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Posté par le 19 janvier 2009 dans [référence à un film], BD, Biographie, Philosophie-politique, Société

Gérard Lauzier: Le singulier parcours d’un anticonformiste accompli

Le parcours de Gérald Lauzier fut d’une originalité exemplaire. Car, oui, il fut bien plus qu’un artiste polyvalent, mais bien aussi un intellectuel accompli.

Quelques-unes de mes idoles sont disparues en 2008. Dans un premier temps, il y eut le décès de mon auteur fétiche, Arthur C. Clark, puis, celui du claviériste de mon groupe culte, Richard Wright. Mais pour moi, le plus dur coup fut la mort de Gérard Lauzier.

Il faut dire que je suis un vrai fan des BD de Lauzier; au point où j’ai lu et relu plusieurs fois l’intégrale de ses 15 BD. Si bien que l’œuvre de Lauzier me revient sporadiquement à l’esprit. Alors, parce qu’il y a du Lauzier en moi, vous comprendrez que je suis en quelque sorte endeuillé. Toutefois, voilà une occasion de vous le faire connaître davantage… d’autant plus que son parcours fut d’une originalité exemplaire. Car, oui, Gérard Lauzier fut bien plus qu’un artiste polyvalent, mais bien aussi un intellectuel accompli.

Biographie :

Gérard Lauzier
Né le 30 novembre 1932 à Marseille. Après une licence de philosophie, il étudie l’architecture durant quatre années à l’École des Beaux Arts de Paris. À 22 ans, il part en vacances au Brésil et y reste cinq ans. Il y montera une agence de publicité et devient le caricaturiste politique d’un quotidien de gauche. Il revient en France, le temps de faire son service militaire. Puis repart au Brésil où les choses se gâtent en 1964 lors du coup d’État militaire. Revenu à Paris en 1965, il poursuit dans le dessin humoristique puis s’engage à fond dans la bande dessinée à partir de 1974 avec Lili Fatale. Cependant, c’est avec la publication des Tranches de vie que Lauzier atteindra  la notoriété qu’ont lui connait maintenant. Figure emblématique du défunt Pilote et auteur phare des années 1970-1980, Gérard Lauzier marquera cette époque au fer rouge.

Gérard Lauzier

Bibliographie :

De Lauzier, il faut ainsi absolument retenir les cinq tomes des Tranches de vie, qui passeront à l’histoire comme une des plus justes observations de la société française dans années 70. D’entrée, vous devez savoir que sa bande dessinée ne cherche pas à faire de l’esthétisme systématique. À cet effet, Lauzier avouera lui-même que le dessin est pour lui secondaire, le scénario ayant la réelle importance à ses yeux. Gérard Lauzier s’inscrit donc dans cette catégorie de créateurs qui ont choisi la bande dessinée comme moyen d’expression à part entière, et lui conférant, enfin, une dimension littéraire. Lauzier aura ainsi amené une dimension essentielle à la BD pour adultes.

Lauzier

Bien que dotées d’un trait caricatural efficace, les forces de Lauzier résident surtout dans sa compréhension décapante de la nature humaine; au point où ses personnages sont très représentatifs de certaines espèces sociales (voire politiques). Ainsi, pouvant parfaitement s’ajuster au langage propre de tous les genres idéologiques, Lauzier nous introduit au centre de la culture de ses personnages… tous ceci afin de mieux la dynamiter de l’intérieur. Car, tel un chat s’amusant avec une souris avant de la manger, Lauzier finit toujours par broyer les personnages qu’il anime.

Alors, avant que vous ne vous lanciez dans l’univers tordu de Lauzier, j’en profiterai ici pour vous faire une mise en garde. Ne tombez pas dans le piège de vous identifier à quelconque de ses personnages. Car l’humour vitriolique de Lauzier n’ayant pas épargné grand monde dans ses BD, tôt ou tard, «votre» personnage risquera de passer à la casserole du diabolique scénariste.

Ca peut être nous… même nous. Atroce!
– Un lecteur

Les Tranches de vie consistent donc en une galerie de portraits divers : babas cool donneurs de leçons, publicitaires honteux, ados complexés, artistes ratés, bourgeois contestataires, jeunes cadres arrivistes, pseudo-intellectuels aux mœurs libérés, pères de famille cyniques… tous les conformismes post-68tards seront passés par son crayon-scalpel. Et admettons-le, bien que Lauzier n’ait jamais managé la droite, sa cible de prédilection fut la gauche caviar de l’époque: un type de bourgeois mal dans sa réussite sociale. De là, d’ailleurs, pourquoi les années 70 l’avaient sacré… puis condamné.

Lauzier

En effet, Lauzier fut l’un des premiers artistes post-68tards à oser dépeindre les contradictions de cette génération gauchisante, une génération qui s’apprêtait alors à accéder aux plus hautes responsabilités en France. Or, si pour les intellectuels, il sera toujours facile d’attaquer l’intrinsèque bêtise de la droite, il demeure plus difficile de moralement questionner la rhétorique de la gauche. Si bien qu’en démontrant que le ridicule et le conformisme pouvaient très bien aussi sévir à gauche, Lauzier en arrivera à choquer beaucoup de bien-pensants. Ainsi décrété réactionnaire, rejeté par la gauche, Lauzier ne sera pas pour autant récupéré par la droite (la droite se préoccupant peu des questions culturelles, ses tenants n’auront jamais été du lectorat de Lauzier).

Inexorablement, la vente des BD de Lauzier diminuera donc en librairie. Si bien que Lauzier en profitera pour se réconcilier avec l’humanité en se recyclant dans l’écriture de scénarios plus aimables… et réorientera sa carrière vers le cinéma; son grand rêve.

Filmographie
(Scénariste)

•    1980 : Je vais craquer
•    1981 : Psy
•    1985 : Tranches de vie
•    1988 : À gauche en sortant de l’ascenseur
•    1999 : Astérix et Obélix contre César (dialogues)

(Réalisateur et scénariste)
•    1982 : T’empêches tout le monde de dormir
•    1984 : P’tit con
•    1984 : La Tête dans le sac
•    1991 : Mon père, ce héros
•    1996 : Le Plus Beau Métier du monde
•    1999 : Le Fils du Français

Dans les dernières années, Gérard Lauzier réalisera donc des comédies plus tendres. « Mon père ce héros » en 1991, avec Gérard Depardieu et Marie Gillain, évoque les relations mouvementées entre un père et sa fille. Le film lui a été inspiré par sa fille aînée. Suit en 1996 « Le plus beau métier du monde », avec Gérard Depardieu dans le rôle d’un prof dans un lycée de banlieue. Puis la comédie « Le Fils du Français » en 1999 avec Josiane Balasko et Fanny Ardant. Il a également participé aux dialogues de « Astérix et Obélix contre César » (1999).

Mon père ce héros

Lauzier : Critique sans concession de son époque

Multidisciplinaire, Gérard Lauzier aura ainsi accompli un singulier parcours professionnel. Toutefois, le Lauzier qui restera sera sans nul doute le Lauzier dessinateur. Littéralement, la collection des BD de Lauzier demeurera la fresque d’une certaine époque, un grand théâtre de l’humanité peuplé de personnages extraordinairement véridiques. Cependant, si ces personnages en arrivent à nous devenir authentiques, c’est bien parce que le scénariste leur arrache violemment les masques… dévoilant ainsi les âmes à nu. De la sorte, lire Lauzier est déstabilisant… et si on ri beaucoup, on garde tout de même un arrière-gout amer de l’expérience.

Alors, pour sortir indemne du monde à Lauzier, il faut d’entrée être en mesure de pouvoir rire de soi-même, voire surtout, de ne pas avoir peur de remettre ses idées en question. Ensuite, vous devez savoir aussi que la vision de Lauzier est définitivement pessimiste. En effet, avec la récurrence des rapports de force qui unissent et divisent ses personnages, l’univers darwinien de Lauzier n’est guère réjouissant. D’un côté, les forts, ces amorales entités sans scrupules; de l’autre, les victimes, ces pauvres gentils cons qui ne contrôlent rien. Et là, je ne vous parle pas de la façon que Lauzier dépeint les femmes: les belles sont distantes, calculatrices… elles manipulent le sexe comme une arme sociale. Les autres, tristement innocentes et abusées, se rattachent à des pathétiques illusions d’amour. Je déconseillerai, donc, la lecture de Lauzier aux âmes trop sensibles.

En définitive, que devrions-nous comprendre de cette œuvre? Pour ma part, puisque Lauzier concevait si justement la nature humaine, il devait donc être nécessairement un humaniste. Mais ce dernier, hyper lucide, semble toutefois désabusé des idéologies et des faux-semblants. En relisant Lauzier, derrière la cacophonie des protagonistes, il me semble donc entendre en sourdine le blues d’un homme désillusionné. En effet, dans ses BD, il y a cet axe d’une gauche hypocrite qui prétend vouloir changer le monde, mais qui en s’approchant du pouvoir, pratique en fait les mêmes schémas de ce qu’elle dénonce. C’est un peu comme si, malgré les beaux idéaux évolutionnistes, nous étions finalement prisonniers d’un système, voire carrément de notre nature animale (de là, peut-être, l’omniprésence du darwinisme dans son œuvre). Si bien que durant cette prolifique décennie à faire de la BD, Lauzier semble avoir réglé ses comptes personnels avec la société… non sans nous démontrer au passage l’étendue de notre bêtise.

De la sorte, je ne pense pas que Lauzier était vraiment un réactionnaire… mais simplement un auteur hors-norme; un observateur affranchi qui cognait, de gauche à droite, sur la connerie humaine. Or, puisque la connerie des autres c’est toujours amusant, Lauzier se faisait ainsi catégoriser dans l’humour. Mais que dire de cet humour, lorsque justement, cette connerie s’avérait être la nôtre ? Bref, à travers le miroir de ses personnages, Lauzier aura donc forcé sa génération à réfléchir sur ce qu’elle était, et surtout, sur ce qu’elle était en train de devenir. La question sous-entendue maintenant: et si cette société post-68arde était un échec?

Lauzier et moi

Un jour, jeune garçon, j’ai par hasard découvert un premier livre de Lauzier à la bibliothèque, c’était le tome P’tit con. A priori, je trouvais ça lourd à lire, mais j’ai vite compris que ce livre était un concentré d’expérience; lire du Lauzier, c’est effectivement comme vivre en accéléré plusieurs vies en quelques minutes. Puis, fait notable, Lauzier fut celui qui m’introduisit au concept de gauche/droite. En effet, cette conception de la politique, typiquement française, est relativement nouvelle dans le contexte québécois; si bien qu’à la fin des années 80, il n’était en rien évident pour moi de saisir les subtilités de cette nouvelle matière politique. D’autre part, la lucidité de Lauzier ne m’aura pas épargné moi non plus. Souvent, j’ai du m’interroger sur mon comportement en société et les perceptions d’autrui à mon égard… et des fois, lorsque je me sentais «con», les personnages de Lauzier revenaient hanter mon esprit. Il va sans dire, l’œuvre de Lauzier m’aura donc touché au cœur… voire surtout, à la tête. Aujourd’hui, je sais que le travail de Lauzier est l’un des fondements à la base de mes perceptions sociopolitiques… peut-être aussi à la base de mon cynisme chronique. Et grâce à Lauzier, j’ai toujours observé les protagonistes politiques selon un angle bien à lui.

Lauzier: Champion de l’anticonformisme. Lauzier: créateur libre au dessus des idées reçues. Lauzier: Un être qui force l’authenticité. Gérard Lauzier… un modèle pour tous les blogueurs !

Merci à toi, Gérard Lauzier, pour ton enseignement!

La gauche, c’est un amour déçu
-Gérard Lauzier

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2 Commentaires

  1. Oui, vraiment, il fut un artiste majeur des années 70, toutes disciplines confondues. J’aurais aimé qu’il donne une suite ou deux aux errements de Choupon… Les 2 volumes qui lui sont dédiés sont du très grand art.

  2. Ah… Lauzier… Tranches de vie. J’ai découvert ça, je devais avoir 13 ou 14 ans lorsque j’étais camelot du Dimanche-Matin et que nous distribuions le magazine Pilote… Merci pour cette information détaillée et pour réanimer des souvenirs oubliés….

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