La couverture médiatique sur les sous-marins militaires et le naufrage du Koursk
Accident « rarissime » survenu début février dans l’Atlantique Nord, deux sous-marins nucléaires (britannique et français) sont entrés en collision. Évidemment, la situation aura ramené à nos esprits les risques inhérents à truffer les océans de sous-marin remplis de missiles nucléaires. Mais bon, il faut réaliser que l’utilisation des SNLE (sous-marins nucléaires lanceur d’engin) est le pinacle contemporain en matière de dissuasion militaire. Or, l’objectif des SNLE étant d’être les plus discrets possible (les SNLE ne sont pas des chasseurs: ils se cachent au fond des mers afin de pouvoir lancer leurs missiles de «n’importe où»), allons savoir ce qui peut réellement se tramer entre les puissances nucléaires. Alors, quand il est question du sujet de l’ultime défense nationale, il faut comprendre que nos médias ne pourront jamais être sûrs de savoir de quoi il en retourne à 100%. En ce sens, à juste raison, les sous-marins nucléaires alimentent allègrement les pires côtés paranoïaques de notre imaginaire collectif.
D’ailleurs, à quel point cette collision ne pourrait pas être simplement une opération médiatique afin de rappeler au monde les forces nucléaires que sont toujours le Royaume-Uni et la France? Dans le fond, qu’est-ce que nous en savons vraiment sur cette collision?
Ce qui m’amènera donc, aujourd’hui, à revenir sur le naufrage du sous-marin Koursk. Rappelons-nous, en août 2000 dans la mer de Barents, que le plus sophistiqué des SNLE russes coula avec ses 118 membres d’équipage. Or, qui peut dire ce qui s’est réellement passé avec le Koursk?
Le Koursk : Un sous marin en eaux troubles
Pendant près d’un an, le mystère entourant ce naufrage baigna mondialement dans la confusion et le secret. Puis, via les nouvelles et quelques reportages, les médias nous présentèrent ce qui deviendra très vite la version officielle : soit la thèse de l’explosion accidentelle d’une torpille due à la fuite de son liquide propulseur. (La sorte de torpille mise en cause utilise un comburant de peroxyde liquide, qui mis en contact avec l’eau de mer, doit produire une énorme quantité de gaz afin de propulser les hélices).
Pour ma part, je découvre cette théorie via l’émission Découverte à la SRC; et ma foi, tout cela m’est exposé avec un ton scientifique fort convaincant. De la sorte, j’adhèrerai alors à cette thèse, qui nous présente au passage une marine russe négligente utilisant des armes archaïque. (En fait, le Koursk a été mis en service en 1994 et était à la fine pointe de la technologie militaire).
Cinq années plus tard, je découvre cependant à Paris un film d’investigation français qui met en lumière des faits troublants sur ce naufrage : Koursk : Un sous marin en eaux troubles. Révélant des faits totalement occultés par les médias de masse, le réalisateur Jean-Michel Carré élabore ainsi une hypothèse impliquant les États-Unis dans cet événement… et met en perspective les nouveaux enjeux stratégiques entre la Russie, les États-Unis et la Chine. Car, fait singulier, le naufrage s’est pratiquement déroulé pendant des manœuvres militaires à la surface du Koursk. Or, selon Carré, ces manœuvres avaient pour objectif commercial de promouvoir la torpille Schkval à l’amirauté chinoise.
« Et si le Koursk avait été coulé volontairement par les Américains ?
Parce que la vente du Shkval aux chinois aurait vulnérabilisé d’un seul coup la flotte américaine (les portes-avions) dans l’océan Pacifique devant ses derniers, l’armée américaine suivait donc ce dossier de près… de très près même! À cet effet, afin de manifester leur opposition au transfert technologique russo-chinois, les sous-marins américains Memphis et Toledo auraient donc été dans la mer de Barents au moment des dites manœuvres. Si bien que pendant la démonstration, suite à une collision accidentelle entre le Toledo et le Koursk, le Memphis aurait lancé une torpille contre le Koursk afin de protéger la fuite du Toledo endommagé. Ainsi, c’est cette attaque qui aurait provoqué la catastrophe.
Les États-Unis seraient donc responsables du naufrage du Koursk ; et au nom de la raison d’État, Vladimir Poutine aurait volontairement laissé mourir les survivants (La vérité aurait rendu impossible un rapprochement avec les États-Unis, et pire elle aurait pu déclencher un conflit mondial).
Cette thèse s’appuie donc, sur les faits suivants :
• le refus de la Russie d’une aide étrangère pour remonter le Koursk ;
• les déclarations sur l’état de la mer qui aurait retardé les secours ;
• les premières déclarations des responsables militaires russes, qui ont mis en cause les États-Unis ;
• l’apparition, trois jours après le drame, du Toledo dans le port de Håkonsvern en Norvège, et le refus des autorités américaines de le laisser inspecter par des non-Américains, certains ont écrit qu’il était endommagé ;
• le voyage secret à Moscou du directeur de la CIA trois jours après le naufrage ;
• la décision de laisser le compartiment des torpilles détruit au fond de la mer sans enquête ;
• un trou circulaire dans l’épave du Koursk provoqué par l’entrée d’un objet extérieur ;
• la censure des messages issus des cadavres de sous-mariniers ;
• le fait que les restes du Koursk ont été fondus et détruits après l’inspection ;
• l’annulation d’une dette russe à l’égard des États-Unis peu après l’accident et l’autorisation donnée à la Russie de contracter un nouveau prêt ;
Mais au-delà cette enquête sur les secrets et les mensonges entourant le drame, le film s’avère aussi un regard sur l’ascension politique de Vladimir Poutine. En effet, il s’avère que le naufrage du Koursk est intimement lié à la mise en place du «système Poutine» en Russie. Or, prenant justement assise dans un contrôle de la presse indépendante durant l’épisode du naufrage, ce système tend à redonner à la Russie sa stature de super puissance.
Pub électorale de Vladimir Poutine à la télévision d’État
Médiocratie sous-marine
En conclusion, la thèse de Carré s’avère incroyablement audacieuse. Or, bien qu’il y a beaucoup à redire sur ce film, il se dégage tout de même l’évidence d’un monumental mensonge d’État à travers des négociations secrètes. En ce sens, ce film nous fait prendre conscience que les mensonges d’États sont servis par des médias complices, manipulés, stupides, incompétents ou le tout à la fois.
D’ailleurs, au petit Québec, personne n’osera parler de ce film; car comme l’a si souvent exprimé mon ami Patrick Lagacé, les complot ne peuvent exister (même si par définition, un sous-marin est justement développé pour servir des complots). Ensuite, plutôt que de nous faire réfléchir sur le rôle fondamental des SNLE, Riri Martineau exigera des systèmes anticollisions sur tous les sous-marins nucléaire (!!!). Non, mais que d’imbécilité crasse… Ne me dites pas que Martineau soit trop stupide pour réaliser que l’objectif d’un sous-marin militaire est d’être indétectable?
Comme quoi, les médias au Québec, c’est souvent n’importe quoi. Heureusement, nous avons toujours Internet. Alors, je vous présente en grande primeur, le documentaire en question.
Koursk : Un sous marin en eaux troubles est un documentaire de Jean-Michel Carré, sorti en 2004.
Il plonge dans les circonstances sombres et mystérieuses entourant le naufrage du sous-marin Koursk.
Dix minutes de nouvelles télévisées ou un documentaire sur l’un des holocaustes de ce siècle invalident tous les traités d’éthique cogités depuis l’invention de l’alphabet
– Marc Gendron
J’ignorais ta passion pour les sous-marins Carl! C’est vraiment un sujet intéressant; personnellement ça m’avait secoué l’histoire du Koursk; merdre des marins qui sont là et qu’on ne peut même pas aider et qu’on laisse crever… Triste à en mourir.
p.s. Bonne chance pour demain.
Louis-Philippe Lafontaine| lire ici le dernier article de son blogue: Émission de radio du 27 février 2009
Enquête
Une collision, en toute discrétion
LE MONDE | 26.02.09 | 14h54 • Mis à jour le 26.02.09 | 20h43
Les sous-mariniers ont longtemps illustré la perfection technologique des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) par cette maxime : « On entend tout et personne ne nous entend. » Si la deuxième partie de cette affirmation a été partiellement confirmée, la première a été démentie lorsque le SNLE français le Triomphant est entré en collision avec son alter ego britannique HMS Vanguard, entre le 3 et le 4 février, quelque part dans les profondeurs de l’Atlantique.
Les deux bâtiments se sont heurtés de front, à faible vitesse, celle habituelle des patrouilles, entre 5 et 8 noeuds. S’il n’est pas sûr que l’onde de choc ait été ressentie par les 111 marins se trouvant dans la coque de 138 mètres de long, ses effets, en revanche, ne sont pas près de s’atténuer, des états-majors jusqu’à l’Elysée. Le Triomphant transportait 16 missiles stratégiques M 45 à têtes multiples, dont la portée avoisine 6 000 km. Il y avait ainsi à bord 96 têtes nucléaires de 150 kilotonnes (ou moins) chacune, une puissance équivalente à 1 000 fois celle d’Hiroshima. En face, le Vanguard disposait d’un arsenal comparable. Cet accident, qui soulève inévitablement des questions sur la fiabilité et la crédibilité de la dissuasion nucléaire, n’aurait jamais dû se produire. La probabilité d’une rencontre entre les deux submersibles « était bien plus faible que la collision du 10 février entre les satellites américain et russe », assure-t-on à l’état-major de la marine.
Le 6 février, lorsque le Triomphant rentre à Brest, la thèse officielle est celle d’un choc avec un conteneur. Le Triomphant a rapidement fait surface mais, dans un rayon de 7 milles nautiques, la mer est vide ! Il faudra attendre les révélations du quotidien populaire britannique The Sun, dix jours plus tard, pour que la Marine nationale reconnaisse que les deux SNLE « sont entrés brièvement en contact ».
Entre-temps, le Vanguard a regagné sa base écossaise de Faslane, et les Britanniques ont suggéré aux Français l’idée d’une collision. Cette succession d’explications alimente les doutes, mettant à mal celle de la coïncidence. La vieille rivalité avec « Albion » n’a-t-elle pas conduit les commandants des deux SNLE à l’imprudence ? Se pistaient-ils ? Effectuaient-ils un exercice commun qui aurait mal tourné ?
Bien que les consignes de mutisme imposées aux responsables de la marine empêchent de faire toute la lumière, ces thèses, pour l’essentiel, ne résistent pas à l’examen. S’il est vrai que les chances d’une collision entre deux SNLE au milieu de l’Atlantique sont infimes, la probabilité s’accroît pour deux bâtiments naviguant aux abords du plateau continental : le Triomphant rentrait d’une patrouille et, selon des informations non confirmées, le Vanguard en commençait une.
Contrairement aux sous-marins nucléaires d’attaque, dont seule la propulsion est nucléaire, la mission d’un SNLE n’est pas de « chasser » ou de recueillir du renseignement, mais de rester indétectable, afin de pouvoir lancer ses missiles nucléaires. Son commandant a pour consigne de « diluer » son bâtiment dans l’océan, et même l’amiral commandant la Force océanique stratégique ignore où il est. C’est pour cela que le submersible n’émet rien : ni fréquence, ni ondes, et en principe, ni bruit, ni vibration. Ce mastodonte de 14 120 tonnes de déplacement est conçu pour se confondre avec le bruit de la mer. En plongée, un SNLE ne fait qu’écouter, grâce à son sonar passif, aux centaines d’hydrophones dont est bardée son antenne, et aux « oreilles d’or », deux spécialistes de la reconnaissance acoustique.
Au fond, résume un amiral, l’improbable collision du Triomphant et du Vanguard « est l’histoire de deux SNLE ayant atteint un niveau tel de discrétion acoustique qu’ils ne se sont, mutuellement, pas détectés ». Le hasard a voulu qu’ils soient face à face – une circonstance aggravante, puisque leurs capacités de détection vers l’avant sont faibles – et dans une tranche d’immersion identique.
La discrétion acoustique est influencée par des facteurs tels la pression, la température et la salinité de l’eau, la présence de micro-organismes et celle de vents en surface. Tout commandant de SNLE, explique un ancien patron de la Force océanique stratégique (FOST), « recherche en permanence la couche d’eau qui sera la plus opaque à la diffusion des sons ». Cette obsession de l’immersion optimale expliquerait la proximité du Triomphant et du Vanguard.
Toujours est-il que cet accident interdit tout statu quo. La Marine et la Royal Navy doivent « réfléchir », comme l’a dit Hervé Morin, ministre français de la défense, à leurs zones respectives de patrouille. Or, par nature, la dissuasion ne se partage pas. « C’est la sanctuarisation nationale absolue ; la dissuasion n’a pas d’amis », rappelle un ancien commandant de SNLE.
La France et la Grande-Bretagne ne coordonnent donc pas les patrouilles de leurs SNLE. Contrairement à ce qui existe pour les sous-marins classiques dans le cadre de l’OTAN, qui évoluent dans des « boîtes » gérées par le « Water Space Management », les SNLE ne partagent avec personne leur liberté de patrouille. L’idée de « patrouilles communes », évoquée il y a plusieurs années, a été vite abandonnée.
« On imagine mal un SNLE patrouillant pour le compte d’un autre pays, souligne un ancien commandant de la FOST, parce que cela voudrait dire que le premier ministre britannique pourrait ordonner un tir nucléaire à un SNLE français ! » Cette ligne rouge n’interdit pas les échanges : les SNLE britanniques Victorious et Vengeance se sont rendus à l’Ile longue en février 2000 et mars 2007, et l’Inflexible a effectué à deux reprises une escale à Faslane.
« A chaque fois, explique cet ex-patron de la FOST, des couloirs assez larges avaient été réservés, sur plusieurs jours, aux SNLE britanniques. On peut s’inspirer d’un tel système et mettre en place des « couloirs » pour les approches de nos bases respectives. » Un autre amiral renchérit : « On doit pouvoir mettre au point entre nos deux marines un niveau d’information et de confidentialité sur les patrouilles de SNLE, qui respecte nos impératifs en matière de dissuasion. »
Certains signes montrent que la coopération franco-britannique dans ce domaine ultrasecret est plus étroite que ne le reconnaissent les deux capitales. Mais les accords de Nassau de 1962 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis – qui lient les dissuasions des deux pays – limitent a priori la marge de manoeuvre de la France.
La collision du Triomphant et du Vanguard pourrait constituer un choc salutaire : en ressuscitant partiellement la notion de « dissuasion concertée » évoquée par Alain Juppé en 1995, elle pourrait inciter la France et la Grande-Bretagne à faire évoluer le tabou de la souveraineté nationale et – qui sait ? – leur permettre d’ouvrir le dossier de l’européanisation de la dissuasion.
Laurent Zecchini
Il y a un point que tout le monde oubli quand vient le temps de discuter de l’accident du Koursk. Son équipage a été choisi parmi la crème des écoles navales russes. Cette élite étaient composée essentiellement de fils de hauts fonctionnaires, de députés ou de hauts gradés de l’armée. Je sais que les russes ont un esprit de sacrifice assez élevé, mais pas à ce point. De plus, les hautes sphères du pouvoir russe aiment leur position et je ne crois pas qu’une centaine de personne laisseraient mourrir leur fils pour la raison d’État.
Pour la cause de l’accident, je ne crois pas en la théorie de l’attaque américaine. Premièerement, car il n’y a pas un sous marin américain qui entre dans la mer de Barents qui n’est pas lui même suivi par un sous marin russe. À la blague, je dirais que derrière chaques SNLE russe il y un sous marin d’attaque américain (SMA) qui est lui même suivi par un SMA russe. Si un tel SMA américain se trouvait dans les parages, il aurait été sommé de quitter rapidement la zone, surtout en sachant que la mer de Barents est le terrain de jeu de la Flotte du Nord, la plus grosse flotte de sous marins au monde.
Alek
Aleksandre Lessard| lire ici le dernier article de son blogue: Un appel à la nation Hockey de Miss Miller