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Posté par le 24 juin 2025 dans Indépendance du Québec, Sociologie

Une nation entre guillemets

En ce 24 juin, je me penche sur l’état de notre Fête nationale — miroir d’un peuple en veille, d’un projet d’émancipation en dérive. Entre l’anglicisation du quotidien, la dilution culturelle à Montréal et la déconnexion des jeunes générations, ce texte interroge : que reste-t-il de notre volonté de devenir un pays ? Un cri du cœur lucide, mais habité d’un espoir actif.

Chronique d’un Québec en suspens, entre mémoire et effacement

En ce 24 juin 2025, je me réveille encore une fois dans ce Québec qui m’est si cher. Pourtant, mon entrain à célébrer la Fête nationale s’effrite doucement d’année en année. Autrefois, j’attendais cette journée avec impatience, porté par l’espoir collectif, l’énergie contagieuse des foules et la promesse d’un avenir à bâtir ensemble. Aujourd’hui, une étrange lassitude me gagne.

Ce sentiment est moins un reniement qu’une profonde désillusion. Notre projet national, autrefois vibrant et rassembleur, semble désormais s’être dissout dans l’air du temps, fragmenté par les divisions internes, la polarisation politique et l’usure d’une société tiraillée entre modernité et tradition. On célèbre encore, certes, mais la flamme semble plus fragile, presque vacillante. Nos municipalités ne savent plus quelle mise en garde et interdiction inventer afin de protéger les citoyens contre les risques les plus insignifiants qui les guettent lors des festivités. La fête est devenue un exercice de contrôle plutôt qu’un moment de liberté populaire. Dave Lavoie le résumait crûment dans Facebook : autrefois 250 000 personnes célébraient sur les Plaines d’Abraham jusqu’au lever du jour. Aujourd’hui, le périmètre « festif » est surtout celui des interdictions absurdes : pas d’eau, pas d’alcool, pas de chaises, pas de drapeaux, pas d’instruments de musique, pas de bouffe, pas de vélos… pas de plaisir. Une fête nationale aseptisée, sans âme, plus plate encore que le jour du Canada.

Et d’ailleurs, même ce dernier est en déclin. Partout au pays, des célébrations du 1er juillet sont annulées ou désertées. C’est qu’on ne célèbre plus rien de commun, dans ce Canada fragmenté. Ahhhh, le Canada… cette « nation » multiculturaliste, artificielle et sans réelle identité, sans culture et dont l’histoire officielle semble n’être qu’un fardeau honteux à effacer.

Ce pays est en perdition depuis qu’il a adopté le multiculturalisme comme doctrine d’État, dans l’unique but de diluer le nationalisme québécois. En remplaçant l’idée des deux peuples fondateurs par celle d’une mosaïque désincarnée, Ottawa a tué toute possibilité d’unité. On ne célèbre plus un peuple, mais une succession d’identités individuelles mises en vitrine. C’est la logique du libéralisme globalisé : substituer la nation par la consommation, le territoire par l’identité fluide, la mémoire collective par la rectitude. Une fête du Canada ou une fête nationale québécoise ? Les deux sombrent, pour des raisons différentes mais convergentes.

La convergence nationale n’est plus à la mode. Elle est même suspecte, voire dangereuse, aux yeux des élites néolibérales, des multinationales, et des cliques néo-progressistes wokes qui préfèrent les drapeaux arc-en-ciel et les symboles religieux aux drapeaux nationaux. Et pendant que les peuples se cherchent, on célèbre sans conviction, ou pire, sans raison. Le plaisir semble interdit… et la mémoire aussi. Une célébration administrée comme un mardi soir d’hiver sur la rue Saint-Jean, vidée de sa spontanéité populaire.

Comment s’étonner de ce désintérêt croissant quand la Fête nationale elle-même semble se diluer dans les eaux d’un divertissement post-identitaire ? Prenons un exemple parmi tant d’autres : le «St-Jean-Baptiste All White Boat Party» de Montréal, annoncé uniquement en anglais, sans mention de la langue française, ni du Québec, ni de notre histoire. Une croisière festive sur le fleuve, DJ à bord, tenues blanches obligatoires, billets à 75 $… Le message est clair : plus besoin de mémoire collective, plus besoin de racines. Seulement une célébration désincarnée, calibrée pour un public « global », où même le nom de la fête devient accessoire.

J’aime beaucoup voir comment notre fête nationale évolue dans le Canada postnational… On dirait qu’on a enfin trouvé une formule vraiment inclusive : plus aucun rapport avec notre histoire, notre langue ou notre existence nationale. Juste du blanc, un DJ, un gros bateau et zéro mémoire. La pureté de notre identité javelisée n’a jamais été aussi progressiste. Divertissement populaire garanti pendant qu’on nous mène littéralement en bateau. Serions-nous prêts à embarquer dans le beau gros navire du capitaine Pablo Rodriguez… pour une croisière superficielle en route vers nulle part ? Happy St-Jean-Baptiste day folks 🥂

Cette dilution culturelle n’est pas qu’événementielle, elle s’immisce aussi dans le quotidien des Montréalais via les réseaux sociaux. Il suffit d’ouvrir TikTok ou Facebook pour constater la prolifération de comptes influents sur Montréal… exclusivement en anglais. Ces capsules, souvent anodines en apparence , sur les meilleurs restos, les quartiers branchés, les anecdotes de rue , façonnent une image de la métropole où le français est littéralement absent. Comme si parler anglais à Montréal était désormais la norme. Ce phénomène devient d’autant plus préoccupant qu’il n’est pas marginal : il est viral, séduisant, intégré au réflexe des jeunes générations.

À cet effet d’ailleurs, depuis quelques mois, je prends des captures d’écran sur mon téléphone de certains reels Facebook qui s’imposent à mon fil d’actualité. Ces petites vidéos abrutissantes ont ceci en commun : elles mettent en scène des événements survenus à Montréal (écrit bien sûr Montreal, sans accent aigu) ou au Québec (Quebec, idem), mais dans une langue essentiellement anglaise; au mieux, en franglais. On pourrait croire, à première vue, qu’il s’agit de contenu destiné à des touristes internationaux. Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas. Il suffit d’écouter les accents, de voir les lieux et les codes culturels pour comprendre que ces vidéos s’adressent à une jeunesse bien d’ici. Loin du regard de l’Office québécois de la langue française, des dispositions de la loi 101, de la vigilance des politiciens, des baby-boomers et des chroniqueurs issus des médias traditionnels, ce contenu s’impose comme un aperçu brutal de la culture dominante qui se développe actuellement dans les bas-fonds des algorithmes. Et c’est peut-être là ce qui attriste le plus : alors qu’il serait tellement plus original, plus distinctif, plus captivant de se revendiquer comme la plus grande métropole francophone des Amériques, on se présente au monde (et surtout à soi-même) comme une banale ville nord-américaine anglo-consumériste de plus.

Je pose donc la question à nos intellectuels, nos créateurs et nos chroniqueurs : qu’attendez-vous pour braquer vos projecteurs sur ce phénomène ? Qu’attendez-vous pour sonner l’alarme ? Et surtout, pour riposter avec autant de talent, d’humour et de créativité… mais en français ?

Capture d’écran d’une vidéo Facebook localisée à Montréal mais uniquement en anglais

Exemple d’un Reel Facebook apparaissant dans mon flux, malgré la géolocalisation québécoise, entièrement en anglais.

Ce glissement linguistique est tout aussi visible dans les interactions de tous les jours. Sur Facebook Marketplace, la langue d’usage est désormais l’anglais ; souvent même entre francophones. Les annonces de logements en ligne, elles aussi, sont de plus en plus fréquemment rédigées uniquement en anglais, même lorsqu’elles s’adressent à un public local. Sur Tinder aussi, l’anglais s’impose comme la langue de premier contact, surtout chez les 18-35 ans. Et que dire de ces employés précaires, souvent issus de l’immigration récente, qui ne s’expriment qu’en anglais, même dans des points de service bien loin du centre-ville ? Cette tendance sociologique déborde maintenant largement des limites de la métropole. On la retrouve aux abords de toutes les grandes autoroutes, dans les haltes-routières, les commerces de banlieue, les stations-service. L’anglais s’impose comme la langue par défaut, comme si le territoire québécois lui-même n’était plus porteur d’aucune exigence culturelle ou linguistique? Ce n’est pas qu’un choix personnel : c’est un indicateur que notre société ne transmet plus les bases mêmes de sa culture d’accueil.

Le patronat néolibéral, les fédéralistes colonisateur et leurs alliées néoprogressistes wokes veulent restreindre le Québec à instaurer des seuils d’intégrations. c’est une réingénierie sociale qui laissera des traces durables.

 

Enfin, il y a ce que mes oreilles entendent, jour après jour. Le murmure lent d’un glissement linguistique devenu vacarme. Dans le Plateau-Mont-Royal, mon quartier d’origine, ancienne forteresse péquiste qui a voté OUI à plus de 60 % en 1995, dans ce quartier jadis bastion culturel du Québec francophone, l’anglais est toujours plus audible. Au parc La Fontaine, l’anglais semble dorénavant dominer les conversations de groupe. Même chose dans les autobus bondés du boulevard Rosemont ou dans les artères de Laval, où les adolescents discutent, rient, s’interpellent… uniquement en anglais. Et que dire de la langue des petites annonces « sauvages », des autocollants militants et des graffitis qu’on voit émerger un peu partout sur les murs et les poteaux de Montréal : en marchant à pied, on a l’étrange impression que la langue d’usage du territoire est devenue l’anglais, même dans sa forme la plus spontanée. Le moindre poteau du Mile end affiche aujourd’hui des « Missing Cat » plutôt que des « Chat perdu ». Même la détresse ou l’intimité du quotidien se vit maintenant en anglais.

Cette galerie photo témoigne de l’anglicisation spontanée de l’espace public à Montréal, du Mile End au Plateau. Graffitis, affiches, autocollants : l’anglais s’impose là où le français était autrefois naturel. Une balade visuelle qui interroge l’avenir linguistique de la métropole.

Pas besoin d’un rapport de l’OQLF ou de consulter la tête à Papineau pour comprendre ce que cela signifie : ce que j’entends, c’est l’avenir. Et cet avenir priorise la dominance de l’anglais sur le français au Québec. Cette jeunesse principalement issu de l’immgration grandit dans un univers culturel anglo-saxon, branché sur les codes et les produits d’une Amérique du Nord consumériste, déracinée, désincarnée. Elle ne vit pas dans l’univers référentiel de la société québécoise, elle n’y est tout simplement pas. Ce n’est pas de la mauvaise volonté : c’est une déconnexion. Une distance culturelle devenue si normale qu’elle ne surprend même plus.

Je reste profondément attaché à ce projet d’indépendance, à cette quête d’un Québec maître de son destin. Nous avons modelé notre paysage. Nous ne voulons laisser personne nous en expulser, ni symboliquement, ni démographiquement. Mais en ce jour de célébration nationale, mon cœur n’est pas à la fête. Il est plutôt à l’introspection, teintée d’une amertume tranquille, avec cette question obsédante : saurons-nous retrouver un jour cette étincelle collective, ou sommes-nous condamnés à la nostalgie d’un rêve jamais réalisé ? Car ne nous y trompons pas : l’impact démographique de cette anglicisation progressive agit comme un éteignoir national. Le temps est compté. Si nous ne trouvons pas rapidement les moyens d’inverser cette tendance, la folklorisation de notre peuple , puis son effacement pur et simple deviendra inévitable. Il ne s’agit plus seulement de défendre une langue, mais de préserver une mémoire, un projet de société, une présence vivante sur ce territoire que nous avons façonné. La disparition peut être douce, insidieuse, même festive. Mais elle n’en reste pas moins une disparition.

Cependant, alors que ce constat d’anglicisation à Montréal peut sembler accablant, il serait injuste d’ignorer les signes d’un renouveau. Car tandis que le français s’efface dans l’espace public, il renaît ailleurs, notamment chez une jeunesse qui redécouvre la souveraineté comme un projet culturel, social et résolument actuel. Comme l’a documenté Philippe Mercure dans La Presse, et Mounir Kaddouri dans son reportage pour Urbania, une nouvelle génération d’indépendantistes émerge, portée par des jeunes de 18 à 34 ans qui se réapproprient fièrement leur identité sur le terrain… comme en ligne.

Même la musique semble accuser le coup. Il y a quelques années, j’ai créé sur Spotify une liste intitulée « Ode au Québec libre », une rétrospective musicale des chansons qui ont porté l’idéal de liberté, de mémoire et d’indépendance québécoise. En classant ces pièces par ordre chronologique, on peut littéralement entendre le souffle du projet souverainiste évoluer… puis s’éteindre doucement. Et je dois l’avouer : je peine aujourd’hui à y ajouter de nouvelles chansons qui chantent véritablement notre avenir collectif. C’est peut-être un détail, mais c’est aussi un symptôme sociologique.

Mes listes de musique via Spotify

Cliquez sur l’image pour lire mon texte : Mes listes de musique via Spotify

Je lance ici un appel à mes compatriotes : aidez-moi à mettre à jour cette liste de lecture sur Spotify avec des titres récents, porteurs, incarnés. Des chansons de la relève qui ne renient pas ce que nous sommes, mais qui le réaffirment avec courage et créativité. Ensemble, redonnons une voix à notre peuple, une trame sonore à notre réveil.

Et pourtant, il reste une lumière au bout du tunnel. L’année prochaine, une fenêtre historique pourrait s’ouvrir si le Parti Québécois maintient sa progression. Cette possibilité, aussi fragile soit-elle, représente une rare occasion de remettre la langue, la culture et le projet d’indépendance au cœur de notre avenir collectif. Mais ce ne sera pas suffisant d’élire un gouvernement souverainiste : il faudra aussi corriger les trajectoires sociologiques qui nous mènent au déclin. Il faudra agir vite, courageusement, et surtout collectivement.

Il y a quelqu’un à La presse qui a dû avaler son café équitable de travers.

Car il n’est pas trop tard. Tant qu’il y aura des femmes et des hommes prêts à rêver le Québec, à le défendre, à l’incarner, ce peuple ne sera jamais vaincu. Que notre fête nationale soit un moment de lucidité, mais aussi de résolution. Refusons le déclin tranquille. Et saisissons ensemble cette chance historique pour redonner un avenir à notre prétendue « nation », qui n’en est encore qu’une ébauche, une promesse fragile, une identité en gestation. Dans les faits, nous ne sommes encore qu’une nation embryonnaire en devenir. Un jour, pourtant, il nous faudra prendre pleinement notre envol vers la liberté. Et notre responsabilité collective est de rendre cette émancipation possible, non pas demain, mais dès aujourd’hui.

Matin de la Saint-Jean. On fête un pays qui n’a jamais existé. On le fête comme s’il existait depuis toujours. Une fois par année, on triche ; on y goûte comme s’il était à nous. Comme un pauvre qui se loue un smoking et une limousine, et qui se sent riche l’espace d’une journée
– Luc Picard, 1995

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