La nouvelle place Jean-Paul II à Paris… un parvis dans la mare!
Il n’y a pas qu’au Québec ou le changement de nomenclature d’un endroit public suscite les passions. En effet, ici à Paris, l’ancien Parvis Notre-Dame (cette magnifique place publique devant la Basilique Notre-Dame) a été le 3 septembre dernier, « rebaptisé » Place Jean-Paul II par le maire Delanoë. Si cette décision du conseil de Paris semble a priori un détail, elle aura toutefois des répercussions politiques qui ne justifient aucunement le choix de cette position par le maire socialiste de Paris.
Mise en contexte d’une décision aberrante
Lundi le 4 septembre, c’était ma première journée avec Les Verts à l’Hôtel de Ville. Or, sur toutes les lèvres de mes nouveaux collègues, le sujet politique d’alors était la manifestation de la veille en rapport avec le préambule de cet article. À vrai dire, sur le coup, je ne comprenais pas l’importance que les Verts accordaient à l’événement. Après tout, me disais-je, un nom n’est qu’un nom, pourquoi tout ce branle-bas de combat sur la nomenclature d’un espace public alors que nous devrions canaliser nos énergies vers des dossiers concrets. En effet, je voulais discuter d’écologie, de la France, du travail politique des Verts… et l’on me parlait de Jean-Paul II. En toute confidence, les histoires débilitantes de religion irritent mon esprit en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ciseau, et rien de mieux pour perdre mon attention que de m’évoquer les délires collectifs par rapport au pape. Bref, j’étais bien peu disposé à m’intéresser d’emblée au sujet en question. Mais, au-delà les valeurs laïques des Verts mis à mal par l’inauguration de la Place Jean-Paul II, leur frustration face à l’événement s’avère finalement aussi le manifeste du malaise ambiant dans la majorité parlementaire du maire socialiste. Et à cet effet, le communiqué des Verts sur le sujet est assez équivoque :
« En juillet dernier, sur proposition du groupe UMP, Bertrand Delanoë, maire de la capitale (PS) a proposé au Conseil de Paris d’ajouter le nom de Jean-Paul II à celui du Parvis Notre-Dame. Cette proposition a été acceptée et votée par tous les élus de droite, certains élus PS et contre l’avis du reste de la majorité municipale (Verts, PCF, MRC, PRG). Les Verts sont opposés à cette décision.
Si, en 26 ans de pontificat, Jean-Paul II a joué à un rôle de premier plan dans la démocratisation de l’ancien bloc soviétique, il a aussi consolidé des murs pour l’humanité : par ses positions réactionnaires et irresponsables, il a légitimé, dans de nombreux pays, des politiques contre les minorités sexuelles, l’émancipation des femmes et la lutte contre le SIDA.
Les Verts ont toujours combattu la volonté papale, des églises et de tous les dignitaires religieux de dicter nos conduites et d’affirmer leur autorité sur le champ temporel.
Les Verts s’étonnent que les mêmes responsables politiques qui s’affirment bien souvent d’une laïcité de combat face au danger de « l’intégrisme musulman », avec une mauvaise foi sans limites, aient dans un même élan jugé nécessaire qu’une place parisienne porte le nom de Jean-Paul II. La laïcité a bon dos : inflexible, voire même excluante pour certains croyants, arrangeante pour le catholicisme. Les Verts dénoncent les faux laïcs, mais vrais tartufes.
Les Verts seront le 3 septembre à 12H sur le Parvis de Notre-Dame pour protester contre la décision prise par le conseil de Paris ».
Ce vote donc, du conseil municipal de Paris de donner le nom du pape défunt au Parvis de Notre-Dame, fut acquis grâce à une majorité jusqu’alors inédite, rassemblant les deux groupes de droite UMP et l’UDF… au groupe PS du maire Delanoë ?!? (Quelques-uns des conseillers PS ont étrangement préféré s’absenter). Les autres composantes de la majorité municipale, Radicaux de gauche, Mouvement républicain et citoyen (MRC), Verts et communistes ayant voté contre, c’était la première fois depuis 2001 que l’on constatait une telle cassure dans la majorité. Mais le fait le plus sarcastique dans cette histoire, est que, ce qui serait jugé impardonnable pour les Verts, soit briser la solidarité de la majorité municipale, ne l’est pas pour les socialistes avec leurs partenaires, semble t-il. Deux poids deux mesures donc. C’est à se demander la logique du PS pour jouer ainsi les limites de la coalition avec ses partenaires; est-ce que cela vaut vraiment la peine de risquer de perdre définitivement ses partenaires pour si peu ? Christ ! Il me semble logique que le fragile mandat de la gauche à Paris vaut plus que le nom d’un pape.
Par ailleurs, j’ai de la misère à croire que le PS n’a pas appréhendé les réactions possibles de son électorat naturel laïque de gauche, voire ici, celui de la communauté homosexuelle. En effet, bien que Delanoë définit lui-même son « comming out » comme étant un non-événement, il n’en demeure pas moins un remarquable symbole d’émancipation et de reconnaissance sociale pour la communauté gay. Toutefois, maintenant que le maire de Paris a glorifié la mémoire de Jean-Paul II, un pape qui a toujours tenu des positions extrêmement réactionnaires quant aux revendications des homosexuels, nous pouvons donc penser que le vote des homosexuels (très présent à Paris) ne lui sera désormais plus acqui. Franchement, le PS pensait-il vraiment faire un gain vers la droite religieuse par cette démarche « électoraliste » (ma foi, le PS de Paris a probablement embauché quelque part un des actuels soi-disant stratèges du PQ pour en arriver à cette déduction saugrenue) ? Ainsi, faute de raisons logiques pour expliquer cette nouvelle position insensée de Bertrand Delanoë, j’en arrive à penser qu’il est possible que des intérêts obscurs se retrouvent dans les coulisses de cette histoire (pots-de-vin, influence catholique quelconque sur le PS parisien, « deal » avec le gouvernement UMP national ???). Vraiment, je me pose des questions.
Et c’est quoi aussi cet empressement d’octroyer en moins d’un an le nom du dernier pontife mort au Parvis de Notre-Dame de Paris ? Normalement, histoire de mesurer le réel impact du décès d’un personnage public par rapport au temps, on attend plusieurs années après sa mort pour lui réserver cet honneur. D’autre part, avant de prendre une décision irréversible sur le sujet, n’y aurait-il pas eu matière de faire un débat sur le réel héritage de Jean-Paul II ? En effet, je ne crois pas que le catholicisme réactionnaire de Jean Paul II, dogme que son successeur Benoît XVI conforte toujours, a à être honoré par la ville de Paris… et nulle part ailleurs non plus. Et parlant de la Ville de Paris, est-ce vraiment du ressort de l’administration publique, donc laïque, d’octroyer des honneurs aux religieux, de surcroît, en leur léguant des noms appartenant au domaine public ? D’ailleurs, si Jean-Paul II avait été un pape si éminent dans l’histoire, le Vatican aurait très bien pu se charger lui-même de renommer la Basilique Notre-Dame… en Basilique Jean-Paul II. Après tout, les noms alloués à son patrimoine lui appartiennent.
Et que dire des positions arriérées de Jean-Paul II sur le sexe, prônant impérativement l’abstinence comme seul moyen de prévention des MTS, au mépris de la logique pour endiguer une épidémie de SIDA qui a fait jusqu’à présent 25 millions de morts. Considérant aussi que dans les pays ou la démographie explose au détriment des ressources disponibles et de la protection de l’environnement, l’usage du préservatif par ces populations serait à l’avantage de tout le monde (comme quoi, un simple dogme religieux peut avoir des répercussions négatives dans tous les domaines de notre monde). L’association Act-Up, un regroupement d’activistes de lutte contre le sida qui avait revêtu en 1993 l’obélisque sur la Place de la Concorde d’un géant préservatif rose de 30 mètres, rajoutera sa voix au concert des critiques. En effet, dans un communiqué pour les médias aux habiles jeux de mots, l’organisme n’ira pas de mains mortes avec le maire de Paris. « M. Delanoë, votre alliance électoraliste « contre-nature » est choquante pour toutes celles et tous ceux qui luttent contre le sida, pour les droits des femmes, pour l’avortement et la contraception et contre toutes les discriminations. Cet acte incompréhensible et indécent va à l’encontre de la « sacro-sainte » laïcité à laquelle nous tenons toutes et tous. »
Finalement, lors de l’événement, Act-Up aura vraiment passé des paroles à l’action. En effet, répondant à l’appel des Verts, ceux-ci, associés entre autres aux Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (travailleuses du sexe), à la Brigade Activiste des Clowns et au groupe des Panthères Roses (drags queens), auront magnifiquement réussi à perturber la cérémonie. Ces manifestants, accoutrés aux diverses parures équivoques de leur association respective, scandant furieusement maints slogans et jetant même des préservatifs en direction de la foule de dévots, auront obligé la police à intervenir pour terminer ce délire. Au total, c’est plus d’une cinquantaine de manifestants qui seront arrêtés. Il faut croire que j’ai raté un méchant gros party.
En se remémorant le bordel qu’ils ont instigué pour l’inauguration de la Place Jean-Paul II, les Verts ne peuvent s’empêcher de sourire en coin. En effet, au-delà du dommage politique que cette histoire aura causé à la cohérence de la gauche à Paris, c’est quand même bien fait pour le maire Delanoë. Effectivement, nous avons une révolution des transports à terminer à Paris; et le maire, notre plus grand allié sur ce projet, est allé subitement frayer avec la droite catho. Quel manque de jugement ! J’espère que nous oublierons tous bientôt ce pathétique épisode. Malheureusement, histoire de nous rappeler cet incident, la mémoire de Jean-Paul II est dorénavant forgée devant la cathédrale Notre-Dame… carrément en plein centre de Paris.
Morale : oui, un nom n’est qu’un nom. Mais bien que le nom ne soit pas important en soit, ce qu’il représente, lui, est un repère collectif balisant les murs de l’histoire. La cristallisation du nom de Jean-Paul II au centre de Paris, confirme l’évolution de Paris dans la direction du regard que portait le défunt pontife sur l’humanité. Et ça, pour les progressistes, c’est une défaite politique majeure. Bravo monsieur Delanoë, nous vous remercions pour votre clairvoyance.
Tel entre pape au conclave qui en sort cardinal
– proverbe français