être un héritage culturel laissé par la religion, cette relique de notre enfance civilisationnelle. Mais quant à vouloir parler du sens de la vie, pourquoi dialogue-t-on autant à propos des horoscopes? À l’instar de la météo, est-ce ici un prétexte superficiel pour communiquer? Des questions existentielles m’apparaissent pourtant plus pertinentes que le soi-disant effet des alignements planétaires sur nos destinés personnelles (En tout cas, moi en passant, quand une personne me parle d’horoscope c’est un « turn off » assuré).
Disons aussi que je suis sidéré que des gens préfèrent croire à la magie plutôt que de s’initier à l’émerveillement de la nature et de la science.
Et franchement, quoi de plus existentiel que de réfléchir à la complexe infinité de l’univers, de l’hallucinante relation de l’espace avec le temps, de l’organisation atomique de la matière régie par des règles physiques? Essayons simplement d’imaginer ce qu’il y avait avant le Big Bang, d’appréhender un tant soit peu l’immensité de son volume, voire de saisir l’origine de l’énergie l’ayant généré. Tout cela est simplement merveilleux (j’oserais peut-être même dire d’ordre divin); et admettons finalement que cela dépassera toujours notre entendement en tant qu’être vivant. Est-ce si difficile à accepter?
D’ailleurs, c’est l’une des raisons pourquoi je suis agnostique, il m’apparait inconcevable que des humains puissent interpréter la volonté de « Dieu », si cette entité telle que nous pouvons la concevoir existe bien entendu. Alors, qui sont ces voyants et astrologues en tout genre pour lire dans les étoiles et déchiffrer nos destins, ce pourrait-il que ces êtres ne soient en fait que des escrocs trouvant des avantages à « professer» les « sciences » occultes?
De la relation entre l’ésotérisme et la société libérale
Mais les astrologues sont-ils est vraiment les seuls responsables de cette arnaque systématisée? Peut-être, me direz-vous, que les astrologues existent parce qu’une masse de crédules achète leurs sornettes. Pour ma part, je pense qu’il est de la responsabilité morale de nos gouvernements de régulariser les publicités fallacieuses… et donc du marketing des sciences occultes. Car, soyez assurés du rapport de cause à effet: si les vendeurs d’occultisme trouvent des adeptes pour consommer leurs sottises, c’est bien parce que nos sociétés libérales permettent la promotion de leurs activités commerciales.
Or, malheureusement, dans notre monde marchand, c’est la loi de l’offre et la demande qui déterminera si un produit est « bon » ou pas… et puisque l’astrologie est un produit (voire un service selon l’angle), arnaquer les gens avec du mysticisme demeure une pratique commerciale. Toutefois, pourquoi permettre pour autant la vente du faux? La liberté de mentir, tromper et exploiter devrait-elle vraiment être priorisée sur celui d’informer? Notre gouvernement ne devrait-il pas être mandaté pour protéger les intérêts des citoyens, à commencer par les plus vulnérables de notre société? Mais non, l’ère du temps néolibéral est à la réduction du rôle de l’État et du chacun-pour-soi.
L’exemple de JoJo Savard
JoJo Savard, de son vrai nom Jocelyne Savard, est une astrologue québécoise qui fit ses débuts à la station de télévision CFCF. Après quelques années, elle est devenue forte populaire, ce qui l’a incité à lancer son propre commerce d’astrologie. Ainsi à la tête d’une société qui proposait des séances de consultation à distance en astrologie, ses méthodes de promotion étaient supérieures à ses compétiteurs car elle avait accès à la télévision populaire. Par l’intermédiaire « d’info-pub », il y avait même dans les heures creuses de la nuit des blocs d’émission entière qui était consacrée au markéting de son entreprise. Les gens intéressés par ses « services » pouvaient ainsi contacter l’un de ses employés par le biais du téléphone. La facturation, à 5$ la minute, se faisait par le biais de la société téléphonique d’Ormazd, une société de télémarkéting étasunienne opérant depuis Miami. Mme Savard vit depuis en Floride et mène le parfait rêve américain. Bref, un modèle de succès bien québécois… mais aux prix de combien de faillites personnelles?
L’astrologie est une science de sagesse et de prévention, les étoiles sont là pour te guider, t’éclairer vers ton bonheur, je t’aime, 1-976-JoJo
– Jojo Savard
Alors, trouvez-vous vraiment admissible que les produits ésotériques puissent être commercialisés à la télévision et dans les magazines populaires? Pensez-vous vraiment qu’il soit responsable de banaliser l’astrologie quand nous réalisons que souvent la seule « science» considérée par une frange de la population manquant d’éducation? En tant que société démocratique dont la population est théoriquement responsable d’élire ses dirigeants politiques, aidons-nous vraiment l’esprit critique des citoyens à se développer en laissant des arnaqueurs sous-entendre que tout est décidé d’avance (En passant, Madame Savard prédisait toujours des victoires au parti Libéral). Parce que oui, dites-vous que la personne payant 5 $ par minute pour se faire dire son avenir par un pseudomédium est aussi appelée à voter… et paradoxalement participer à déterminer NOTRE AVENIR politique. Or, c’est malheureusement logique, si tu arrives à croire aux bobards ésotériques, tu risques de croire aussi aux bobards des exploiteurs politiques. Ces groupes d’intérêts qui parallèlement trouvent accès dans les mêmes réseaux de diffusion populiste que ceux dans lesquels nous pouvons consulter l’horoscope et regarder des émissions « scientifiques » à propos des forces paranormales (Quebecor, Discovery Channel, Z Télé).
En définitive, il me parait évident qu’il y a une relation entre la crédulité populaire et le pouvoir politique des forces conservatrices. Car moins la population est instruite et plus elle est facile à contrôler. Ainsi, il n’est pas étonnant que les conservateurs valorisent la crédulité par rapport à la science… puis le marché libre par rapport à l’investissement gouvernemental dans l’éducation. Or il m’apparait évident que la religion va de pair avec le pouvoir conservateur (voire le totalitarisme dans d’autres pays). Inversement, la science, elle, rime avec le progrès, et la démocratie se conjugue avec la liberté de conscience.
Finalement, tout ici nous ramène à l’importance fondamentale du niveau d’éducation des citoyens dans une société démocratique. Face à l’analphabétisme scientifique, il importe donc de raffermir notre sens critique. Les journalistes et l’école doivent ainsi devenir les alliés de la sociale-démocratie dans cette chasse à la crédulité. Mais encore faut-il préalablement valoriser réellement une société du savoir s’appuyant sur la libre circulation de l’information.
Dans un prochain article, je continuerai ma réflexion sur le sujet de la foi religieuse en tant qu’outil politique des conservateurs
La vérité appartient à ceux qui la cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir
-Condorcet (Discours sur les conventions nationales, avril 1791)