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Posté par le 14 juillet 2024 dans Souvenirs

Une nuit d’enfer sur la rivière du Diable

Une nuit d'enfer sur la rivière du Diable

Très récemment, ma collègue Élise m’a appelé pour discuter de notre prochaine sortie de camping avec les jardiniers de notre équipe au Parc Jean-Drapeau. Elle a proposé de réserver un emplacement aux abords du Lac Monroe. En entendant cela, j’ai pouffé d’un rire nerveux et me suis presque étouffé avec mon café. « NON! » ai-je répondu catégoriquement, tellement ce lieu me ramène un mauvais souvenir. Nous avons donc trouvé un autre endroit pour camper dans le Parc du Mont-Tremblant. L’évocation de ce lieu a immédiatement fait surgir un souvenir mémorable de l’été 1987.

À cette époque où les téléphones portables étaient des objets de science-fiction et où une escapade en canot-camping semblait être la solution parfaite pour échapper à la canicule étouffante de Montréal, mon père et moi avons décidé, sur un coup de tête, de quitter la ville pour une escapade éclair de canot au Parc du Mont-Tremblant. Aujourd’hui, ces vagues de chaleur sont plus fréquentes, mais à l’époque, fuir la chaleur de la ville sans climatisation nous paraissait une idée brillante.

Il faut dire que mon père a toujours eu une passion pour le canot. Ayant grandi dans le quartier de Bordeaux-Cartierville, il aurait découvert la pratique du canot grâce à un voisin qui laissait souvent son embarcation sans surveillance. Devenu adolescent, il a commencé à explorer les îles de la rivière des Prairies, une activité qui est vite devenue son loisir de prédilection… pour y amener ses premières conquêtes! Cette passion, il l’a ensuite partagée avec ma mère lors de leur fameuse expédition en 1974, de Montréal à Percé, une aventure qui est d’ailleurs à la base de mon existence et que j’ai déjà racontée ici dans ce blogue.

Ce jour-là, donc, nous étions affalés dans la cuisine, transpirant et ennuyés, quand mon père a eu cette idée rafraîchissante : « Et si on allait faire du canot-camping dans les Laurentides ? » Ni une ni deux, nous avons rassemblé grossièrement notre équipement de camping à la va-vite, quelques provisions, et pris la route vers la nature sauvage, espérant trouver un peu de fraîcheur.

Bien qu’elles me soient familières, je ne me lasse jamais des paysages des Laurentides, avec leurs montagnes majestueuses et leurs forêts denses. Nous nous sommes donc arrêtés au centre de service du Lac Monroe pour prendre des renseignements. Là, nous avons décidé de descendre la rivière du Diable, en visant une aventure d’une journée.

La rivière du Diable, qui traverse le parc national du Mont-Tremblant, est une merveille naturelle, serpentant sur 82 km à travers des paysages époustouflants, avec des lacs comme le lac en Croix et le lac aux Herbes sur son parcours​. Les préposés à l’accueil, cependant, ont rapidement calmé notre enthousiasme. Ils nous ont expliqué qu’il était supposément impossible de descendre ce tronçon canotable en une seule journée. La rivière du Diable, bien que magnifique, demandait plus de temps et de préparation. Ils nous ont donc proposé de prévoir au minimum une nuit de camping.

Mais fort de notre expérience mutuelle en canot et d’une journée qui semblait splendide devant nous, nous avons quand même décidé de tenter notre défi. Et comme nous l’avions finalement projeté au début, nous avons descendu la rivière du Diable plus rapidement que prévu, tellement rapidement que nous avons dépassé le camping prévu sur l’itinéraire pour revenir directement à la voiture de mon père stationnée au centre de service du Lac Monroe. Le timing était presque parfait… jusqu’à ce que la pluie arrive.

Ce qui avait été une journée ensoleillée et agréable s’est rapidement transformé en un cauchemar humide. Alors que nous sortions du canot et commencions à ranger notre équipement, les premières gouttes ont commencé à tomber. « Ce ne sont que quelques gouttes, » a déclaré mon père, tentant de se convaincre que l’averse imminente n’était qu’un mirage à l’horizon. Mais ces quelques gouttes se sont rapidement transformées en une véritable douche diluvienne. Nous avons alors été pris dans ce qui semblait être une répétition du fameux déluge du 14 juillet (1987), où des pluies torrentielles avaient inondé Montréal de façon spectaculaire.

Le crépuscule tombant, nous avons découvert que toutes les activités du Parc étaient fermées et que nous n’avions pas accès à la voiture. Sans autre choix, nous avons décidé de camper sur place, sous une pluie battante. Monter la tente est devenu une épreuve herculéenne. Les piquets refusaient obstinément de pénétrer dans le sol détrempé, et notre tente, qui sentait d’emblée la moisissure, ressemblait plus à une bâche maladroitement installée qu’à un abri digne de ce nom. De plus, notre lampe de poche était intermittente, rendant la tâche encore plus difficile.

Pour ajouter au chaos ambiant, en plus d’affronter une armée de moustiques affamés qui nous attaquaient sans relâche, nous avons découvert que le poteau principal de notre vieille « pop-tent » était manquant. Mon père a dû alors improviser en allant tailler sommairement une branche pour soutenir la tente. Cette solution bancale n’a fonctionné qu’à moitié, car des poches d’eau se sont rapidement accumulées entre les deux « poteaux », qui n’étaient pas à niveau l’un par rapport à l’autre. La tente était si minuscule qu’une fois compressés à l’intérieur, nous devions nous coller l’un à l’autre pour éviter de toucher les parois. Chaque fois que nous les frôlions, de l’eau perlait à l’intérieur.

Dans l’affolement des préparatifs, nous avions perdu le sac de nos vivres pendant le moment où nous montions en trombe la pop-tent. Adieu festin de camping, bonsoir barre de chocolat fondue et miettes de biscuits. Le terrain étant en pente, un torrent d’eau s’est finalement frayé un chemin jusqu’à l’entrée de notre tente, coulant à travers nos sacs de couchage et nous imbibant d’eau jusqu’à la moelle.

À l’intérieur de la tente, l’ambiance était infernale. L’humidité rendait l’air suffocant, chaque respiration semblait lourde et difficile. La moisissure imprégnait nos narines, ajoutant à l’atmosphère déjà oppressante. Compressés dans cet espace exigu, j’étais résigné à me coller sur mon père, ce qui accentuait la chaleur dans la tente. Chaque mouvement nous rapprochait de l’eau perlant à travers le tissu de la tente, nous donnant l’impression d’être piégés dans une véritable serre tropicale en pleine nuit d’orage. De plus, des racines d’arbres sous la tente me dardaient le dos à chacun de mes mouvements, rendant le sommeil ardu et la nuit encore plus éprouvante.

Mais ce n’était que le début de notre épreuve nocturne. En plus de toutes ces difficultés, nous avons commencé à sentir de petites piqûres se manifester sur les parties de nos peaux exposées, presque imperceptibles au début… cela devenait littéralement un supplice de la goutte d’eau. Et c’est lorsque mon père lâcha un pet que je me suis mis à hurler d’exaspération en cherchant frénétiquement la lampe de poche.

Il m’a fallu un certain temps pour comprendre la nature de nos assaillants. Un petit insecte volant, quasiment invisible, avait envahi notre tente. Un insecte que je n’avais jamais rencontré auparavant.

Peu de moustiquaires arrivent à bloquer ces minuscules insectes piqueurs, qui laissent une sensation de brûlure après le contact

Les assaillants semblaient surgir de nulle part, formant un nuage dense autour de nous. Ils se faufilaient sans peine dans la tente, malgré la moustiquaire fermée. Chaque piqûre était une brève douleur, évoquant une épingle brûlante rentrant dans la peau. Sans aucun répulsif à notre disposition, l’humidité dans la tente les attirait comme un aimant, transformant notre abri en un buffet à volonté pour ces minuscules vampires assoiffés de sang. On venait de rencontrer et découvrir les légendaires brûlots.

Le brûlot, minuscule insecte de la famille des Cératopogonidés, est si petit qu'il peut passer à travers les trous d'une moustiquaire. Ces minuscules créatures, attirées par notre chaleur corporelle et notre sueur, nous attaquaient en masse. Leur morsure donne une sensation de brûlure, d'où leur nom. Ces créatures sont si petites qu'elles ne font pas de bruit en volant, et on ne les sent pas se déplacer sur notre peau avant qu'elles ne piquent.

Le brûlot, minuscule insecte de la famille des Cératopogonidés, est si petit qu’il peut passer à travers les trous d’une moustiquaire. Ces minuscules créatures, attirées par notre chaleur corporelle et notre sueur, nous attaquaient en masse. Leur morsure donne une sensation de brûlure, d’où leur nom. Ces créatures sont si petites qu’elles ne font pas de bruit en volant, et on ne les sent pas se déplacer sur notre peau avant qu’elles ne piquent.

J’ai fini par passer la nuit éveillé, veillant sur le visage de mon père et écrasant du doigt chaque brûlot qui s’y apposait. Aux premières lueurs du matin, nous étions trempés, épuisés, piqués de partout et totalement dépourvus de toute joie de vivre. Nous avons rapidement démonté notre campement en mode automatique et avons rejoint la voiture, traçant directement notre route vers Montréal sans nous arrêter, dans un silence lourd et oppressant. Cette nuit d’épreuve en enfer nous avait transformés en véritables morts-vivants, vidés de toute énergie vitale, jusqu’à notre retour à la civilisation. Nous ne rêvions que du confort de nos lits respectifs pour récupérer de cette nuit cauchemardesque.

Et voilà, chers lecteurs, l’histoire de cette fameuse nuit infernale au bord du Lac Monroe, où nous avons découvert que l’improvisation, la pluie torrentielle et les brûlots ne font pas bon ménage. Or, la prochaine fois que quelqu’un me proposera un camping en dernière minute, je penserai à cette nuit et j’emporterai au moins deux lampes de poche, une tente à l’épreuve de la pluie… et beaucoup de répulsif à moustiques! À bientôt pour de nouvelles aventures, et rappelez-vous : parfois, ce sont les mésaventures qui créent les meilleures anecdotes.

Évidemment, avec notre prochain camping dans la région, j’appréhende de retrouver ces bestioles de l’enfer, mais au moins cette fois, je serai mieux préparé!

Les épreuves sont des lanternes sur le chemin de l’expérience.
– Proverbe japonais

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