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Conviviale, accueillante, agréable à vivre, mais ce n’est pas une capitale culturelle

article de
Louis-Bernard Robitaille à Paris
paru dans La Presse le vendredi 13 octobre 2006

Dans un livre de souvenirs, la romancière Elsa Triolet raconte brièvement une escale qu’elle avait faite à Montréal au milieu des années cinquante avec son mari Louis Aragon, et en particulier la surprise qu’ils avaient eue en découvrant que les habitants y parlaient français, une sorte de « vieux français paysan du 18e siècle »…

Cette ignorance quasi-totale de la réalité québécoise et montréalaise était à l’époque largement répandue en France. Il, fait donc d’abord noter le chemin parcouru depuis cette époque : d’abord grâce à des événements majeurs comme l’Expo 67 et le fameux discours de De Gaulle, puis les JO de 1976.

À quoi il faut ajouter, depuis trente ans, la multiplication des échanges entre la France et le Québec, notamment depuis la victoire péquiste de 1976. Il y a eu les innombrables échanges organisés par l’Office franco-québécois pour la jeunesse. La multiplication des relations culturelles et professionnelles. L’arrivée en masse d’étudiants français dans les universités montréalaises. Les nombreux voyages de presse de journalistes dans le domaine culturel, économique ou politique. Et un profond changement d’attitude des Français vis-à-vis d’un pays capable de produire Céline Dion ou Bombardier, et non plus seulement Félix Leclerc, des arpents de neige, des hordes de curés en soutane ou « ma cabane au Canada » de Line Renaud.

Dans les milieux un peu éduqués et informés de Paris, il devient presque difficile, ces jours-ci, de trouver quelqu’un qui n’a jamais été à Montréal de sa vie. Journalistes, universitaires, hommes d’affaires, galeristes, professionnels en tout genre : tous les gens actifs que vous croisez y sont allés au moins une fois.

L’impression générale ou moyenne qu’ils en ont gardée : c’est une ville très conviviale, agréable à vivre, infiniment moins agressive que Paris (ce qui n’est pas difficile), les gens y sont accueillants, et les restaurants nombreux et souvent de bonne qualité. Est-ce une belle ville ? Certains ont apprécié des quartiers « qui ressemblent à Londres », ou ces longues rues rectilignes avec escaliers extérieurs qui leur font penser à New York. De là à dire que c’est l’une des belles villes du monde, ce serait bien exagéré. Et, de manière générale, ce n’est as non plus une capitale culturelle.

François Charcellay, journaliste au Midi Libre de Montpellier, y a passé trois jours il y a quelques années, à l’occasion d’un voyage de presse au Saguenay Lac Saint-Jean., où il allait faire un rallye en moto-neige. Impression floue et fugitive d’une ville qui l’a d’abord frappé par « son espace très vaste », typiquement nord-américain. « Il y a ces grandes rues droites et très larges. Et, comme on était en plain hiver, les rues étaient quasiment désertes le soir. Ça ne ressemblait absolument pas à tout ce que je connais, de grandes villes de province françaises comme Toulouse ou Montpellier, où tout est compact…À Montréal, j’ai été frappé par la multiplicité de grands quartiers presque autonomes les uns des autres, à l’est, à l’ouest, au nord. J’avoue que je n’ai pas eu le temps de comprendre cette géographie…»

Sylvain Garel, de son côté, est un familier de longue date de Montréal. Conseiller municipal écologiste de Paris, spécialiste du cinéma canadien et québécois, il a longtemps été directeur du festival du cinéma québécois de Blois. Il a donc fait d’innombrables séjours à Montréal dans les vingt dernières années, et y connaît pratiquement tout le monde dans les milieux du cinéma, et beaucoup de gens dans les milieux politico culturels. « On ne va certainement pas à Montréal pour la beauté ou l’originalité de l’urbanisme, dit-il. On ne peut pas dire qu’on y trouve des quartiers qui vous frappent ou qu’on n’aurait pas vus ailleurs. Mais c’est une ville extrêmement agréable à vivre. Et facile à vivre. Les gens n’y sont tous engagés dans une course folle comme à Paris. Si vous adressez à un inconnu dans la rue, il s’arrêtera et prendra le temps de vous parler, ce qui est impensable à Paris. Pour moi, évidemment, Montréal est une ville très familière, où je me sens chez moi, parce que j’y ai plein d’amis que je retrouve avec plaisir. C’est un endroit formidable pour se retrouver entre gens sympathiques, ouverts, souvent moins conformistes qu’en France. »

Dans les milieux français de la culture et du spectacle, beaucoup s’extasient volontiers sur la « vitalité culturelle » de Montréal, mais c’est surtout au formidable succès des festivals d’été qu’ils pensent, parfois avec envie. Cela ne fait pas pour autant de la ville une grande capitale culturelle.

« L’erreur que j’ai faite, c’est d’aller d’abord à New York avant de venir à Montréal », raconte Françoise G., une professionnelle parisienne de la culture dont la fille fait ses études à Montréal depuis quelques années.

« Montréal, dit-elle, est un endroit extrêmement agréable si on y a ses amis. La vie matérielle est beaucoup plus simple qu’à Paris, les gens se voient entre eux. Si j’étais arrivée de Boston ou Philadelphie, peut-être que j’aurais eu une meilleure impression générale. Mais je venais de passer dix jours à New York, et j’ai trouvé la ville très provinciale. Il y a de jolies quartiers qui font penser à Londres, des rues qui rappellent New York mais franchement, il n’y a pas grand-chose à voir, du moins au niveau de ce que je cherche quand je vais dans des villes comme Madrid ou Budapest. Une fois qu’on a vu le petit Chinatown, le centre du quartier italien, que reste-t-il à voir ? Bon, il y a un Musée, pas très impressionnant et c’est tout. À part, c’est vrai que la vie est agréable, qu’il y a beaucoup de bons restaurants. C’est un endroit où, selon moi, on a envie de s’installer à cause des gens qu’on y connaît, certainement pas de son foisonnement urbain et culturel. Par ailleurs, j’y ai constaté un phénomène qui m’a sidérée : la coupure de la ville en deux parties hermétiquement fermées, les anglophones d’un côté, les francophones de l’autre. Je comprends que les Québécois se défendent pour ne pas être bouffés, mais quand même, cette séparation étanche, avec deux communautés qui s’ignorent complètement, ça m’a stupéfaite. »

Vous avez beau fouiller dans les archives des grands journaux français dans les dernières années, vous ne trouverez sans doute pas le moindre article substantiel sur la ville de Montréal comme telle, son urbanisme ou ses richesses culturelles. Ce qu’on y retrouve constamment en revanche, c’est, sans flagornerie, des commentaires élogieux sur le dynamisme de sa population, notamment sur le plan économique ou social, sur son mode de vie convivial, le rayonnement considérable de la chanson, et l’engouement déjà mentionné des foules pour les festivals de Jazz, les Francofolies et le reste.

À noter cependant : depuis l’époque d’Elsa Triolet dans les années cinquante,tous les Français ont compris depuis longtemps que le Québec est francophone. Et cela fait au moins un quart de siècle que les médias ont cessé de se croire obligés de préciser où se situe la ville de Montréal. Donc il y a progrès.

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