Mes retrouvailles avec la mante religieuse
La fin de semaine dernière vers une heure du matin, revenant d’une soirée au pub St-Élisabeth avec ma copine Anne-Marie, nous nous trouvions en transit pour prendre une «White Velvet» au Yer Mad. C’est alors qu’à l’intersection des rues Maisonneuve et Berri, j’aperçois un gros insecte maladroitement voleter… insecte qui ira carrément s’échoir en plein milieu du carrefour mentionné. A priori, si je pensais à un papillon nocturne, le vol maladroit de l’insecte me suggère toutefois une autre sorte d’espèce. La curiosité m’empare donc; cependant, il me faudra attendre le passage d’une première série de voitures circulant sur Maisonneuve avant d’entamer l’opération de sauvetage; et miraculeusement, l’insecte ne se fera pas écraser durant cette vague de voiture. À la faveur d’un feu de circulation changeant, je m’engagerai ainsi en direction de l’insecte (préalablement, il s’entend, en effectuant de la main droite un signe d’arrêt aux automobilistes sur Berri). C’est donc ainsi que je découvrirai une mante religieuse ?!?
Pour des raisons évidentes de morsure, il n’était pas question ici de précipiter un geste pour l’attraper… mais puisque je m’étais donné que 5 secondes pour capturer l’insecte, je me devais de jouer rapidement. Subséquemment, j’ai de facto offert mon index à la mante en lui disant : « Monte sur moi si tu veux vivre »; ce qu’elle fit illico. Sur le coup, Anne-Marie avait une tout autre perspective des choses que le sauvetage d’un insecte inusité. En effet, selon son témoignage, les automobilistes, à qui j’aurai imposé ces quelques secondes d’arrêts, n’auront jamais compris ce que je suis allé faire en plein milieu du carrefour (mais bon, vous savez quoi, je suis habitué à ce que les gens ne comprennent pas le sens de mes actions). Puis, une fois l’émotion de la découverte passée, nous nous sommes demandé comment ramener notre nouveau compagnon de route. Or, la mante étant un insecte assez balourd (puisque ses ailes sont étroites par rapport à son poids), je sais qu’elle ne s’envole seulement que par nécessité. Si bien que je prendrai le pari de la laisser sur moi. D’autre part, puisque la mante est un insecte diurne, cette dernière n’est pas censée être active de nuit. D’ailleurs, voilà qui nous amène à la question sous-entendue : mais que faisait donc une mante religieuse la nuit en plein milieu du centre-ville à une heure du matin ? Il faut croire que le spécimen mentionné fut dérangé dans son sommeil, probablement à cause de la luminosité ambiante qu’il lui faisait croire au jour.
Et l’autre question inhérente maintenant : est-il inhabituel de croiser une mante religieuse en pleine ville? Franchement, même si ce n’est que la deuxième fois que je vois cet insecte à Montréal, je ne suis pas près d’affirmer pour autant que l’insecte est rare; mais simplement qu’il est difficile à voir. En effet, la forme de leur corps et leur coloration constituent un excellent camouflage dans les herbes et les buissons, où, immobiles, elles attendent patiemment leurs proies qui passent à leur portée. Selon cette théorie, la rareté de la mante religieuse serait plutôt due au fait qu’elle ne nous est pas apparente. Toutefois, encore faut-il que ce gros insecte gourmand puisse trouver des proies en abondance. Or, justement, il y a un grand jardin à quelques mètres de l’endroit où j’ai trouvé la mante, vous savez, celui derrière la bibliothèque nationale.
Les retrouvailles
Sincèrement, en plein milieu du trafic ainsi, je n’aurais jamais risqué de prendre un insecte m’étant inconnu. À première vue, peut-être vous paraitra-t-il téméraire de manipuler un hyper prédateurcomme la mante religieuse; mais sincèrement, cet insecte est fondamentalement inoffensif pour les humains (je rajouterais même qu’elle nous est particulièrement amicale).
Ni pour les souris. (D’ailleurs, je pense que la mante est le seul insecte pouvant manger un mammifère)
Non plus pour les petits serpents
Un prédateur parfait
D’autre part, il est vrai aussi, je connaissais d’emblée le comportement de la mante pour en avoir élevé un spécimen durant quelques mois en 1995. Or, voilà justement un trait particulier avec les insectes : une fois que vous avez discerné le comportement d’une espèce donnée, vous connaissez de facto le comportement de tous les individus de l’espèce concernée. En effet, vraisemblablement, l’intelligence des insectes ne serait qu’instinctive, c’est à dire acquise par les principes régissant la sélection naturelle. Subséquemment, s’il peut être attristant de constater l’absence d’individualité comportementale chez les insectes, il n’en demeure pas moins qu’à chaque nouveau contact avec une espèce définie, vous avez toujours l’impression d’être avec les mêmes individus. Si bien que dans notre cas présent, je connaissais « personnellement » la mante. Ainsi, pour revenir à notre histoire, en exposant dans le trafic mon doigt à la mante religieuse, je savais que cette dernière ne se ferait pas prier pour y monter d’elle-même.
En passant, je ne considère pas les insectes comme un ensemble unique; un ensemble auquel il faudrait toujours avoir le même sentiment. Effectivement, en fonction de ce que je connais sur une espèce d’insecte donnée, j’y ajuste spécifiquement ma relation avec cette dernière. (Logiquement, vous comprendrez qu’en considérant chaque espèce d’insecte au cas par cas, cela m’amène en contrepartie à déprécier les ignares sans discernement mettant toutes les « bibittes » dans le même tas).
Ici, vous aurez donc compris… il est vrai, j’affectionne particulièrement la mante religieuse; d’autant plus que j’ai une relation historique avec cette espèce. En effet, ma rencontre initiale avec la mante, bien que timide, remonte à mon enfance. Formellement, une mante religieuse avait trouvé demeure en la serre de mes grands-parents à Verchères. Très intimidé par cet insecte régentant sans complexe le petit monde de la serre, je n’avais jamais osé créer un contact physique avec elle. Puis, parce que mes grands-parents m’interdisaient l’élevage d’insectes sur leur propriété, c’était finalement en catimini que je devais faire mes observations entomologiques. De toute façon, à chaque fois que j’essayais de retrouver cette mante dans la micro jungle de la serre, c’était aussi difficile que de trouver Charlie dans son livre-jeu. En définitive, dans ce cas-ci, ce fut simplement l’histoire d’un premier contact.
« Notre » deuxième rencontre fut plus intime. À ce moment, spécifiquement en août 1995, je me trouvais en route pour aller signer le bail de mon premier vrai logement. Ainsi, sur un mur de brique, à quelques mètres de la voie ferrée du CP rail à Rosemont, j’ai revu la mante religieuse. Cette fois-là toutefois, je capturai l’insecte pour la ramener vivre à mes côtés. Il faut dire qu’à cette époque, je militais intensément pour le OUI (référendum de 1995), or, je vivais pratiquement à l’extérieur de mon logement. Si bien que le soir rentrant, la mante devint rapidement mon animal de compagnie (d’autant plus que ce nouvel appartement n’était pratiquement pas encore meublé). Par ailleurs, dans ce contexte, je trouvai approprié de donner un prénom à la mante… celui d’une de mes copines qui venaient alors de me broyer le cœur. À cet effet, quand ma mante mourut quelques jours après la date fatidique du 30 octobre 1995, mon ami Thierry lui peintura un tableau en son souvenir. Il va sans dire, son œuvre fut inspirée de mon fantasme d’associer cet insecte particulier à la « croquante » nature sexuelle des femmes.
On s’étonne que la mante religieuse dévore quelquefois son mâle après l’amour. Il ne manque pourtant pas de femmes qui en font autant 😉
L’Élevage de la mante religieuse
Mais bon, peu importe la signification que vous pouvez développer avec la mante religieuse, cet insecte demeure en captivité, à mon avis, l’arthropodele plus intéressant à élever. Admirable, impressionnante, interactive, vous pouvez en plus développer un certain contact physique avec la mante. En effet, relativement statique et paresseuse, la mante religieuse peut sagement demeurer de long moment accrochée à vous.
Puis, détenant une impressionnante vision pour un insecte, la mante réagit avec intérêts au moindre mouvement autour d’elle. (D’ailleurs, pas plus loin que cette semaine, je me suis aperçu que ma nouvelle mante arrive à discerner les insectes à travers la vitre de son vivarium). Cependant, ne vous en faites pas, si cette dernière attaque à la vitesse de l’éclair avec ses pattes ravisseuses, elle ne s’exécute qu’après une certaine réflexion sur la nature du mouvement. D’autre part, du fait de leurs yeux composés, le cerveau des insectes ne discerne pas, visuellement, la nature des formes immobiles. De la sorte, un insecte immobile (comme la mante) ne peut-être perçu par la vision des autres insectes. Et je confirme ici, pour avoir donné des centaines d’arthropodes à mes mantes, les proies sont pratiquement incapable de discerner la présence de la mante… qui s’approche de ses proies comme une brindille soufflée par le vent.
Toutefois, s’il existe un type d’œil fait spécialement pour détecter le mouvement, c’est bien l’œil composé que possèdent les insectes. En comparaison avec l’œil humain qui transmet au cerveau environ 24 images par seconde, un œil à facettes d’insecte transmet au système nerveux de l’insecte 200 images par secondes, c’est à dire environ 8 fois plus. Donc, si un seul de ces yeux minuscules perçoit un mouvement, l’insecte réagit. Son champ visuel est d’environ 360° (contre environ 150° pour l’homme) et ils peuvent ainsi voir derrière eux, ce qui permet donc aux insectes d’avoir une très bonne vision binoculaire et une excellente appréciation des distances.
En définitive, la mante religieuse peut demeurer sur vous, car elle est en confiance : dans son monde, par son camouflage, elle est invisible. Puis, demeurant patiemment à l’affut, votre avant-bras s’avère aussi pour elle une excellente position d’observation; d’autant plus si à ce moment, vous lui donner un renforcement positif avec une petite gâterie. Ah, là je vous devine perplexe… probablement que vous vous demander comment nourrir ce petit monstre.
Évidemment, vous n’êtes pas obligé de nourrir la mante à la main; formellement, elle mangera d’elle-même tout ce que vous déposerez de vivant dans son vivarium. Mais si l’expérience vous dit de rapprocher votre contact avec la mante, j’ai un petit truc à vous faire part. Pour ma part en effet, j’utilise une brochette comme outil tout usage pour travailler dans mes vivariums d’insectes. Or, cet outil est excellent pour approcher une proie de la mante (sans risquer de vous faire « snapper » les doigts). D’ailleurs, je réussis même ainsi à faire manger des cadavres frais à la mante, simulant des mouvements à l’insecte mort via la brochette.
Voir ici mon vidéo : comment nourrir une mante « à la main »
Son instrument de mort est donc ses pinces. Et vous constaterez, la mante n’a absolument rien qui n’inspire pas confiance. Elle ne manque pas de gracieuseté, avec sa taille fine et son élégant corsage d’un vert tendre. Ici, pas de menaçantes mandibules ouvertes en cisaille, mais plutôt un fin museau pointu. Le contraste est grand entre l’ensemble du corps délicat et la meurtrière machine que sont ses pattes antérieures. La hanche est d’une longueur et d’une force unique. Son rôle est de lancer vers l’avant le piège… qui n’attend pas nécessairement la victime. Un peu de parure embellit donc le traquenard.
De la sorte, si vous savez combler son insatiable gourmandise en divers insectes vivants, vous trouverez en la mante religieuse une agréable compagne. Ensuite, si vous vous mettez à vraiment observer cette singulière compagne, vous constaterez qu’à la faveur d’un cou flexible, sa tête peut pivoter. Or, seul parmi les insectes, la mante dirige son regard ; elle inspecte, elle examine. Si bien que ses expressifs hochements de tête en votre direction et ses minutieux lavements vous évoqueront certainement la sympathie, voire, des reflets d’intelligence. Pour ma part, il va sans dire, les particulières expressions de la mante me rappelle indéniablement mon ancienne compagne de 1995… exactement comme si l’individu que j’avais jadis connu n’était jamais disparu.
Prête ta plus belle lance à un vrai guerrier et il reviendra te voir après la chasse – Dominique Sylvain (Extrait de Manta Corridor)
Merci pour ce partage.
Je suis aussi un amoureux des mantes.
J’en ai actuellement deux à la maison.
Frédéric
Bonjour
je souhaiterai savoir si c’est vous qui avez fait le dessin de la femme mante religieuse proposant de déjeuner?
merci de votre réponse
cordialement
Bonjour Carl, je voulais juste mentionner qu’il m’est arrivé une aventure similaire il y a 2 ou 3 ans. Après avoir capturé et dicidé de garder en captivité une mante vers la fin de l’été, elle a pondu une oothèque que j’ai placé dans un cabanon dehors pour l’hiver. Bien que la génitrice ait succombé de par l’horloge biologique, j’ai récupéré la progéniture au printemps, que j’ai placé dans un pot fermé afin d’attendre l’éclosion. Après plusieurs semaines d’observation, il ne se passa rien, d’où j’en conclu qu’il s’agissait soit d’une portée non fertilisée, soit d’une progéniture morte (trop froid? trop sec?). Néanmoins, le pot fut laissé là, et à ma grande surprise je découvris vers le milieu de l’été le fond du bocal rempli de petites mantes mortes… 🙁
– Morale: si cela vous arrive, perceverez !
Ah, je voulais aussi ajouter qu’un autre arthropode est capable de dévorer un mammifère, soit l’infraordre Mygalomorphae, ou plus simplement les mygales. Mais bon ce ne sont pas à proprement parler des insectes.
Merci pour ce superbe artcile sur la mante religieuse
magnifique
JONAVA
JONAVA| lire ici le dernier article de son blogue: THIS SCRIPT IS NO LONGER SERVING DATA. UPDATE YOUR PLUGIN
Je trouve ton sauvetage de mante super! Je suis une fan d’insectes de tout genre. Mais présentement j’ai un bébé mante en captivité et j’ai remarqué qu’elle a une pince de cassée…? Je ne sais pas si elle est tombée, mais j’aimerais savoir, si lorsqu’elle va effectuer sa mue, est-ce que sa patte sera toujours brisée ? Ou est-ce qu’il est possible que celle-ci se rétablisse…? J’aimerais aussi avoir des infos sur la mue, je n’ai rien trouvé d’intéressant sur internet, et comme tu as l’air de t’y connaître…!!
Oui Anne, j’ai mis l’oothèque dehors sur le balcon pour assurer le synchronisme naturel des prochains bébés.
Si tout se déroule comme convenu, je vais ainsi me retrouver avec une myriade de mantes à nourrir au printemps prochain.
Alors, n’importe qui, si vous voulez vous lancer dans l’élevage de mante et acquérir des bébés… écrivez-moi un courriel avant leur naissance en avril prochain.
Voir ici ma photo de l’oothèque
http://radicarl.net/wpg2?g2_itemId=1560
Tu vas conserver le nid au frais?
Horloge biologique oblige, ma mante religieuse est morte durant la dernière nuit. Cependant, elle n’est pas trépassée sans avoir accompli son travail existentiel : en effet, il y a deux semaines, elle a pondu une oothèque.
De la sorte, non seulement cela confirme finalement le sexe de mon spécimen, mais il est donc indéniable que la mante femelle peut aussi voler la nuit. Voilà qui remet donc en question la validité de mon dernier commentaire, ci-haut dans ce blogue.
Excellent billet Carl! C’est mon genre aussi d’aller sauver des insectes, mais jamais d’aussi gros… en plein Montréal, wow! Bravo!
Vive Wikipédia. Effectivement, dans la version anglaise de l’encyclopédie libre, je viens d’y lire un paragraphe répondant à mes interrogations sur ce que faisait une mante à voler de nuit. Mieux encore, j’en conclus que la mante en question est logiquement un mâle.
« Male mantids fly at night, as they seem to be attracted to artificial lights.
Bats, one of the mantid’s natural predators, feed at night when the males are busy locating a mate. Bats use echolocation to pinpoint their prey. According to Yager and May, praying mantids are able to hear these sounds and when the frequency begins to increase rapidly, indicating an approaching bat, mantids will stop flying horizontally and begin a descending spiral toward the safety of the ground. Often this descent will be preceded by an aerial loop or spin. Other times, the entire descent will consist of a downward spiral ».