La télévision : le principal agent de contrôle populaire
Après mes plaidoyers pour un système de compensation proportionnelle et des élections à date fixe, voici donc le troisième article de ma série sur les limites de notre démocratie au Canada. En effet, à l’ère de la convergence médiatique, nous ne pouvons aborder le thème de la démocratie sans prendre en compte l’influence des médias de masse sur l’électorat… à savoir principalement, celle de la télévision. Car si c’est bien une poignée de propriétaires qui possèdent l’ensemble des médias au pays, il faut ainsi déduire que c’est aussi une poignée de décideurs qui orientent l’allure d’une campagne électorale… comprendre justement notre «démocratie». Bref, la télévision étant omniprésente en période électorale, cette dynamique contribue radicalement au nivellement vers le bas de la qualité de notre débat démocratique.
Effectivement, en présentant les élections comme un bête concours de popularité, la télévision impose aux partis d’atténuer leurs propos intellectuels. Concrètement, à l’exemple de la publicité, les messages politiques doivent ainsi être punchés et saisir l’imaginaire. Puis, l’importance de séduire l’électorat télévisuel commande aux partis politiques de générer une illusion de proximité avec leurs leaders. De la sorte, plutôt que de faire appel à notre intelligence, les chefs doivent ainsi devenir «nos amis» afin de gagner le gros concours de popularité. Subséquemment, la présentation médiatique de nos politiciens est pratiquement à la merci des fabricants d’images télévisuelles. Est-ce donc dire ici que notre démocratie tiendrait davantage du ressort de la téléréalité que de la politique ? Dans ce contexte, il ne faudrait pas s’étonner que la personnalité des chefs soit dorénavant plus importante que le programme des partis (pourtant au Canada, nous élisons toujours un parlement et non un individu).
Alors, déjà que les tendances primaires d’une campagne porte au niveau des images et des slogans, il n’est pas surprenant que l’actuelle campagne soit ainsi d’une historique bassesse populiste. Et d’ailleurs, à l’image d’une émission de téléréalité où tous les coups sont permis, les conservateurs ont très bien compris l’avantage d’utiliser le genre négatif. Effectivement, la culture populaire adore le dénigrement de l’adversaire : c’est simple et sensationnel, ça fait parler le monde, puis ça embarque la plèbe dans l’histoire du téléfeuilleton électoral. Et là ou le bât blesse, c’est que le genre téléréalité a préalablement normalisé les valeurs de cette manière d’agir :
• la motivation alpha est le gros lot monétaire (l’argent)
• la tromperie et la trahison sont de mise pour gagner le gros lot
• chacun pour soi, aucun objectif collectif
• ne pas remettre en question le sens moral de ses actions
• obéir aveuglément face aux règles établies
Puis, la plèbe télévisuelle reconnaissante de se sentir concernée par la joute «démocratique», donnera naturellement son vote à l’équipe qu’on lui présente déjà comme la favorite (car par l’entremise du candidat vainqueur, finalement, le peuple pourra s’identifier à l’équipe gagnante). Vraiment, ais-je besoin de rajouter ici que nous sommes loin de la démocratie.
De la sorte, il ne faudra pas s’étonner que les publicités de Stephen Harper soient si populistes. Puis, en s’attaquant directement aux intellectuels et au développement culturel, Harper sait qu’il pourra y asseoir les fondations de son nouvel ordre politique. Voyez-vous, c’est que pour les néoconservateurs, la promotion de la culture de masse (l’ignorance) s’inscrit bel et bien dans une logique de contrôle «démocratique». Et ici, oubliez la bullshit morale de cette droite obscurantiste… leur idéologie pourrait justement se résumer par une volonté de contrôle afin de desservir adéquatement les intérêts du grand capital.
Pour la suite des choses maintenant, non seulement l’actuelle situation médiatique rend pratiquement impossible la tenue d’un référendum gagnant pour les souverainistes au Québec… mais il faudra aussi réaliser que la démocratie canadienne est sérieusement atteinte (peut-être même en phase terminale). D’ailleurs, dans l’optique des compressions pressenties à Radio-Canada, dans l’optique aussi que cette dernière pourrait être privatisée par les conservateurs… l’information publique y sera alors au pays complètement à la merci du privé (quoiqu’il soit vrai, le régime Harper pourrait carrément instrumentaliser la société d’État à son propre armement de propagande).
Alors, les intellectuels se retrancheront sur l’Internet… puis marginalisés face à une masse toujours plus aliénée par la télévision, le fossé se creusera inexorablement entre ces deux cultures. Mais puisqu’en «démocratie» ce sont les perceptions de la majorité qui déterminent la couleur du pouvoir, l’opinion de la minorité intellectuelle n’aura plus aucun poids électoral. Pire encore, Harper et son régime ayant déjà démontré sa volonté du contrôle de l’opinion publique, je me demande même si la liberté d’expression sur l’Internet sera toujours tolérée. Qui sait, peut-être que notre temps à pouvoir blogger est plus compté que l’on pense.
En ce sens, les néoconservateurs menaçant l’essence même des fondations progressistes au Canada, il serait temps aux sociaux-démocrates fédéralistes et aux élites libérales de constater que les souverainistes québécois ne sont plus leur principal ennemi. Du moins, certainement pas pour l’élection en cours.
Mais il est toujours temps de rejetter ce système politique. Allons, le 14 octobre prochain, bloquons les conservateurs, votons en Bloc au Québec !
Il y a deux catégories de télévision : la télévision intelligente qui fait des citoyens difficiles à gouverner et la télévision imbécile qui fait des citoyens faciles à gouverner
– Jean Guéhenno
Les médias ne sont pas forcément l’opium du peuple à mon sens mais plutôt son reflet 🙄
D’un point de vue sociologique c’est moyen…
A vos bouquins pour un peu de théorie lazarsfeldienne et Fraserienne no ? 😳
Excellent billet. Puis-je ajouter deux petites choses? Un autre élément intéressant chez le peuple c’est le culte du chef. Sa prestance, son image, voire sa voix, sont très importantes. On dit souvent: il (elle) a l’allure d’un chef. Il n’est pas un bon leader. Comme si le pauvre type se retrouverait seul dans un bureau à prendre toutes les décisions. Il est d’ailleurs intéressant de voir l’objection des gens à la formule des deux porte-parole chez Québec solidaire… Est-ce que la politique serait attachée au modèle patriarcal?
Deuxième… un petit extrait du film Brainwash du réalisateur québécois Jean-Pierre Roy: http://www.youtube.com/watch?v=OXRq-CJ6ySM
Salut et bonne fin de campagne!
lutopium| lire ici le dernier article de son blogue: lutopium déménage
Très bon billet Carl! Dans le genre que j’aime!!!
Jimmy St-Gelais| lire ici le dernier article de son blogue: La fin de la droite
Tu as sûrement remarqué à quel point le journal La Presse reprend l’aspect visuel de la télévision. Ces immenses photos, ces couleurs criardes. On dirait un cahier de coloriage pour adultes!!
La télévision je ne la regarde plus depuis 3 ans. Au début je trouvais ridicule les gens qui disaient « Ah nous on n’a pas la télé! » Ils me faisaient penser à des alcooliques qui disent non merci quand on leur offre un verre… Mais depuis j’ai compris à quel point on peut devenir « accros » à la télé. Ah le canapé et la télécommande qui s’offrent à toi après une dure journée! La télé est un puissant anxiolitique…
Bizarrement depuis je n’ai plus envie d’acheter quoi que ce soit, sauf peut-être une partition de Piano ou deux du siècle dernier… 🙂