Quand le wokisme pousse la fenêtre d’Overton vers la droite
Dans son récent article, Jonathan Durand Folco propose une réflexion approfondie sur la stratégie que devrait adopter la gauche face à la montée de ce qu’il appelle « l’anti-wokisme ». Bien que son analyse soit digne d’attention, il est clair que son point de vue est influencé par ses intérêts partisans à Québec solidaire, ce qui crée des angles morts dans sa réflexion. Il est donc nécessaire d’adopter une perspective différente, en tenant compte du déplacement de la fenêtre d’Overton et de l’impact de la radicalisation du discours woke sur le paysage politique actuel.
La fenêtre d’Overton, concept clé en sciences politiques, représente l’éventail des idées considérées acceptables par l’opinion publique à un moment donné. Durand Folco souligne à juste raison que cette fenêtre s’est déplacée vers la droite depuis quelques temps, normalisant ainsi des propos autrefois jugés extrêmes. Toutefois, il omet de considérer que ce déplacement est en partie une réaction à la radicalisation et au dogmatisme de certains courants du mouvement woke.
Dans une société démocratique, l’équilibre des idées est essentiel, tout comme le débat démocratique qui en découle. Lorsqu’un des pôles idéologiques se radicalise au point de condamner toute remise en question, il est fréquent que l’opinion publique tende à se rééquilibrer en se tournant vers l’autre extrême. Ainsi, une idéologie perçue comme clivante ou polarisante peut engendrer une réaction inverse, poussant une partie de la population à adopter des positions contraires.
La récente réélection de Donald Trump illustre bien ce phénomène. Face à un discours woke parfois jugé excluant ou moralisateur, de nombreux électeurs modérés ont choisi de se tourner vers un candidat incarnant une opposition directe à ces idées. Cela a ainsi contribué à justement déplacer la fenêtre d’Overton vers la droite, rendant des positions conservatrices plus acceptables aux yeux du grand public.
Il est crucial de reconnaître que le débat public souffre lorsque les échanges sont dominés par des positions extrêmes qui laissent peu de place à la nuance, tel que le bipartisme actuel aux États-Unis semble vouloir nous enfoncer. L’étiquetage rapide des tenants de toute divergence d’opinions comme étant de l’extrême droite ou raciste par des tenants du wokime ne fait qu’amplifier les divisions et inhibe le dialogue constructif. Or, cette tendance à la stigmatisation peut décourager la participation de citoyens modérés qui ne se reconnaissent ni dans les positions radicales de la droite ni dans celles de la gauche woke.
Un exemple récent au Québec illustre bien cette dynamique. Le député Haroun Bouazzi a suscité la controverse en accusant ses collègues de l’Assemblée nationale de racisme de manière répétée et sans fondement, ce qui a conduit à une condamnation unanime de ses propos par les autres partis politiques. Cette situation montre comment des accusations irresponsables de racisme peuvent polariser le débat public et éloigner les citoyens modérés des discussions politiques, tout en fournissant un exemple concret de rééquilibrage de la fenêtre d’Overton vers le centre par l’Assemblée nationale, ce qui, pour Durand Folco… correspond ici à un déplacement vers la droite.
Dans ce contexte, il est essentiel pour la gauche de réévaluer sa stratégie. Plutôt que de chercher à radicaliser davantage le discours en espérant déplacer la fenêtre d’Overton vers l’extrême gauche, ou de chercher à s’enfermer davantage dans une chambre d’écho, il serait plus judicieux de viser un point d’équilibre au centre. C’est là que se trouve la majorité démocratique, où une diversité d’opinions peut coexister et où les intérêts de la société dans son ensemble peuvent être mieux représentés.
Une approche inclusive de centre gauche permettrait de rassembler un plus grand nombre de citoyens autour de projets progressistes, sans les aliéner par un discours perçu comme moralisateur ou excluant. Par exemple, le retour à une politique sociale-démocrate, telle que celle promue par Paul St-Pierre Plamondon au Parti Québécois, pourrait être une voie à suivre. En privilégiant des solutions pragmatiques aux problèmes sociaux et économiques—comme la réconciliation travail-famille, la lutte contre l’inflation et la défense des intérêts de la classe moyenne et ouvrière—la gauche pourrait regagner la confiance de l’électorat modéré.
Il est également important de souligner que le déplacement de la fenêtre d’Overton ne résulte pas uniquement de l’action d’un camp politique en particulier. La normalisation de certains discours conservateurs est facilitée lorsque les voix modérées de l’autre camp sont étouffées ou marginalisées. En encourageant le débat interne et en acceptant la pluralité des opinions au sein de la gauche, il est possible de contrer efficacement les idées extrêmes sans renforcer involontairement leur attrait. De là justement l’importance démocratique de laisser dans l’espace public une place à une gauche capable de remettre en question les dogmes imposés par le wokisme (allo Radio-Canada!), une idéologie colonisatrice venue des États-Unis, qui s’inscrit justement en opposition avec la gauche traditionnelle telle que nous l’avons connue auparavant.
Enfin, il convient de reconnaître que la diabolisation systématique des adversaires politiques nuit à la qualité du débat démocratique. L’exemple de Haroun Bouazzi, qui a construit sa carrière politique sur des accusations de racisme lancées à tout vent contre toute opposition à ses revendications communautaristes, illustre bien ce phénomène. En accusant ceux qui expriment des préoccupations légitimes sur des sujets complexes d’être animés par des intentions malveillantes, on risque de renforcer les sentiments de méfiance et de division au sein de la société.
En conclusion, pour éviter que la fenêtre d’Overton ne se déplace davantage vers la droite, il est impératif que la gauche adopte une posture plus inclusive et démocratique. Cela ne signifie pas renoncer à ses principes fondamentaux, mais plutôt les promouvoir de manière à rassembler plutôt qu’à diviser. Tenter de combattre la montée de ce que Jonathan Durand Folco qualifie d’ « anti-wokisme » en cherchant à tirer la fenêtre d’Overton vers l’extrême gauche serait non seulement inefficace, mais ironiquement contre-productif.
Alors, j’en conviens Jonathan… il serait judicieux de réfléchir à notre propre tendance à « diaboliser l’autre » (notamment ceux qui osent s’opposer au wokisme) pour se dédiaboliser soi-même. En évitant ce piège, la gauche peut regagner du terrain et contribuer à un débat public plus équilibré et constructif. Le véritable progrès ne réside pas dans la polarisation, mais dans notre capacité à unir des idées divergentes et à les transformer en un projet collectif porteur d’avenir.
L’intolérance est elle-même une forme de violence et un obstacle à la croissance d’un véritable esprit démocratique
– Mahatma Gandhi