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Posté par le 2 novembre 2024 dans Souvenirs

La Ronde des souvenirs : Réflexions sur le passage du temps

Découvrez mon retour introspectif à La Ronde, où souvenirs d'enfance et réflexions sur le temps s'entremêlent lors d'une visite avec mes collègues jardinières.

Moi, Miss J et Élise, dans le Goliath à La Ronde

Le dernier lundi de l’Action de Grâce, il m’a été donné de me retrouver à La Ronde en compagnie de deux de mes remarquables collègues jardinières, Élise et Miss J. C’était une journée où la pluie et le froid semblaient vouloir décourager les plus intrépides, mais rien ne put entraver notre détermination. Depuis deux années, Élise évoquait avec une étincelle particulière dans le regard le désir de faire une sortie d’équipe à La Ronde. Nous avions donc résolu de la surprendre pour son anniversaire. Plus encore, nous souhaitions ardemment assister à la prestation de Sébastien en « Slider ». Sébastien, notre confrère jardinier de l’équipe A, délaisse ses outils chaque fin de semaine automnale pour se métamorphoser en une sorte de zombie glissant sur le sol lors du Festival de la Frayeur à La Ronde. C’est d’ailleurs par son entremise qu’Élise a reçu une paire de billets en guise de cadeau d’anniversaire, conférant à cette escapade une saveur encore plus singulière.

Slider à LA Ronde

Sébastien, dans son personnage de Slider à La Ronde (photo de Carl Desjardins)

Chacun de nous, Élise, Miss J et moi-même, portait en soi des réminiscences liées à ce lieu, que nous avions arpenté à différentes époques de nos existences. Miss J, n’étant pas originaire de Montréal, ne gardait qu’une seule expérience de La Ronde, remontant à son adolescence, où un bras cassé l’avait empêchée de profiter des manèges. Élise, en particulier, semble entretenir avec cet endroit une relation intime. Pour elle, La Ronde incarne le cœur de l’enfance, un sanctuaire qui a su préserver sa magie immuable.

Quant à moi, revisiter ce lieu fut comme ouvrir un album de souvenirs, chaque page évoquant le passage inexorable du temps. La dernière fois que j’avais foulé ces allées, je n’étais pas encore adulte… et à bien y penser d’ailleurs… Miss J n’avait même pas encore vu le jour. À présent, avec presque un demi-siècle derrière moi, revenir ici m’a projeté à travers les décennies. Je réalise que cet endroit m’a vu grandir, qu’il a été le miroir de chaque étape de ma vie, reflétant à chaque âge une facette différente de mon être.

La première fois que mes pas m’ont conduit à La Ronde, je n’étais qu’un enfant incapable de formuler des mots. Une journée passée avec mon grand-père, où les auto-tamponneuses furent le théâtre de mes premières découvertes. Ce monde me semblait alors démesuré, sans limites, une étendue infinie à explorer.

Plus tard, il y eut cette sortie avec les enfants du Domaine de la Sablière à Saint-Donat, où nos familles partageaient des chalets. J’étais le plus jeune, le plus petit, et je me souviens de la frustration de ne pouvoir suivre mes aînés dans les manèges imposants, tels le Boomerang, aux côtés de François Maltais, Geneviève Rousseau et Jean-Thomas Lapointe. En pensant à Geneviève, une douce mélancolie m’étreint, consciente du temps qui s’écoule et de la fragilité de la vie, elle qui nous a quittés cette année, emportée par un cancer à « seulement » 52 ans.

Une sortie en famille avec ma mère Lilianne et ma soeur Marika

Durant mon enfance, entre mes huit et douze ans, La Ronde était pour moi l’apothéose des sorties, une perspective qui éveillait en moi une excitation incommensurable des jours à l’avance. Je me remémore avec tendresse ces escapades espiègles avec mon meilleur ami Fred, où, petits garnements, nous arrosions les passants avec nos fusils à eau depuis le Minirail. Et puis, à la fin de ma sixième année, cette journée où j’ai parcouru le parc en compagnie de Jennifer, ma première amourette.

Avec Jennifer

L’adolescence apporta son lot de nouvelles expériences, avec mes amis chers du début du secondaire : Fred, Roxane, Vincent et Kathy. Des moments empreints de liberté, où chaque attraction était prétexte à des rires, des défis amicaux, et où l’insouciance régnait en maître.

Une expérience marquante fut sans conteste ma première immersion dans les méandres du LSD, en compagnie de Maximilien, cet ami anglophone qui m’avait initié à Donjons et Dragons. Cette journée, où nous nous sommes aventurés dans la Maison des Miroirs — aujourd’hui disparue —, a transcendé ma perception de « l’amusement ». Les couleurs, les sons, l’énergie vibrante de La Ronde se muaient en une expérience surréaliste, presque magique. Ce fut un instant hors du temps, gravé à jamais dans ma mémoire.

À la fin de nos 15 ans, Fred et moi avons endossé le rôle de travailleurs à La Ronde. Mon premier emploi, terrassier pour une concession de casse-croûte, le 303, situé près de l’ancien Ovni. Ma tâche consistait essentiellement à veiller à la propreté des lieux, y compris à nettoyer les « désagréments » laissés par les visiteurs après des tours dans des manèges tournoyants. Le salaire, modeste, était de 5,00 $ de l’heure, le minimum à l’époque. J’enviais Fred, qui avait plutôt décroché un poste de cuisinier dans la concession 333, un rôle qui me semblait bien plus noble que celui de ramasseur de détritus.

Avec mes premières rémunérations, mon aspiration était de constituer une collection de CD. À cette époque, le prix d’un CD oscillait entre 12 $ et 25 $, m’obligeant à travailler de longues heures pour en acquérir un seul. Je me souviens que, durant cet été de 1991, cinq albums majeurs du rock moderne furent publiés : le Black Album de Metallica, Ten de Pearl Jam, Use Your Illusion de Guns N’ Roses, Nevermind de Nirvana, et Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers. J’étais avide de découvrir ces œuvres, sans imaginer qu’elles deviendraient les emblèmes d’une génération.

: le Black Album de Metallica, Ten de Pearl Jam, Use Your Illusion de Guns N' Roses, Nevermind de Nirvana, et Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers

1991 – Un âge d’or certain de la musique commerciale

Cet été-là était empreint de l’odeur persistante des frites, flottant dans l’air lourd de canicule. La chaleur de l’asphalte sous mes pieds, la sueur perlant sur mon front, les cris d’excitation résonnant en écho. Les goélands, avec leurs cris stridents, se disputaient ardemment le contrôle de ma terrasse, ajoutant une cacophonie naturelle à l’ambiance déjà chargée. La musique, omniprésente, diffusait en boucle les mêmes mélodies : « 1990″ de Jean Leloup, « Wind of Change » de Scorpions, « You Could Be Mine » de Guns N’ Roses — bande-son de Terminator 2 qui triomphait au box-office —, « Toujours vivant » de Gerry Boulet, « Losing My Religion » de R.E.M. (l’une des rares chansons de cette liste dont je ne me suis jamais lassé) et « Gypsy Woman (She’s Homeless) » de Crystal Waters. Cette dernière, à force d’être entendue, en devenait presque aliénante, au point que François Pérusse en avait fait une parodie intitulée « Fadeli Fadela », finalement tout aussi énervante. Ces chansons formaient la toile sonore de cet été, entre labeur et instants volés de plaisir.

L’été de mes dix-sept ans, en pleine tourmente adolescente, marqua mon dernier passage à La Ronde avant ce retour récent. Cherchant à évoluer « professionnellement », j’avais cette fois intégré la concession gérant les jeux d’adresse. Mais rapidement, un profond malaise s’installa : devoir inciter les passants à dépenser dans des jeux aux chances infimes de succès, leur promettant des lots dérisoires — essentiellement des toutous kitsch fabriqués en Chine — me semblait moralement discutable. Je commençais à entrevoir les rouages cachés du « système », ce capitalisme effréné qui se révélait graduellement à mes yeux d’adulte en devenir. Je voyais tranquillement l’envers du décor, et cette prise de conscience alimentait en moi une révolte silencieuse. Je me sentais complice d’une mécanique consumériste, rémunéré une misère pour entretenir cette illusion. Cette expérience cristallisa mon désenchantement envers ce lieu, désormais symbole d’une société consumée par le matérialisme et l’exploitation. Cet été-là, je nourris une aversion pour mes supérieurs et un mépris envers un public aliéné; puis trouva une détermination à tourner définitivement la page de cette époque révolue de mon enfance.

Avec le recul, je constate que cet endroit a évolué en parallèle de ma propre existence, reflétant à chaque étape une nouvelle réalité. Ce lieu, autrefois vaste et empreint de magie, semble aujourd’hui plus restreint, plus familier, mais conserve une aura particulière. Le temps a filé, mais quelque part, l’enfant que j’étais erre encore dans ces allées, à travers les méandres du passé. C’est ce mélange subtil entre hier et aujourd’hui qui m’a saisi lors de cette visite.

La Grande Roue, bien qu’inaccessible ce jour-là, a ravivé en moi un souvenir profondément ancré. À travers la barrière entourant La Ronde, j’ai montré à Miss J l’endroit précis de cette réminiscence, qu’elle connaissait déjà grâce à un article de mon blogue : Entre père et fils, une soirée au cœur des feux. C’était durant l’été de mes dix ans, en 1985, lorsque mon père et moi avions pénétré clandestinement dans la zone interdite des installations pyrotechniques. Les feux d’artifice avaient alors embrasé le ciel tout autour de nous, nous enveloppant dans une symphonie d’explosions lumineuses. Cet instant de complicité, mêlant adrénaline et émerveillement, demeure l’un des trésors les plus précieux de ma mémoire, une scène indélébile à l’ombre justement de La Grande Roue.

Cliquez sur l’image pour aller lire mon billet « Entre père et fils, une soirée au cœur des feux »

Coup de théâtre, nous apprîmes que Sébastien avait été écarté de la prestation prévue à cause du mauvais temps. Néanmoins, la pluie ayant clairsemé la foule, nous pûmes enchaîner les manèges sans attente. Mon désir était de découvrir les nouvelles attractions, et j’avoue avoir été surpris, peut-être même déçu, de constater qu’après presque trente ans, peu de nouveautés avaient vu le jour. Malgré cela, nous avons tiré le meilleur parti de ce qui s’offrait à nous. Le Goliath, que nous avons expérimenté à quatre reprises, a tenu ses promesses de sensations fortes. Lors de l’une des courbes vertigineuses, emporté par la vitesse et l’euphorie du moment, une impulsion soudaine m’a poussé à saisir la main de Miss J. Comme si, dans le tumulte des virages, la crainte de la perdre de vue au prochain tournant m’avait étreint en un instant fugace. Ce geste spontané était une manière de célébrer l’instant présent face à l’adversité, de s’accrocher au milieu du tourbillon de l’existence.

manège Goliath à La Ronde

Cette photo me fait réaliser à quel point la vie ressemble à ce manège : des hauts qui nous donnent le vertige, des bas qui nous coupent le souffle… Mais à chaque tournant, il est précieux de partager cette course folle avec ceux qui nous sont chers.

À l’inverse, l’Ednör m’a laissé une impression désagréable — je m’étonne aujourd’hui qu’autrefois, je trouvais plaisant de me faire ainsi malmener le cerveau dans tous les côtés de ma boîte crânienne.

Nous avons ensuite savouré une mythique Queue de Castor, désormais affichée à 12 dollars — un prix qui m’aurait semblé exorbitant à l’époque où je les achetais pour 2 dollars, déjà avec réticence. Ce réconfort sucré nous a redonné l’énergie nécessaire pour affronter le Vampire, qui a mis nos sens à l’épreuve. Le point culminant fut le Titan, où j’ai redécouvert la sensation de voler, frôlant l’apesanteur, tout en retenant mon estomac prêt à renvoyer la mythique Queue de Castor prédigérée. Je me souviens même avoir aperçu un avion traversant « le sol » entre mes jambes, accentuant cette impression vertigineuse.

Revenir en ces lieux, des décennies plus tard, aux côtés d’Élise et de Miss J, m’a confronté à la fugacité du temps. Ce tissage de souvenirs d’antan et de moments présents a conféré à cette visite une dimension presque onirique, comme si l’enfant que j’étais et l’homme que je suis se rejoignaient, au même endroit, mais à des temporalités différentes. Je me suis surpris à penser que, malgré les années qui nous séparent, nous partageons tous le même âge en des temps différents. Nos expériences, bien que séparées par les époques, résonnent d’une similarité profonde, comme si chaque génération, à sa manière, redécouvrait les mêmes émotions, les mêmes émerveillements.

En considérant que je travaille depuis déjà sept ans en tant que jardinier au Parc Jean-Drapeau, ce lieu sur l’Île Sainte-Hélène, où se trouve La Ronde, a été un passage déterminant dans ma vie, un pivot entre mes souvenirs d’enfance et mon présent. Tout comme le Pont Jacques-Cartier qui, dans ma perspective existentielle, demeure le lien symbolique entre deux mondes, cette île incarne pour moi le passage entre le passé et l’avenir. Ce pont, s’élançant au-dessus du fleuve, a été le théâtre de mes réflexions les plus profondes, une arche suspendue entre deux mondes où j’ai autrefois contemplé l’abîme, cherchant à affronter mes propres démons.

Au bout du compte, ce qui m’a profondément touché lors de cette journée, ce ne furent pas tant les attractions en elles-mêmes, mais ces instants partagés, ces regards complices lorsque l’un de nous vacillait à la sortie d’un manège, la magie de retomber ensemble dans une insouciance enfantine. Ce fut un moment simple, mais intensément réconfortant, qui m’a rappelé l’importance de s’accorder des parenthèses hors du temps et de chérir ces précieux moments avec ceux qui illuminent notre quotidien.

Peut-être était-ce aussi une manière de célébrer avec mon équipe une saison de travail remarquable au Parc Jean-Drapeau, qui pourrait bien être la dernière alors que de nouveaux horizons professionnels s’ouvrent devant moi. Je ne pense pas revenir à La Ronde ; sauf, peut-être un jour, qui sait, pour y conduire mes propres enfants et initier un nouveau cycle. Ainsi, cette île, ce parc, ce pont, sont plus que de simples lieux : ils sont les témoins silencieux des passages cruciaux de ma vie, les liens indéfectibles entre les différentes époques de mon existence. Les gens que j’aime et que j’ai aimés peuplent toujours mes souvenirs à cet endroit. Tandis que je m’apprête à franchir de nouvelles étapes, ces lieux demeureront à jamais ancrés dans mon paysage intérieur, symboles des liens qui unissent le passé, le présent et l’avenir.

Les lieux où l’on a été heureux le restent pour toujours
— Marguerite Yourcenar

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